Nous sommes à J-3 d'un événement qui secoue la France et « passionne » la planète (pas pour longtemps, rassurons-nous). Au milieu du déluge médiatique, c'est la panique générale. Il y avait longtemps que les Français n'avaient pas eu aussi peur. Pas étonnant, après des décennies de marchandisation des affaires humaines et de déni des dangers que nous créons nous-mêmes. La grande peur est de retour. Plus rien ne nous touchait vraiment, dans nos tripes, depuis bien longtemps, au point que nous avions oublié. Nous réagissions à tout et à rien, nous absorbions les flux d'informations quotidiens, éprouvions des "émotions" bien maîtrisées, bien canalisées, face aux horreurs et aux malheurs qui frappent les 9/10e de la planète.
Et là, tout à coup, voilà que le malheur pourrait bien nous tomber sur la tête, un 7 mai (veille du jour de la Victoire…). La gauche, en particulier, qui ne vibre plus depuis des décennies aux chants, ou aux sirènes, du Socialisme (le "vrai", celui qui avait traversé le continent européen, de Madrid à l'Oural, pendant plus d’un siècle), et qui s'était assoupie depuis des décennies, se réveille en état de choc : est-ce un cauchemar, est-ce la mort clinique ? En tout cas, c'est brutal, bien plus brutal qu’en 2002 : demain peut-être, nous serons plongés à nouveau dans la barbarie chez nous (comme si la barbarie avait cessé de faire ses ravages, mais, comme disait Brassens, "de mort lente"... ). Les chiffres sont là, sous nos yeux : ils pourraient, ou peut s’en faudra, nous tomber dessus dimanche soir…
Donc, en cet instant de suspension du temps, je voudrais, avec juste un peu de raison, tenter de regarder concrètement ces chiffres qui tout à coup, pourraient bien faire tomber le couperet du mauvais côté - "à une voix près" comme certains disent, sans se rendre compte qu'ils participent à l'hystérie générale.
Petite analyse de la simulation du 2nd tour en se projetant le 7 mai au soir :
J’ai effectué il y a quelques jours une simulation du 2nd tour, qui reste pratiquement inchangée au vu de la séance d’hier soir (cf. tableaux plus loin). Passons sur cette séance (je propose d’ailleurs de radier le mot « débat » du vocabulaire politique jusqu’à nouvel ordre). On ne peut guère en tirer de conclusion quantitative sur le scrutin de dimanche, mais plutôt mythologique : ce spectacle montre exactement ce qu’est devenue la « démocratie » dans ce pays, comme d’ailleurs ça a été le cas en Grande-Bretagne, aux USA, et dans tous les « grands pays » de notre monde globalisé par la finance et la guerre de tous contre tous… La « politique » culmine désormais en un face-à-face monstrueux entre une hydre à cent têtes et un game boy de jeu vidéo...
Regardons un peu ce qu’on peut tirer de ma simulation du 2nd tour (dont je décrirai la méthode plus loin), en prenant le risque de se tromper.
I. Enseignements du 2nd tour
Oui je sais, c’est un peu culotté, et il y en a qui n’ont pas envie de tenter le diable ! Mais mon propos est de désamorcer la panique générale des gens de gauche et de garder la tête froide face aux événements, fussent-ils très inquiétants.
1° Macron l’emporterait avec une majorité comprise entre 55% et 63% (médiane à 58-60%) des suffrages exprimés (je pense avoir forcé le trait en prenant un parti d'ensemble plutôt pessimiste, pour m'approcher au plus près du seuil de panique. Vu la situation actuelle, mieux vaut se tromper dans ce sens que dans le sens contraire...).
2° Dans le scénario « pessimiste », Macron terminerait à 55% des suffrages exprimés, ce qui indique qu’il faut garder un peu la tête froide face au vent de panique généralisé. Cette panique est compréhensible, mais on ne peut pas faire comme si elle n'était pas entretenue par la presse pour inciter les Français à élire Macron avec le plus de légitimté possible (elle sera de toute façon limitée).
3° L’incertitude des électeurs de Mélenchon, qui est agitée tous les jours comme un chiffon rouge, doit être relativisée, car il y a de toute façon un partage dans la douleur qui a peu de chance de basculer dans un sens ou dans l’autre en quelques jours. La simulation montre que, même en supposant que le report sur Macron oscille entre 50% et 35% de ces électeurs, l’incidence sur le résultat n’est que de 1,4% sur le score final de Macron ! (ainsi, dans le scénario médian, si on fait varier ce paramètre entre 0,5 et 0,35 on passe de 59,5% à 58%).
4°. Dans tous les scénarios, l’abstention risque d’être assez massive : entre 30 et 32% soit près du tiers du corps électoral ! (environ 15 millions à comparer aux 31-33 millions de suffrages exprimés et aux 47 millions d’inscrits).
5° Les abstentionnistes représenteraient ainsi plus que les électeurs de Le Pen, et un peu moins que ceux de Macron (qui est censé « rassembler » autour de lui un front républicain, et en tout cas ceux qui ont le « sens des responsabilités » face au « danger absolu »). Si cela se confirme, ça n’empêchera pas la cohorte des « analystes » de citer partout le chiffre de 30% d’abstention et par ailleurs le chiffre de 40% de Le Pen au second tour : beau tour de passe-passe prévisible, qui placera les 15 millions d’abstentionnistes derrière les 13 millions de votes Le Pen du 2nd tour !...
