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Billet de blog 8 avril 2023

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Meurtres au maquis

Pietro Tresso (dit « Blasco »), Abram Sadek, Maurice Ségal (dit « Pierre Salini ») et Jean Reboul ont été abattus par des staliniens dans le maquis FTP Wodli. Paul Maraval, un cheminot membre des Jeunesses communistes, jugé trop anticonformiste et devenu copain avec les «trotskars», a aussi été liquidé en avril 1944.

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Illustration 1

Dans d’autres articles, j’ai rendu un hommage particulier à quatre trotskystes assassinés en Europe en 1937 et 1938 : Erwin Wolf, Ignace Reiss, Rudolph Klement et Léon Sedov, le fils de Trotsky. J’ai rendu hommage aussi à tous ceux qui ont été assassinés en Espagne dans la même période qu’Erwin Wolf. Je dois maintenant ajouter que les assassinats des trotskystes en Europe ne se sont pas arrêtés en 1938. Cinq ans plus tard, le 26 ou le 27 octobre 1943, quatre trotskystes étaient exécutés, sans aucune forme de procès, par des staliniens pour la seule raison qu’ils étaient trotskystes. Un cinquième militant fut assassiné six mois plus tard en avril 1944. C’était un membre du PCF, sympathisant des trotskystes.

Il faut aussi leur rendre hommage.

Pietro Tresso (dit « Blasco »), Abram Sadek, Maurice Ségal (dit « Pierre Salini ») et Jean Reboul ont été abattus par des staliniens dans le maquis FTP Wodli situé au lieu-dit Raffy de la commune de Queyrières, à environ 45 km au sud-ouest de Saint-Etienne, entre Yssingeaux et le Puy-en-Velay (en Haute-Loire).

Paul Maraval, un cheminot membre des Jeunesses communistes, jugé trop anticonformiste par les staliniens et devenu copain avec les «trotskars», a aussi été liquidé en avril 1944.

A la différence des quatre autres victimes de Staline évoquées dans mes précédents articles, des militants du PCF ont été directement impliqués dans ces meurtres bien qu’on ne sache toujours pas avec précision qui, dans la hiérarchie stalinienne, a pu donner l’ordre de l’exécution et en choisir le moment. Nous savons cependant qu’ils ont été exécutés par un groupe de tueurs recrutés par le commandement du « maquis FTP Wodli », placé sous l’autorité de Giovanni Sosso, connu sous de multiples pseudonymes : Jean, Jean Auber, capitaine Jean et Colonel Guillemot. Celui-ci est assurément un responsable de ces assassinats.

Pierre Broué et Raymond Vacheron ont longuement enquêté sur ces crimes et ils nous livrent le résultat de leurs investigations dans le livre « Meurtres au maquis » publié en 1997. Il faut avoir lu ce livre pour comprendre comment cela fut possible. Comment fonctionnait le PCF pour que des militants qui combattaient dans le même maquis en viennent à de telles extrémités ? Vous pouvez voir aussi sur internet les résultats de l’enquête menée par Jean René Chauvin en 1996-1997, avec ses deux amis Albert Demazière et Paul Parisot.

Pierre Broué et Raymond Vacheron ont interrogé un à un tous ceux qui avaient participé à ce maquis et qui vivaient encore. Tous ces militants du PCF ont vécu, pendant des décennies, enfermés dans la cathédrale de mensonges du stalinisme. Il a fallu la Perestroïka et la Glasnost puis la dissolution de l’URSS et la suppression du Parti communiste d’Union soviétique pour que la cathédrale s’effondre. Un nouveau territoire mental s’est enfin ouvert devant eux. Pierre Broué explique (p. 210) :

« Ils découvraient que l’Union soviétique n’avait rien du paradis, qu’on y fusillait les grévistes, qu’on assassinait les opposants, qu’on y torturait dans les hôpitaux psychiatriques et que la police politique y régnait sans contrôle. Ils découvraient que des peuples entiers se soulevaient, dénonçaient l’oppression alors que les experts occidentaux gardaient le plus souvent le silence.

Pour nombre de croyants, c’était l’effondrement d’un monde. On peut imaginer, dès lors, les malaises, les comptes que tant d’hommes ont à régler avec leur mémoire, quand celle-ci ne les a pas purement et simplement abandonnés. Ce qui n’est pas rare, tant la culpabilité finit pas étancher toute morale.

Nombreux sont ceux qui nièrent devant la solitaire Barbara (Compagne de Blasco qui continua longuement à rechercher la vérité et à attirer l’attention de l’opinion publique sur le sort de Pietro Tresso).

Le groupe faisait bloc, la solidarité des assassinats imposait le silence. Mais la négation des évidences s’effondra en 1991. Dans les régions de France où il va questionner ls anciens du maquis Wodli, Raymond Vacheron constate que les mensonges s’effritent, ne résistent plus à l’évidence (…)

Celui-là connaît le pays, les hommes et les circonstances. Certains, peu nombreux à vrai dire, ne disent mot, ils refusent seulement de répondre, mais ne nient plus rien. Une induration douloureuse les révolte au-dedans d’eux-mêmes. C’est le destin des anciens sectaires. Alors, ils inventent et répètent la nécessité de se taire « pour ne pas nuire au parti ». La grande majorité finit par avouer la vérité, ce qu’ils en ont su ou ce dont ils se souviennent. On la confie à Raymond Vacheron, en le conjurant de n’en rien dire à d’autre camarades du maquis… Combien parmi ces hommes tournent en rond, subissent la cruauté d’interminables insomnies, redoutent des révélations qui ne peuvent plus rester secrètes dans la seule intimité des cercles d’anciens maquisards ! (…)

Ils ont parlé librement devant un magnétophone, et parfois devant l’œil de la caméra. Ils sont entiers, pathétiques souvent, avec leur mémoire boiteuse, leurs hésitations, leurs ruses et leurs doutes, le remords, parfois. Car eux aussi furent, d’une certaine façon, des victimes du stalinisme ».

