Je me permets de répondre ici à une vidéo de franceinfo video, intitulée : « Quel rôle l'abstention pourrait avoir dans l'élection ? » diffusée hier, 5 mai 2017, à 9h02, à deux jours du 2nd tour des élections présidentielles. Cette vidéo a été vue par 500 000 internautes sur Facebook...
Je suis désolé de vous dire en préambule que votre démonstration mathématique est un enfumage total (ce dont je veux bien ne pas vous tenir trop rigueur, si j’étais sûr que c’est pour la bonne cause)… Qu'on en juge. Pour cela, suivons votre « démonstration » pas à pas, sans utiliser la poudre aux yeux des équations. Vous allez voir que tout le monde pourra comprendre très facilement, sans avoir besoin du certificat d’études en maths.
Voici ce que vous prétendez nous démontrer. Sur une population de 100 votants, le sondage nous dit que Macron aurait actuellement 58 électeurs potentiels et Le Pen en aurait 42. Pour faire peur à tout le monde, vous supposez alors que 35% des électeurs potentiels de Macron décident soudain de ne pas se déplacer, tandis que du côté de Le Pen il n’y en aurait que 10% qui au dernier moment n’iraient pas voter. Au vu de ces chiffres, en effet, Macron ne se retrouverait plus soudain qu’avec 0,65x58 = 37,7 électeurs, pendant que Le Pen se retrouverait avec 0,9x42 = 37,8… Horreur, la voilà élue, de justesse !
Nous sommes d’accord que c’est bien votre raisonnement ? C’est bien cela que vous voulez faire comprendre aux Français ? Eh bien, c’est tout simplement abracadabrant ! Cela ne peut tout simplement pas avoir lieu, si ce n’est dans le monde de Lewis Caroll, où tout est toujours possible !
Votre exemple se veut ultra pédagogique. Vous partez du sondage : sur 100 personnes, 58 ont déclaré leur intention de voter Macron et 42 pour Le Pen. Or voilà que tout à coup, par un terrible coup du destin, vous êtes en train de nous dire que, parmi les 58 personnes qui, hier, ont déclaré leur intention de voter pour Macron, 20 d’entre elles (58-38) se désisteraient d’ici dimanche ! Vraiment pas de chance…
Pour que cela se réalise, il faudrait donc que ces 20 désistés de la dernière heure soient tous des menteurs, qui auraient déclaré leur intention de voter Macron dans le seul but de faire mentir les sondages. Ou bien, il faudrait que ce soient des citoyens très, très indécis, qui tout à coup n’auraient plus peur de voir Le Pen gagner dimanche, et qui au dernier moment s’abstiendraient ! Il faudrait en outre que ces gens soient aussi des menteurs qui auraient caché leur indécision dans leurs réponses au sondage…
Tout le monde peut se rendre compte, sans aucune équation, que votre scénario est tout simplement abracadabrant. Je crains que votre expert en sciences politiques ne soit à la fois nul en maths, nul en sociologie, et aussi en psychologie… Ou alors, c’est vous qui êtes d’une crédulité infinie (et par la même occasion les 8000 internautes de facebook qui ont partagé votre vidéo).
En tout cas, je ne vous félicite pas de jouer ainsi sur les peurs des citoyens ! Ah, mais, à propos, je suppose que vous faites tout cela « pour la bonne cause » ? Je veux bien, car pour tout vous dire, je n’ai vraiment pas envie de voir le FN prendre le pouvoir en France ! Mais je ne suis pas sûr que vos lecteurs et vos auditeurs apprécient de se faire prendre pour des ânes…
Bon, pour vous montrer ma bonne foi, permettez-moi de vous aider à vous sortir du pétrin. Car il y a peut-être un moyen d’arriver à votre résultat sans faire d’enfumage. Voyons cela…
Les 17 voix (sur 100) que Le Pen a besoin de trouver pour dépasser Macron (42+17 = 59 > 58, ça c’est des maths élémentaires), où est-ce qu’elle pourrait bien aller les chercher ? Votre game boy ne le dit pas ! Quel dommage. Pourtant, dans la vraie vie, il faut, justement, les chercher parmi les personnes qui se déclarent abstentionnistes – ceux-là mêmes que vous voulez convaincre d’un sursaut responsable !
Vous avez oublié que, dans la vie réelle, au-delà des 58% de sondés qui déclarent leur intention de voter pour Macron et des 42% pour Le Pen, le sondage a nécessairement aussi dénombré des abstentionnistes. Voyons un peu cela.
Supposons que ceux-ci soient de l’ordre de 25%. Si vous aviez été moins négligent, vous les auriez fait apparaître, ces 25%. C’est ce que nous allons faire. Il faut donc les ajouter à nos 100 électeurs de tout à l’heure. Combien en aviez-vous donc oubliés ? Eh bien à peu près 33. Le calcul est, là encore, très simple (pas besoin d’équations à deux inconnues) : Si nos 100 électeurs représentent 75% des inscrits, cela veut dire que pour arriver à 100% des inscrits il en faut 133 (100/133 = 75%).
La tâche qui reste à Le Pen d’ici dimanche consiste donc à aller chercher 17 votes manquants parmi les 33 oubliés dans votre exemple (58+42+33=133, j’espère que vous suivez). Il va falloir se lever de bonne heure : car vous voudriez maintenant nous persuader que la moitié des gens qui déclarent s’abstenir (17 sur 33), vont d’ici dimanche changer d’idée et voter, tous comme un seul homme, pour Le Pen ?!
Voyons la chose un peu concrètement : il y a 47 millions d’inscrits en France, donc les 25% d’abstentionnistes présumés représentent un peu moins de 12 millions d’inscrits. Et vous (pardon, le FN, en fait), vous avez besoin d’aller en chercher 6 millions, que vous allez convaincre en deux jours de changer d’avis ! Pire : vous allez convaincre ces 6 millions de gens, qui a priori ne veulent pas voter, de venir tous, en rang d’oignons, se bousculer pour voter tous pour Le Pen, dimanche ?
Eh bien, si vous avez la recette pour y arriver, faites-vous embaucher par le FN, car ils vous paieront un prix d’or !! Quand on pense qu’il leur a fallu des décennies pour arriver à réunir 7 millions de suffrage au 1er tour ! Vous, vous avez une recette diabolique pour doubler leur pactole ! Vous êtes un génie de la politique…
Permettez-moi de vous dire, pour conclure, que votre vidéo a tout de même été vue par 500 000 personnes… Combien de like ? 2500. Et 8000 partages. Que faut-il penser d’une société où nous sommes enjoints, chaque jour, de nous comporter comme des moutons de Panurge ? Franchement, est-ce vraiment cela, la démocratie ? Je ne dis pas que ce soit intentionnel. Mais faut-il, lorsqu'on se pique de la défendre à hauts cris (ce qu'on a bien raison de faire), cette démocratie, se résoudre à la trahir par ce genre de manipulations ?