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Billet de blog 26 févr. 2023

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Guerre en Ukraine et situation mondiale

La guerre en Ukraine est une expression de la crise du système capitaliste et, à son tour, cette guerre approfondit la crise par ses conséquences politiques, économiques et sociales. Voilà essentiellement ce que nous voulons montrer.

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Illustration 1

Les conséquences de la guerre en Ukraine sont désastreuses pour la grande masse des exploités du monde entier avec la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Tout cela entraîne une nouvelle chute vertigineuse du niveau de vie des peuples du monde avec un accroissement des inégalités sociales. C’est la débâcle du système capitaliste avec l’augmentation des dépenses d’armement, l’inflation dans le monde entier et un risque de récession mondiale. Le FMI et les gouvernements capitalistes tentent de faire supporter toutes les conséquences de cette crise à la classe ouvrière mais les peuples répondent à cette offensive par des rébellions ouvrières partout dans le monde : au Liban, au Sri Lanka, en Amérique Latine mais aussi en Europe…

Toutefois, la concomitance entre l’invasion de l’Ukraine et la brutale aggravation de la crise du système capitaliste ne doit pas amener à établir une relation abusive de cause à effet. Les porte-paroles de l’impérialisme américain et européen veulent justifier cette débâcle en affirmant que tout est dû à l’invasion de l’Ukraine décidée par Poutine. Il s’agit sans aucun doute d’un facteur important. Cependant, en réalité, la guerre jette de l’huile sur un feu qui couve depuis longtemps. Le système capitaliste mondial subissait déjà une intense crise depuis le début de l’année 2007. Cette crise avait été aggravée par la pandémie de Covid avant même l’invasion de l’Ukraine.

L’invasion de l’Ukraine s’explique dans le cadre du déclin du capitalisme mondial et des affrontements entre les grandes puissances impérialistes pour le partage du gâteau. Bien avant cette guerre, la Russie, nouvellement capitaliste, a subi une grande détérioration de son économie. Poutine a dû prendre des mesures d’austérité auprès de la population avec des réformes impopulaires. Dans le même temps, il a augmenté la répression pour faire taire les protestations. Aux élections législatives de septembre 2021, son parti « Russie unie » a organisé une fraude massive avec des bourrages d'urnes et des violences dans certains bureaux de votes. Le scrutin avait été précédé d'une forte répression faisant suite aux révélations d'Alexeï Navalny sur l'existence d'un luxueux palais caché de Poutine. Ce scrutin avait aussi été précédé par l'interdiction de tout réel parti d'opposition puisque certains opposants n’ont pas pu se présenter. Malgré tout cela, le parti de Vladimir Poutine a reculé. Poutine a aussi réprimé des rébellions populaires en Biélorussie (Belarus) et au Kazakhstan. Quand Poutine décide d’envahir l’Ukraine, il veut contrecarrer la détérioration de sa position politique avec sa chute de popularité. Il pense redorer son blason en exacerbant le nationalisme russe. Il veut faire preuve d’autorité pour arracher une victoire de la « Grande Russie ». Il veut continuer sur la lancée de la guerre en Syrie où il a montré qu’il pouvait disputer la position de force aux américains.

Cette guerre approfondit la crise par ses conséquences politiques, économiques et sociales. L’économie mondiale subit une nouvelle secousse. Toutes les données montrent un nouveau recul des indicateurs des prétendues croissance et reprise dont nous avaient tant parlé les organisations au service des impérialistes. De nombreux analystes parlent déjà d’une possible récession en Europe et aux Etats-Unis. Les masques tombent et le pessimisme se répand. Jamie Dimon qui est le PDG de JPMorgan Chase Co, c’est-à-dire l’un des banquiers les plus puissants et assurément les plus payés du monde, a déclaré au journal El Pais, le 9 juillet 2022 « Les problèmes économiques ne sont pas temporaires. Les choses pourraient devenir bien pires ». La guerre en Ukraine a réellement affecté les prix des denrées alimentaires et de l’énergie puisque la Russie est un grand exportateur de gaz et de pétrole et l’Ukraine un grand producteur de denrées alimentaires.

