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Hormis les pays d’URSS, c’est en Grèce que les staliniens ont assassinés le plus de trotskystes. Pendant la guerre, comme dans d’autres pays ayant subi une occupation, les trotskystes se sont trouvés pris entre les feux de deux ennemis. Ils luttaient contre les occupants et ils étaient menacés, au sein de la résistance, par les staliniens. En Grèce ce phénomène a pris une ampleur particulière.
La répression qui s’est abattue sur le peuple grec est allée bien au-delà de l’élimination des trotskystes y compris de la part des staliniens. Des militants communistes qui ont refusé de rendre leurs armes ont aussi été assassinés par les staliniens avec parfois une probable intervention du NKVD. Le plus célèbre avait un statut comparable à celui de Roll Tanguy ou de Jean Moulin en France. Il s’appelait Áris Velouchiótis. Il était le dirigeant de l’ELAS (Armée Nationale de la Libération du Peuple) qui était dominée par le KKE (Parti Communiste Grec) de même que l’EAM (Front National de Libération). Il dirigeait donc la résistance des partisans et maquisards. Il a refusé de désarmer les résistants pour livrer la Grèce à l’Empire Britannique.
En France aussi, l’appareil stalinien a demandé aux chefs de la résistance de désarmer la résistance et de s’effacer devant De Gaulle pour le laisser remettre en selle un Etat capitaliste. En particulier, après que Paris ait été libéré par la résistance, Roll Tanguy avait accepté de s’effacer pour laisser De Gaulle se pavaner dans la capitale comme un libérateur alors qu’il n’avait rien libéré du tout. Mais, en Grèce ce phénomène a pris une plus grande ampleur. Le peuple grec avait vaillamment résisté à la fois aux troupes de Mussolini, à l’envahisseur Allemand et aussi à l’armée Bulgare. Alors qu’en France, l’idée du « peuple résistant à l’occupant » a été un mythe fabriqué à la libération, cela a été une réalité en Grèce. Par exemple, les nazis n’ont jamais pu instaurer en Grèce un système de travail obligatoire équivalent au STO en France.
Les grecs n’ont eu besoin ni des anglais ni des américains pour se débarrasser des nazis. La résistance avait le pouvoir entre les mains quand les derniers allemands ont quitté le pays en octobre 1944. Or, c’est précisément ce que Churchill, au nom de l’impérialisme anglais, ne voulait pas. Il ne voulait pas laisser le pouvoir aux résistants. Il s’était mis d’accord sur ce point avec Staline. Ils s’étaient partagé leurs zones respectives d’influence et Staline avait volontiers concédé que la Grèce reviendrait aux anglais. Il a pesé de tout son poids pour faire admettre cette politique au KKE, le parti communiste grec. Les britanniques et l’appareil stalinien étaient donc d’accord : il fallait désarmer la résistance et donner le pouvoir à un quelconque gouvernement aux bottes de l’empire britannique. Après diverses tentatives infructueuses pour former un gouvernement d’unité populaire, les britanniques et les dirigeants staliniens se sont finalement entendu pour demander à Papandréou de former ce gouvernement.
Mais, le 4 décembre 1944, Papandréou démissionne. La veille, la police avait tiré sur une manifestation pacifique à Athènes laissant 28 morts et 148 blessés et ce 4 décembre les funérailles des victimes se sont transformées en une immense manifestation populaire. Les manifestants ont été à nouveau attaqués. Ils sont passés à la contre-offensive. Dans les quartiers ouvriers, les commissariats de police ont été pris d’assaut et les membres des diverses milices d’extrême-droite reformées par les britanniques ont été contraints de se réfugier au centre-ville sous la protection des unités britanniques.
Ainsi a commencé le « combat d’Athènes » qui a duré jusqu’au 12 février 1945 et a fait des milliers de victimes. 75 000 hommes furent détournés du front italien et du combat contre les Allemands pour attaquer les résistants grecs qui occupaient les rues du Pirée et d'Athènes. Après 33 jours de bombardements, la résistance rendit les armes, encouragée à la reddition, voire même contrainte, par la pression de l’appareil stalinien.
La résistance, avec les maquisards, avait délivré seule le pays de l’occupant nazi et pourtant, le 12 février 1945, à Varkiza, les dirigeants de l’EAM (en fait le KKE) et le gouvernement de transition grec ont signé le traité de désarmement.
