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Billet de blog 2 juillet 2017

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Pour des formes syndicales en rupture avec les hypocrisies du "dialogue social"

Quand va-t-on en finir avec ce bout de chiffon qu'on continue pudiquement d'appeler le dialogue social ? Face à un gouvernement Macron qui emploie les mêmes méthodes de management que les chefs d'entreprises du CAC40, il serait grand temps que les syndicats dépassent leurs petites peurs de perdre leurs derniers adhérents, et aient le courage de renouer avec un vrai syndicalisme de rupture.

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Quand va-t-on en finir avec ce bout de chiffon qu'on continue pudiquement d'appeler le "dialogue social" ? Tout ce battage médiatique autour des "lois travail" (versions 1, 2, 3...) et des ordonnances (dont on sait très bien que Macron en usera et en abusera) est d'une hypocrisie qui devient insupportable. J'ai un peu d'expérience syndicale, suffisamment pour comprendre, par expérience, que le gouvernement Macron emploie les mêmes méthodes de management et de "dialogue social" que les dirigeants dans le monde du CAC40. Ces pratiques ne sont qu'une façade de démocratie, elles ne font que révéler de façon évidente la dissymétrie des rapports de force socio-économique.

En face de cela, je ne peux pas croire que les syndicats (qu'on dit "représentatifs") soient assez naïfs pour se faire avoir à chaque fois de la même façon ! A chaque étape du "dialogue social" c'est toujours le même cinéma: on les voit ressortir des réunions de "concertation" et de "négociation" en murmurant les mêmes petits mots de "vigilance", annonciateurs des pires compromissions, avant de feindre, quelques semaines plus tard, de découvrir un nouveau lézard que la direction - pardon le gouvernement - leur avait caché jusque là... A la longue, ces ficelles et ces pudibonderies n'illusionnent plus personne... et en tout cas, pas le salarié de base qui a souvent plus d'instinct que les "professionnels de la profession".

Je pose donc cette question: quand les syndicats (ceux-là qui, disais-je, arborent l'étiquette officielle de la "représentativité") vont-ils sortir de ces misérables jeux de dupes et pratiquer la chaise vide ? Je crains, hélas, que cette pantalonnade qu'est devenu le "dialogue social" ne perdure ad nauseam,. Pour en finir avec cette nausée, il faudrait que le syndicalisme rompe enfin avec cette ultra-institutionnalisation qui le gangrène et le paralyse... Qui aura le courage de reconnaître qu'à ce stade d'institutionnalisation il n'y a plus d'issue et qu'on ne sortira pas du rouleau compresseur néolibéral Medef/Sarkozysme/Hollandisme/Macronisme ? Certes le risque de la chaise vide et de la "radicalisation" est de perdre les quelques adhérents qu'il reste aux organisations syndicales, mais ce risque ne justifie pas de continuer à jouer un jeu de dupes qui décourage tous les salariés et les conforte dans la passivité!

Je ne vois pas de salut en dehors de cela: le courage de rompre avec ce soi-disant "dialogue social" et jeter ce mot aux oubliettes de l'histoire... Pour mieux se concentrer sur un véritable syndicalisme de rupture (qui est entièrement à rénover et à repenser...). On attend de nos "dirigeants syndicaux" actuels qu'ils renouent avec ce qui a fondé le syndicalisme, à la fin du 19è siècle, à l'époque où tout était à faire. Ces pères nous ont légué un héritage précieux, que nos classes dirigeantes et leurs médias désignent aujourd'hui de ce mot dépréciateur: "les acquis sociaux". Ces "boulets" dont le Medef voudrait se débarrasser une bonne fois pour toutes, probablement jusqu'à faire retourner les enfants au charbon... On attend que le syndicalisme jette aux orties cette culture du compromis et de la compromission qui s'est infiltrée dans ses veines depuis des décennies. 

Certes, l'obstacle est de taille : les "classes moyennes", gavées depuis soixante-dix ans dans la gabegie du grand marché, n'ont plus, dans leur majorité, le courage de se battre pour maintenir les droits que les aînés avaient conquis de haute lutte. Les salariés d'aujourd'hui sont trop peu nombreux à répondre aux appels à la grève, à descendre dans la rue et à braver les polices de l'état d'urgence permanent qui s'installe. Mais le danger policier reste pour l'instant un alibi qui masque le coeur du problème: comme le prophétisait Tocqueville, "dans les sociétés démocratiques, la majorité des citoyens ne voit pas clairement ce qu'elle pourrait gagner à une révolution, et elle sent à chaque instant, et de mille manières, ce qu'elle pourrait y perdre". Faudra-t-il donc attendre que les classes moyennes d'aujourd'hui retombent dans la misère pour se réveiller ? Faudra-t-il que les masses retombent dans l'esclavage doux prophétisé par Tocqueville, qu'elles se laissent cuire à feu doux comme les crustacés, pour que les organisations syndicales prennent la mesure de cette lente agonie et se jettent enfin à l'eau, comme leurs ancêtres ont eu le courage de le faire ?

Un syndicalisme digne de ce nom serait, pour moi, celui qui laisserait de côté les petits calculs tactiques et les réflexes de la communication institutionnelle. Qui quitterait pour de bon la table du "dialogue social". Qui se mettrait au travail, c'est-à-dire le travail de terrain mais aussi le travail de réflexion, de théorie, de recherche. Je n'ignore pas que de nombreux syndicalistes "de base" font, ou essaient de faire, ce genre de travail, là où ils sont, souvent avec l'énergie du désespoir. Je les salue. Ce n'est évidemment pas ceux-là que je critique (quoique certains, sur le terrain, ont appris eux aussi à se donner bonne conscience et à se persuader qu'ils font un "vrai travail", quand ils pratiquent eux aussi, à leur niveau, une forme de "dialogue social" d'allégeance et de compromission...). Ce sont d'abord les leaders qu'il faut incriminer, on l'aura compris en lisant ces lignes... Ceux-là que l'on voit chaque jour sur les écrans, monter et descendre les marches des palais gouvernementaux. Ceux-là qui ont trop bien appris à faire des discours, à l'image de leurs alter ego ministériels et médiatiques. Ceux-là qui ne semblent plus capables de se souvenir d'où ils viennent et pourquoi ils sont là...

Il est vraiment temps de casser les appareils construits ces dernières décennies, et de reconstruire de nouvelles formes de lutte, plus adaptées aux formes d'action qui se sont développées ici ou là, dans la proximité directe et le rapport de force contre les oligarchies. Le syndicalisme doit redevenir "activiste", se défaire de ses enfermements, notamment de son corporatisme, se rapprocher des actifs de la "société civile", notamment ceux qui luttent pour sauvegarder cette planète et pour que l'être humain y ait encore un avenir. Dans ce monde qui est menacé de disparition, le "travail" et, de façon générale toutes les activités économiques, peuvent et doivent être repensés et réorganisés de fond en comble, mais pas seulement pour des motifs de justice sociale: peut-être avant tout, parce qu'il y va de l'avenir de l'être humain sur cette vieille terre.

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