Au milieu de la crise qui s’aggrave, le pillage impérialiste s’accroit. L’escalade inflationniste, qui appauvrit des milliards de familles de travailleurs, rapporte des profits faramineux aux grands monopoles de l’énergie, de l’alimentation et des banques. La famine ne cesse de croître avec 828 millions de personnes souffrant de la faim dans le monde en 2021, soit 46 millions de plus que l’année précédente et 150 millions de plus qu’en 2019. En 2021, 2,3 milliards de personnes dans le monde (29,3%) étaient en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave soit 350 millions de plus qu’avant le déclenchement de la pandémie de Covid (données du rapport des Nations Unies de juillet 2022). En 2022, « au moins 276 millions de personnes sont désormais confrontées à une insécurité alimentaire aiguë (…) 40 millions de personnes dans 43 pays sont au bord de la famine (…) nous sommes dans une crise sans précédent » (avertissement de l’ONU cité par le New York Times, dans Clarin, le 31 mai 2022). La guerre en Ukraine a provoqué une flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Cela amène la famine dans des pays d’Afrique comme le Burkina Faso et dans bien d'autres pays du monde.

Mais la crise a atteint aussi les pays impérialistes comme le Royaume-Uni. Les tarifs de gaz et électricité ont augmenté entre juillet 2022 et septembre 2022 de 140 %. Les travailleurs qui ont les plus bas salaires ne peuvent pas payer de tels tarifs.

La crise économique est sans issue. Elle est chronique et ses effets ne cesseront de s’aggraver. L’impérialisme et tous les gouvernements capitalistes tentent d’imposer de nouveaux plans de surexploitation capitaliste pour sortir de la crise ce qui provoque une exacerbation de la lutte de classe.

La situation internationale est donc en évolution avec cette crise du capitalisme aggravée par la guerre en Ukraine. L’exacerbation de la lutte des classes au niveau mondial est assurément un symptôme.

L’impérialisme américain reste dominant en raison de sa puissance économique et militaire mais aussi grâce aux alliances qu’il a nouées avec d’autres pays capitalistes dans le monde notamment avec l’UE (l’Union européenne). Une unité de l’Europe traditionnelle qui, contrairement à l’UE va de l’Atlantique à l’Oural, lui disputerait assurément ce rôle dominant même dans le cadre du capitalisme. Depuis la chute du bloc de l’Est, les guerres qui tourmentent cette Europe sont une planche de salut pour les USA car elles assurent qu’une unité au niveau européen ne viendra pas leur faire concurrence. Il en fut ainsi des guerres en Tchétchénie et en Yougoslavie. La guerre en Ukraine garantit aux USA de rester la puissance dominante mondiale malgré la concurrence de la Chine. Aujourd'hui, le dirigeant chinois Xi Jinping est principalement préoccupé par des questions de politique intérieure. Il veut d'abord consolider son pouvoir en interne. La Chine est maintenant plus puissante que l’URSS. Elle n’a pas dénoncé l’invasion russe de l’Ukraine se réservant ainsi la possibilité de faire bloc avec la Russie contre les USA.

Mais cette domination des USA ne garantit nullement aux dirigeants américains de pouvoir jouer le rôle de « gendarme du monde » pour ramener l’ordre quand des peuples se soulèvent. Leur départ précipité d’Afghanistan en est la preuve la plus flagrante. Au cours de la période de la « Global War » consécutive aux attentats du 11 septembre, l’armée américaine s’est embourbée dans des occupations en Irak et en Afghanistan qui ont finalement été des échecs. La période du « désengagement » qui a suivi n’a guère été plus glorieuse. Le départ de l’Irak s’est étalé sur plusieurs années sans laisser la garantie aux USA de pouvoir y exercer le moindre pouvoir. Le départ d’Afghanistan, lui aussi programmé, s’est finalement fait dans une précipitation qui a ridiculisé l’armée américaine. Cette période du désengagement a notamment été marquée par le printemps arabe puis la guerre en Syrie. Au cours de cette guerre Poutine et les dirigeants américains ont contribué ensemble à écraser la révolution syrienne. Poutine a bombardé Alep et la banlieue de Damas et les américains ont bombardé Raqqa. Les massacres de la population civile ont fait entre 300 000 et 500 000 morts. Au cours de toutes ces guerres de Tchétchénie, de Yougoslavie et de Syrie le « terrorisme-islamique » a largement été utilisé par les puissances impérialistes (USA et Russie) pour venir à bout de toutes les rebellions et révolutions. Les puissances impérialistes ont largement contribué au développement de ces extrémismes-islamiques qui leur ont ensuite servi de prétexte pour massacrer les peuples qui se révoltaient. Au cours de cette guerre de Syrie, Poutine s’est affirmé comme venant concurrencer les USA dans ce rôle de gendarme du monde. Il a renforcé ensuite cette image en « ramenant l’ordre » au Kazakhstan.