Alors que la résistance avait le pouvoir à portée de la main, le parti communiste a exigé le désarmement des résistants en signant ce traité. Arrivé directement de Yalta, Churchill assiste à la reddition des armes. Les résistants, souvent effondrés, parfois en larmes, rendent leurs armes sans vraiment comprendre ce qui arrive, sans comprendre pourquoi leurs chefs leur demande cette capitulation. Ainsi l’accord entre les trois « grands » signé quelques jours auparavant lors de la conférence de Yalta (du 4 au 11 février 1945) prenait toute sa signification. Il s’agissait bien d’un accord contre-révolutionnaire entre les puissants de ce monde dominé par le capitalisme avec désormais la complicité de celui qui a assuré la dégénérescence des Etats-ouvriers. L’accord de Yalta scelle la volonté commune des trois « grands » de contrer tous les mouvements révolutionnaires pour maintenir l’ordre existant.
En 1945, une terreur implacable s’abattit sur les résistants désarmés, au point de rendre leur simple survie impossible.

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« La guerre civile provoquée par Londres coûtera la vie à au moins 600 000 grecs, sur une population de sept millions. Des têtes coupées et des corps démembrés de leaders de la résistance exécutés sont exposés sur des places. L’ambassade britannique à Athènes justifie cette pratique monstrueuse en présentant l’exhibition de têtes coupées comme « une pratique normale dans ce pays qu’on ne peut pas juger selon les critères de l’Europe occidentale ». Selon les critères d’aujourd’hui, en tous cas, l’armée britanniques et ses auxiliaires grecs seraient coupables de graves crimes de guerre, à la limite du génocide pour certains. » ( « XII. Les origines de la guerre froide : Yougoslavie, Grèce… » p. 339)
Il ne faut surtout pas croire que c’est l’Etat Islamique qui a inauguré cette abomination : exhiber les têtes coupées de ses adversaires sur les places publiques. Ne croyez pas davantage qu’en Grèce ce seraient les nazis qui auraient instauré de telles monstruosités. Non ! Cette pratique revient aux britanniques et à leurs auxiliaires.

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« Le seul discours audible est celui de la propagande gouvernementale qui s’extasie devant le nombre de déclarations signées et relate avec force de détails les scènes d’exécutions publiques. Des photos de journaux de l’époque montrent des têtes coupées, suspendues à des poteaux ou triomphalement présentées par les auteurs de la décapitation. Les mêmes journaux publient des déclarations de repentir « spontanées », en prenant bien soin de signifier que la seule alternative à la mort est la soumission. Ce discours qui vient sceller l’exclusion de la gauche du paysage politique du pays montre aussi comment le verbal est destitué de ses fonctions pour laisser la place à une violence physique « décomplexée ». » « La déclaration de repentir dans la Grèce des années 1940 »
Au procès de Nuremberg qui s’est tenu du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946 bien des responsables britanniques auraient dû trouver leur place sur le banc des accusés. Ils étaient déjà suffisamment compromis dans une quantité d’atrocités.
Cependant, quand, le 12 février 1945, l’accord de Varkiza est signé, Áris Velouchiótis et certains de ses compagnons ont refusé cette reddition et ont repris le maquis. Désavoué par le KKE, il est exclu pour avoir rompu avec la ligne de Moscou. Il est assassiné le 16 juin 1945 par le 118e bataillon de la Garde nationale, avec probablement l’intervention du NKVD.
Beaucoup de résistants reprirent le maquis, surtout chez les jeunes et avec une forte proportion de femmes. Ils engagèrent la lutte contre les Britanniques qui voulurent remettre en selle la Monarchie. Ils formèrent alors l’Armée Démocratique de Grèce. Une atroce guerre civile a ainsi commencé en Grèce. Elle durera jusqu’à 1949. En 1947, les Américains prirent le relais des Britanniques. Il s'ensuivit, le 5 juin 1947, le plan Marshall destiné à l'ensemble de l'Europe occidentale et en particulier à la Grèce. Les dollars se déversèrent sur le pays essentiellement au bénéfice de l'armée.
Les bombes au napalm seront testées sur les villages grecs. L’intervention de troupes spéciales formées par les États-Unis provoquera l’écrasement de l’Armée démocratique, laissant plus de 150 000 morts des deux côtés. Le conflit s'acheva par la victoire de l’armée gouvernementale qui était ainsi massivement assistée par les troupes anglaises puis américaines. Il ne pouvait pas en être autrement. Les forces en présence étaient trop asymétriques.