6° Les abstentionnistes représentent-ils pour autant la deuxième force du pays ? Peuvent-ils potentiellement un jour se rassembler, et devenir une force qui monte et qui peut changer les choses ? Rien n’est moins sûr… Si on analyse la composition de ces 15 millions d’abstentionnistes du 2nd tour, que trouve-ton ? 3 à 3,5 millions d’électeurs de Mélenchon + 2 à 2,3 millions d’électeurs de Fillon + 8 à 9 millions d’abstentionnistes inconditionnels du 1er tour qui ne se sont pas « mobilisés » au 2nd tour (ils étaient 10,5 millions au 1er tour). Difficile d’être plus composite…
Je pense donc qu’on ne pourra pas tirer de conclusions du haut niveau des abstentions du 2nd tour avant l’issue de la campagne présidentielle. C’est plutôt sur le noyau du 1er tour qu’il faut compter (Mélenchon + Hamon).
7°. Macron et ses amis vont prétendre gouverner la France en se basant sur seulement 4 millions d’électeurs environ (la moitié de ceux qui l’ont choisi dès le 1er tour ont fait un vote utile…). Soit une représentativité de 4/47 = 8% des citoyens adultes français…
8° Avec cette légitimité de 8%, le club de la haute finance ne va pas manquer, le 7 mai au soir, de s’exclamer sur le triomphe de Macron, qui aura « rassemblé » autour de lui, en un temps éclair, environ 60% des électeurs : Rastignac et Superman réunis. Il aura « fait voler en éclats l’héritage de l’histoire politique de la cinquième république » (Bien que le candidat Macron n’ait pas l’air décidé à remettre en cause celle-ci… Bizarre…). Avantage pour cette même classe (les "prédateurs au pouvoir" étudiés par le couple Pinçont-Charlot) : finie la politique, et vive la technique économique ! ça méritera un prix Nobel (de politique ?) qui reste à inventer...
9° Ce cri du cœur sera bien sûr tempéré par la référence à Chirac en 2002 avec ses 82% face à LePenPère, et la presse bien pensante ne se privera pas d’adresser au futur gouvernement son agenda ultra-prioritaire : 1° l’impératif sécuritaire absolu pour contenir les hordes de l’extrémisme et les hordes barbares en général (celles-là même qu'on reproche au FN de vouloir tenir à distance et que l'on va continuer de plus belle à susciter...), 2° la nécessité de tenir compte aussi de la contestation sociale, qui risquerait de « basculer » vers « l’extrême gauche ».
10° Le double K.O. que provoqueront le « score historique » du FN et le « taux record d’abstention » sur la Ve République (ses institutions et ses partis) va plonger les médias et toute la classe politique dans des abîmes de perplexité. Heureusement, nos élites politiques n'ont pas attendu le 2nd tour pour se reposisionner plus vite qu'un nid de fourmis: de Dupont-Aigan à Ségolène, Valls, etc...
11°. Au fait, quand tout cela se produira, le soir du 7 mai, le cri à l'unisson de la « gauche » sera à peu près : « Le pire est évité ! En cette épreuve, nous avons fait preuve de responsabilité et de courage. Mais le combat ne fait que commencer, soyons vigilants et mobilisés » !……. A suivre……
II. Méthode de la simulation et tableaux des trois scénarios
La méthode est simple et pragmatique, et chacun pourra juger de son intérêt (notamment en comparaison aux sondages, dont elle peut constituer un utile complément). Il s’agit simplement de simuler les reports de voix du 1er au 2nd tour, pour chacun des 11 candidats du 1er tour, et d'additionner l'ensemble, puis d'observer les effets de chaque variable sur le résultat global (par exemple, au hasard, les effets des électeurs indécis de Mélenchon).
2. Pour chacun des candidats du 1er tour, je pars de l’hypothèse d’une valeur médiane probable, répartie à peu près comme suit (ces valeurs sont bien sûr empiriques, elles résultent de ce que je peux comprendre et savoir de chacune de ces familles d’électeurs, modulées par diverses informations) :
- Fillon : 33% de reports sur Macron, 33% sur Le Pen, et 33% d’abstentions
- Mélenchon : 40% de reports sur Macron, 15% sur Le Pen, 45% d’abstentions
- Hamon : 100% de reports sur Macron (eh oui, quoi!)
- Abstentionnistes : 10% se mobilisent sur Macron (le sursaut), 5% sur Le Pen, 85% persistent et signent.
3. Je fais ensuite varier les valeurs des reports autour de leurs valeurs médianes, pour obtenir le scénario « pessimiste » et le scénario « optimiste » (bien sûr on peut inverser le sens des mots optimiste et pessimiste selon son propre point de vue, mais là, c'est une autre histoire...). Par exemple j'observe l'effet d'une variation des reports Mélenchon vers Macron de 50% à 35%, comme indiqué plus haut.
Malheureusement je n'ai pas trouvé le moyen d'insérer les tableaux... Je les tiens à disposition sous Excel en attendant que Mediapart me les demande ou m'indique le moyen d'insérer ces tableaux dans ce billet...