Du coup, Poutine ayant perçu la faiblesse politico-militaire des Etats-Unis, a osé tenter d’envahir l’Ukraine. En politique intérieure, il lui fallait redorer son blason en apparaissant comme le reconquérant d’un territoire de la Grande Russie. Nous avons vu en effet que sa popularité était en baisse. Rappelons ce qu’est réellement la « grandeur de la Russie » que Poutine se plait à afficher. Son économie est à peine supérieure à celle du Brésil et nous commençons à percevoir la réalité de sa puissance militaire. Son armée traditionnelle était censée disposer de technologies d’avant-garde dépassant tous les autres pays. Nous voyons aujourd’hui qu’il n’en est rien. En matière de haute technologie, Poutine est maintenant secouru par la théocratie d’Iran !

C’est donc l’expression « désordre mondial » qui caractérise le mieux la situation internationale actuelle. Aucune puissance impérialiste n’a pu prétendre assurer un rôle de gendarme du monde au cours l’année 2022 où nous avons vu les peuples se soulever dans de multiples pays. Les masses laborieuses refusent de faire les frais de la crise d’un système de domination qui pour se maintenir veut toujours exploiter davantage en plongeant les masses populaires dans des situations de plus en plus dramatiques avec notamment la famine qui menace dans de nombreux pays.

Dans la concurrence entre Poutine et les USA, Poutine pensait sortir renforcé par une victoire en Ukraine en quelques semaines. C’est l’inverse qui se produit. Dans cette concurrence c’est maintenant le bloc USA/OTAN qui est renforcé. La Finlande et la Suède vont adhérer à l’OTAN. L’armement impérialiste se développe en Europe notamment en Allemagne. L’impérialisme occidental utilise la guerre en Ukraine pour renforcer sa mainmise sur l’Europe de l’Est. Du point de vue des dirigeants des deux impérialismes cette guerre se déroule comme un jeu dont ils négocient les règles entre eux. Il n’est pas prévu que les ukrainiens détruisent le pont qui relie la Russie à la Crimée. Il n’est donc pas question de leur donner des armes à longue portée. Les américains et les dirigeants de l’UE ne verraient aucun inconvénient à ce que les ukrainiens cèdent une bonne partie de leur territoire à la Russie. A vrai dire cela les indiffère. Peu importe pour eux de savoir quels capitalistes exploiteront les travailleurs des régions concernées pourvu que l’ordre règne. Seuls les ukrainiens tiennent à conserver l’intégralité de leur territoire et ne veulent abandonner aucun des leurs à la domination russe. C’est particulièrement évident en ce qui concerne la Crimée. Les capitalistes américains et les milliardaires français, dont Macron est le porte-parole, ont tenté en vain de faire infléchir la volonté du peuple ukrainien exprimée par Zelenski. Du point de vue des USA cette guerre est très bien pour affaiblir Poutine qui est leur concurrent plus qu’il n’est leur ennemi. Ce ne sont pas les morts dans les deux camps qui vont émouvoir ni Poutine ni les dirigeants des USA/OTAN. Les massacres de la guerre en Syrie avec des centaines de milliers de morts ne les ont jamais émus. Ils ne vont pas s’inquiéter pour quelques centaines de milliers de morts supplémentaires. Les dirigeants américains ne voient que des avantages à ce que cette guerre dure longtemps. Ils sont prêts à armer les ukrainiens autant que nécessaire pour qu’ils ne se fassent pas écraser mais ils ne tiennent pas particulièrement à ce que l’Ukraine gagne cette guerre. Il ne faut pas se tromper sur la réalité de l’aide militaire envoyée par les pays occidentaux. Ce n’est que depuis peu de temps qu’il est question de fournir des chars occidentaux à l’armée ukrainienne. La plupart de leurs chars d’assaut ont été pris aux russes. Ils sont archaïques au regard des chars modernes. Les ukrainiens n’ont reçu ni drones tactiques, ni avions de chasse, ni hélicoptères, ni missiles à longue portée. Ils sont condamnés à voir leurs installations civiles attaquées par des drones russes sans pouvoir répliquer. Les occidentaux n’acceptent de leur fournir que des armes défensives. Les HIMARS qu’ils ont reçus leur sont très utiles mais ils n’en ont eu que 18 alors que les USA en ont plus de 550 en stock. Bref ! Les USA et l’OTAN pourrait très bien donner aux ukrainiens les moyens de gagner cette guère. Ce n’est pas ce qu’ils veulent faire. Les pays de l’OTAN fournissent une aide mesurée à l’Ukraine pour que la guerre dure.

