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Billet de blog 24 mai 2024

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Centenaire de la naissance de Nahuel Moreno

Par Mercedes Petit, leader d'Izquierda Socialista/FIT Unidad : "De nombreux groupes et partis se réclament du trotskysme dans les pays du monde entier. Cependant, il n’y a toujours pas de Quatrième Internationale. C'est pourtant et toujours une nécessité."

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Illustration 1

La Quatrième Internationale a été fondée en 1938 par Léon Trotsky, dans des conditions d’extrême faiblesse face au pouvoir de l’appareil bureaucratique, réformateur et répressif qui, avec Staline, dominait l’ex-URSS et la Troisième Internationale. En octobre 1917, Trotsky dirigea, avec Lénine, la lutte victorieuse du Parti bolchevique et des soviets en Russie. À partir de 1924, après la mort de Lénine, Trotsky poursuivit sa lutte contre la montée de la bureaucratie. Mais Staline a gagné, persécutant toute l'opposition et particulièrement Trotsky, jusqu'à ce qu'il soit assassiné au Mexique en 1940. Privée de dirigeants suffisamment expérimentés la direction de la Quatrième Internationale a subi des crises.

Nahuel Moreno a désigné sous le vocable de « mouvement trotskyste » ce large éventail d'organisations et de dirigeants qui, depuis 1951, continue à se réclamer du trotskysme en étant dispersés depuis près de quatre-vingts ans dans des organisations qui ont des orientations divergentes. Moreno a construit un courant qui a acquis une personnalité propre quant à sa ligne politique-programmatique, méthodologique, organisationnelle et même morale et cela s'est poursuivi après sa mort en 1987.

Le « morénisme »

Tentons de résumer à grands traits l’orientation du trotskysme-morénisme. Nous pourrions commencer par dire que notre fondateur et maître a eu le grand mérite et la persévérance de combattre – même avec les erreurs et les limites qu'il a lui-même signalées – les deux grands maux qui ont empêché jusqu'à présent la construction et le renforcement de la Quatrième Internationale : l'opportunisme et le sectarisme. Moreno, pour construire des partis révolutionnaires a privilégié le lien de ses organisations avec le mouvement ouvrier et une orientation résolument internationaliste.

Le leader belge Ernest Mandel, à la suite de Pablo, a été le plus important et le plus connu des dirigeants se réclamant du trotskysme qui sont tombés dans l’opportunisme. Se référant à lui et à d’autres comme lui, Moreno a déclaré : « ils ne jurent que par le Programme de transition et ils font le contraire ». Après la Seconde Guerre mondiale, avec le juste objectif de lier la Quatrième Internationale au mouvement ouvrier et de masse, les opportunistes ont commis l’erreur – pour ne pas dire le crime – d’embellir les directions majoritaires de l’époque. Ils attribuaient des vertus révolutionnaires aux partis communistes bureaucratiques et staliniens qui dominaient l’ex-URSS et l’Europe de l’Est, au maréchal Tito en Yougoslavie, puis à Mao en Chine et à Castro à Cuba. Également aux mouvements nationalistes bourgeois qui étaient en plein essor à cette époque. Comme le FLN en Algérie avec Ben Bella, le MNR de Paz Estenssoro en Bolivie - où les partisans de Mandel ont trahi une révolution ouvrière en 1952 -, ou encore le péronisme argentin. Ainsi, ils ont abandonné la tâche essentielle de construire des partis révolutionnaires dans chaque pays. Avec cette orientation politique, la Quatrième Internationale a été condamnée à mort.

Dans un sens opposé, mais avec de nombreux points communs avec l’opportunisme, d’autres sont tombés dans le sectarisme, c’est-à-dire en ne reconnaissant pas les grandes réussites des luttes et des révolutions, même lorsqu’elles étaient menées par des directions traîtres. Le rejet de l’unité d’action et de la participation aux luttes de masse s’est imposé dans ce secteur, tombant dans la divisionnisme et l’auto-proclamation. L’une des premières et des plus importantes a été d’ignorer la victoire démocratique colossale que signifiait la défaite du nazisme et du fascisme en 1945. En Angleterre, un dirigeant important, Tony Cliff, a redéfini l'URSS comme un « capitalisme d'État », rejetant ce premier résultat de l'expropriation de la bourgeoisie de la révolution socialiste de 1917. Dans le cas de Cuba, les sectaires (Healy et Lambert) ont refusé de reconnaître la victoire de la révolution socialiste alors que l'expropriation des capitalistes fut effective depuis 1960/61. Ils ont refusé de caractériser Cuba comme étant un Etat Ouvrier. Certes, le castrisme avait un caractère initial de « mouvement démocratique populaire », encouragé par des secteurs anti-Batista mais néanmoins pro-capitalistes et par l’impérialisme yankee lui-même. Mais, sous la pression de la mobilisation populaire, Castro est allé plus loin qu’il ne le voulait au départ.