Pierre Broué a édité dans son livre de courts extraits de 24 témoignages. Il faut tous les lire. Ils sont criants de vérité. Je ne peux ici qu’en recopier quelques-uns :

  • Je voulais réunir tous les anciens, mais il a coupé les ponts. Il m’a dit : « On a tué les trotskystes, moi ça me pose problème de monter une réunion amicale ».
  • Bousiller des mecs comme ça, c’est quand même dégueulasse.
  • Pendant la guerre, les ordres sont les ordres. Quand il faut le faire, il faut le faire. Mais, je ne dis pas que c’est bien.
  • J’étais parfaitement au courant et j’étais en désaccord avec cette décision. Je me suis fait dire que je n’avais pas à être en désaccord étant donné que j’étais permanent du Parti.
  • On leur disait : « vous avez trahi, vous avez trahi la révolution russe. Je ne me rappelle pas ce que les trotskystes répondaient ».
  • Je n’ai rien contre votre enquête, mais il y a des choses que je ne raconterai pas et dont il ne faut surtout pas parler.
  • En tant qu’ancien membre du PC, je porte une responsabilité dans ce que le parti a fait de bien, mais dans ce qu’il a fait de mal aussi. Nous avons été trop crédules et pas assez critiques. On le mesure bien désormais.
  • Les trotskystes, c’était des gens qui voulaient créer une IVème internationale… Avec le recul, c’est de la connerie ce qui s’est passé, parce qu’ils étaient aussi communistes que nous.
  • On a eu la haine contre eux… Les trotskystes, eux, ils n’avaient pas la haine : Salini me l’a dit. Mais, moi j’avais la haine, on me l’avait apprise, la haine. Je sentais bien qu’ils n’éprouvaient pas de haine à mon égard. A nous, on nous l’avait mise ! Ah, si c’était à refaire… ça et bien d’autres choses !
  • Ils étaient purs, les types, ils étaient purs. Ils avaient leurs idées, mais ils étaient purs ; ça n’était pas des traîtres.
  • Les trotskystes savaient bien qu’on leur était opposés. Par nos lectures. Il y a des choses… J’ai jeté le livre de Staline quand j’ai appris qu’il avait tué jusqu’aux camarades. Si c’était comme avant, on devrait tuer même les rénovateurs… Il faudrait tuer l’ancien ministre Rigout. Si j’étais russe, on m’aurait peut-être tué… Faut-il l’éliminer puisqu’il est refondateur ? C’est ce que l’on faisait en Russie. On tuait des camarades. Peut-être que si j’avais été russe et communiste, on m’aurait fusillé comme les autres.

Le dernier témoin cité dit « J’ai jeté le livre de Staline ». Il a raison de dire « le » (livre) car il n’y en avait qu’un : « L’abrégé de l’histoire du parti communiste ». Ce livre était l’unique sainte bible de tous les militants du Parti communiste, l’équivalent du « Mein Kampf » pour les nazis ou du « Petit livre rouge de Mao » pour les prochinois. Voici la présentation qu’en donne Pierre Broué (p. 46) :

« La thèse qui sous-tend cet opuscule propagandiste est d’un simplisme de catéchèse. Si le capitalisme et la bourgeoisie sont bien les forces démoniaques qu’il convient de renverser, la brochure dénonce en une litanie répétitive des ennemis bien plus présents et proches, infiniment plus accessibles : Trotsky et les trotskystes. Le livre circule dans la prison (Il s’agit de la prison de Puy-en-Velay où étaient enfermés ensemble des militants du PC et des trotskystes. Ils s’évadèrent collectivement dans la nuit du 1er octobre 1943 pour rejoindre le maquis) et certains détenus le recopie même à la main. Il est dit que les trotskystes sont à la solde d’Hitler, de Mussolini et de Franco et qu’ils ne négligent en rien leur soutien actif aux fascistes. Les trotskystes sont des saboteurs, des espions qui sont même des agents à la solde des fascistes nippons du Mikado… »

Abreuvé quotidiennement par cette propagande dans des réunions de cellules, des colloques et autres écoles de formation des dizaines de milliers de militants du PC en sont venus à détester les trotskystes. Comme disait un témoin : « moi j’avais la haine, on me l’avait apprise, la haine. » Et, quelques-uns se rendent compte douloureusement, des dizaines d’années plus tard, que cela les a amenés à être complices des pires abominations.

Que cela puisse servir de leçon aujourd’hui à ceux qui ont d’autres idoles et s’évertuent à être fidèles à d’autres chapelles ! Ne sont-ils pas aussi intelligents, c’est-à-dire aussi abêtis, que les militants du PC d’alors, ceux qui aujourd’hui expliquent que des centaines de milliers de morts en Syrie, en Irak ou ailleurs seraient justifiés par la lutte contre l’extrémisme islamique. Enfin ! Je veux bien qu’on compte des terroristes-extrémistes-diaboliques-islamiques par dizaines, par centaines, voire par milliers mais comment accepter que cela justifie des centaines de milliers de morts ! N’est-il pas évident que ceux qui acceptent ce genre d’explications sont abreuvés par une immonde propagande ?

Le parti mondial de la révolution socialiste reste à construire. Un parti où il sera interdit d’obéir aveuglément et obligatoire de réfléchir.

Vive la IVème internationale !

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