La crise capitaliste frappe le monde entier. Dans sa concurrence avec les USA/OTAN, Poutine pourrait ne pas accepter les règles du jeu implicites s’il se sent par trop ridiculisé. Le contrat implicite veut que si Poutine n’utilise aucune arme nucléaire, les USA ne fourniront pas à l’Ukraine des armes capables de frapper la Russie. Poutine peut donc s’attaquer aux infrastructures civiles de l’Ukraine mais seulement avec des armes traditionnelles : missiles à longue portée, drones, bombardements. Il a la garantie que l’Ukraine ne pourra guère riposter car elle ne doit pas utiliser pour cela des armes livrées par les USA.

Le risque d’une troisième guerre mondiale avec des armes nucléaires s’accroit. Poutine réaffirme qu’il n’exclut pas le recours à l’arme nucléaire tandis que Kadyrov le demande. Cela fait partie des dangers de la décadence croissante du capitalisme. Plus que jamais, nous sommes face à l’alternative « Socialisme ou Barbarie ».

Les révolutionnaires sont opposés à toute forme d’armement impérialiste, nous sommes pour la dissolution de l’OTAN et la suppression de ses bases militaires dans le monde. Nous sommes aussi pour la suppression des bases militaires russes en territoire étranger. En voici une liste :

  • Tartous : base navale militaire russe en Syrie.
  • Hmeimi : base militaire aérienne russe en Syrie.
  • Sébastopol : base navale militaire russe située en Ukraine-Crimée.
  • Guioumri : base russe en Arménie qui a ouvert deux « positions d’appui » dans le sud du pays, à la frontière avec l’Azerbaïdjan.
  • Bambora et Gudauta : deux bases militaires aériennes russes placées sur le territoire géorgien. En fait la Russie considère qu’il s’agit du territoire de l’Abkhazie qu’elle est la seule à reconnaître comme étant un territoire indépendant.
  • Otchamtchira : base militaire navale russe également sur le territoire de la Géorgie-Abkhazie. Elle est donc au bord de la Mer Noire, en eaux peu profondes, et ne peut donc accueillir que des petits bâtiments.
  • La Biélorussie (ou Bélarus), en principe, n’héberge pas de bases militaires russes mais nous savons tous que Poutine y a massé des troupes en grand nombre quand il a décidé d’envahir l’Ukraine.

La question de la crise de la direction révolutionnaire reste le point faible pour la classe ouvrière et les peuples du monde. Les révolutionnaires interviennent dans les luttes pour que se dégagent de nouvelles directions contre les anciens appareils passés du côté de l’ordre bourgeois. Nous sommes pour l’unité de la classe ouvrière avec toutes ses organisations dans son combat contre les exploiteurs.

L'UIT-QI et l’AGIMO continuent d’apporter leur soutien à la résistance du peuple ukrainien pour vaincre les envahisseurs. Nous soutenons aussi les protestations et la mobilisation de la classe ouvrière, de la jeunesse et du peuple russe contre la convocation de centaines de milliers de réservistes, contre la guerre et pour la liberté des prisonniers politiques.

L’AGIMO propose que les organisations ouvrières ukrainiennes lancent un appel aux travailleurs russes pour qu’ils disent : Non à la guerre ! Non à Poutine !

Jean Dugenêt, pour l’AGIMO.

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