Plusieurs années de régimes répressifs culminant avec la dictature des colonels suivirent. La résistance n’a été reconnue officiellement en Grèce qu’en 1982.
Il faudra donc des décennies pour que le peuple anglais prenne conscience de ce qui s’est passé en Grèce. Aujourd’hui, cette vérité n’est pas acquise pour tout le monde car ce sujet est encore tabou. Il est donc utile de rappeler ce qui s’est passé. En décembre 1944, la priorité absolue de Churchill n’était pas la lutte contre le nazisme. La priorité de Churchill n’était pas de combattre l’armée allemande sur le front ouest alors bloqué dans les Ardennes. La priorité de Churchill n’était pas d’aller libérer les prisonniers des camps de concentration allemands. Non ! La priorité absolue de Churchill était de massacrer les résistants grecs qui avaient héroïquement combattu le nazisme. Telle est la réalité de l’impérialisme britannique qui comptait alors profiter encore de son colonialisme en déclin pour extorquer de la plus-value à des populations soumises par la force. Churchill considérait comme prioritaire de maintenir la zone d’influence de l’impérialisme britannique dans la partie orientale de la Méditerranée avec la Turquie, l’Egypte et son canal de Suez et la Palestine où l’embryon de l’Etat d’Israël est déjà en place. Toutes les abominations étaient permises pour cet objectif.
La résistance avait commencé avant l’occupation lors de la dictature de Metaxás et elle s’est poursuivie au cours de la guerre civile qui a fait suite à l’occupation. C’est donc au cours de la période qui va du 4 août 1936, date de la mise ne place du régime dictatorial de Metaxás, à 1949 que les trotskystes ont été particulièrement exposés à la répression de toutes les forces réactionnaires et notamment du stalinisme avec d’ailleurs beaucoup d’autres combattants.
A ce sujet, Pierre Broué écrit (Cahiers Léon Trotsky n°23 p. 50) :
« Les trotskystes ont subi à partir du 4 août 1936 une répression féroce : la grande majorité des militants a été arrêtée et ces hommes ont été jetés dans les bagnes des îles dont beaucoup ne sont pas ressortis. Plusieurs de leurs dirigeants, dont l’ancien secrétaire général su PC grec, Pantelis Pouliopoulos, ont été passés par les armes durant l’occupation. Les conditions de la clandestinité ont vraisemblablement été particulièrement dures pour eux puisqu’elles ne leur ont même pas permis de réaliser le regroupement entre leurs trois organisations qui avait été décidé au sommet en 1938 (Conférence de fondation de la IVème » internationale). Dans le meilleur des cas, les militants trotskystes connus, quand ils ont été admis dans les unités de l’ELAS, y ont été étroitement surveillés et soigneusement isolés. Ceux qui ont réussi à s’assurer une responsabilité dans le Front ou l’Armée du Peuple ont été supprimés d’une façon ou d’une autre par les staliniens. En outre, entre octobre et décembre 1944, dans tout le pays, les « oplistés », véritables agents du GPU grec, ont mené contre les trotskystes une campagne d’extermination et d’assassinat, enlevant, torturant et exécutant dans le pays entier des militants comme Stravos Veroukhis, secrétaire de l’Union des invalides de guerre, Thanassis Ikonomou, ex-secrétaire des JC à Ghizi, des ouvriers, dockers, métallos, des enseignants : « plus de 600 trotskystes liquidés » fanfaronnera en 1947 Barziotas, membre du bureau politique ».
Les résistants survivants durent s'exiler. Les militants du KKE, menacés comme les autres d’exécution sommaire s'expatrièrent avec leurs familles principalement en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie et en Tchécoslovaquie où on les surnomma les « Koukouès » (de l'épelé grec des initiales du Parti communiste : KKE). Les trotskystes qui n’ont pas émigré furent exterminés. Les tribunaux d’exception ont continué à condamner à mort des militants de diverses obédiences jusqu’en 1953. En fait, dans les camps de redressement installés dans les îles, les persécutions dureront jusqu’à la fin de la dictature des colonels en 1974. Tortures et privations étaient le quotidien des militants.
La terreur organisée successivement par l’impérialisme anglais puis par les américains est restée un sujet tabou comme d’ailleurs les assassinats des opposants à la politique stalinienne. Il est encore difficile de connaître toute la vérité sur cette répression et de faire le décompte des victimes.