Moreno a défendu le caractère socialiste de Cuba et sa défense inconditionnelle, sans jamais renoncer aux critiques de la direction du Parti communiste cubain, de Fidel Castro et du castrisme. De même, la critique de la stratégie de la guérilla n’a pas empêché Moreno de reconnaître en la personne de Che Guevara et, au-delà de ses erreurs, un combattant cherchant à étendre la révolution cubaine à l’Amérique latine.

Deux exemples

Un exemple central du parcours de Nahuel Moreno et de ses enseignements fut sa lutte tenace pour construire un parti révolutionnaire. Le premier fut le GOM en 1944 avec une politique d’indépendance de la classe ouvrière à une époque où de nombreux travailleurs se tournèrent vers le soutien du mouvement bourgeois péroniste. Le morénisme (trotskysme) s'est forgé avec la participation aux luttes ouvrières et populaires, sans céder à l’illusion péroniste des patrons confiants et des dirigeants traîtres, mais en combattant toujours cette illusion et en exigeant l'indépendance de classe dans tous les domaines.

Comme deuxième exemple, nous pouvons rappeler l’expérience de la participation des morénistes à la lutte armée contre la dictature au Nicaragua en 1979 avec la Brigade Simón Bolívar. Depuis 1978/79, la mobilisation anti-Somoza ainsi que le FSLN (Front sandiniste de libération nationale, qui était un petit foyer de guérilla depuis plus d'une décennie) ont commencé à se propager. Moreno, sans renoncer à ses divergences et à ses critiques à l'égard de la direction réformiste et de la conciliation de classe du FSLN et de la guérilla, a promu la Brigade Simón Bolívar depuis son exil à Bogotá. Les dirigeants, militants et combattants morénistes ont rejoint cette brigade qui a participé aux combats du front sud. Ils ont réussi à prendre le port de Bluefields sur la côte atlantique en perdant malheureusement trois hommes au combat.

Illustration 2

Avant la victoire de la lutte anti-Somoza, les organisations, à travers le monde, qui se réclamaient du trotskysme avait généralement ignoré cette lutte révolutionnaire.

Après juillet 1979, la capitulation complète face au sandinisme, d’Ernest Mandel, s'est largement répandue et quand, avec l'aide de Fidel Castro, un gouvernement d'unité avec la bourgeoisie s’est mise place celui-ci a été soutenu par Ernest Mandel. Ainsi, en politique et en action, Moreno a compris la nécessaire unité d'action dans les différents processus, accompagnée de la lutte permanente pour combattre les dirigeants réformistes et traîtres de tous bords, en les affrontant jour après jour pour construire des partis trotskystes. C’était assurément la seule voie pour construire l’internationale révolutionnaire c’est-à-dire surmonter la crise de la direction révolutionnaire du prolétariat.

Nous continuons leur combat

Depuis 1987, la direction sans Moreno est tombée dans des erreurs et des déviations qui ont conduit à l’éclatement de son courant. Ceux d'entre nous qui font la promotion de l'UIT-QI et de ses sections dans différents pays depuis des années justifient pleinement ses enseignements et assument également leur autocritique pour les erreurs commises.

Dans notre politique et nos interventions quotidiennes, qu'il s'agisse des luttes ouvrières, des luttes des femmes et des dissidents, des jeunes ou de défense de l'environnement, des campagnes électorales et des différentes confrontations qu'elles impliquent contre les directions politiques et syndicales ennemies, nous cherchons à éviter à la fois le sectarisme et l'opportunisme. Les luttes sont renforcées par l’unité d’action des différentes forces, et c’est ainsi que nous la promouvons, contre toutes les divisions et les autoproclamations. Et en même temps, nous proposons notre programme, notre politique et nos méthodes, pour contester la direction de ces luttes et construire nos partis c’est-à-dire pour faire avancer le mandat de Trotsky et Moreno : surmonter la crise de leadership avec la reconstruction d’une Quatrième Internationale qui mène la révolution socialiste triomphante dans chaque pays et à travers le monde.

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