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Billet de blog 6 mai 2017

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Aurons-nous réussi à partager nos choix, sans nous déchirer ?

Une amie m'a envoyé hier ce message : "Donc si je comprends bien, tu comptes sur moi dimanche pour que le FN ne passe pas ? Et si je n'y vais pas non plus (on ne sait jamais, tu m'as peut-être convaincue), on fait comment ? " Sa question est incontournable, et elle résume en quelques mots le dilemme qui se pose pour des millions de Français de gauche.

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La question de cette amie est incontournable, et elle résume en quelques mots le dilemme qui se pose pour des millions de Français de gauche, à la veille du 2nd tour des présidentielles. Voici ce que je lui réponds: partageons le fardeau, toi tu t'occupes de faire barrage à Le Pen et moi je m'occupe de ne pas donner une carte blanche à Macron (il est certes brillant dans son genre, je l'ai écouté ce soir sur Mediapart, c'était d'un autre niveau que la séance de l'autre jour face à LePen ! mais son projet consiste à gérer la France comme on gère une entreprise, et je m'oppose à la politique qu'il annonce et à ce qu'il représente: la haute bourgeoisie internationale et son emprise sur le monde, la compétition économique, ce qu'il appelle la "liberté"; une liberté de "libérer les talents" individuels au détriment des plus faibles...).

Je précise que si je continue à opter pour l'abstention, en ce qui me concerne, à titre strictement personnel, en me gardant bien d'en faire un mot d'ordre, je suis conscient que c'est un risque énorme, et j'essaie de garder raison pour évaluer ce risque, avec toutes les informations dont je dispose... Me tromper serait tragique... A ce stade, à la veille du 2nd tour, j'ai de bonnes raisons de penser, avec une confiance suffisante, qu'ils ne vont pas "laisser passer le FN", ceux qui, comme moi, refusent de nous livrer en masse à ces "prédateurs" qui sont derrière le projet de Macron.

Les millions de gens qui se situent dans une gauche de résistance ont le droit de ne pas céder à ce qui est devenu un pur chantage: "c'est moi ou Le Pen, alors vous n'avez pas le choix, nous dit Macron". Beaucoup de gens sont soit moins informés, soit plus mitigés, soit plus modérés dans leur "non", ou même sont en phase, en adhésion avec le programme de Macron. Ils sont suffisamment nombreux pour l'élire. A ceux-là je dis: donnez-lui votre suffrage pour faire barrage à Le Pen !

Mais je leur dis aussi, comme à toi et à d'autres amis : Moi, je ne digère pas l’état d’urgence permanent et l’état de peur hystérique savamment entretenu pour prendre la population en otage, car ça c’est déjà du FN (Macron n'a pas caché que, si les experts le lui conseillent, il le maintiendra).

Je ne digère pas qu’on pousse des hauts-cris au sujet des « actes d'une rare violence » à propos d’une chemise arrachée, quand, de surcroit, quelques minutes avant, les mêmes cadres (sur une vidéo diffusée sur facebokk) prenaient des mines incroyables de supériorité et de dédain devant une syndicaliste qui leur demandait simplement de l’écouter. Je ne digère pas les manifs interdites et les assignations à résidence des écologistes qui ont bravé ces interdictions. Il faut un peu de désobéissance civile, quand on pense qu'un gouvernement privilégie la peur à la justice.

Les gouvernements de Sarkozy et hélas aussi de Hollande ont fait le lit de la montée de l'extrême-droite, avec une certaine passivité, il faut bien le dire, de la majorité de leurs concitoyens. A l'échelle de l'UE je ne peux non plus digérer le sort qui est fait au peuple grec par une Troïka à laquelle Hollande et bientôt Macron, je le crois, sont au service. Tous ces dirigeants politiques et la haute finance internationale qu'ils servent sont pleinement responsables de la montée des extrémismes, car ils l'ont fait sciemment, en renonçant aux idées du vrai socialisme historique; et ils ne l'ont pas fait parce qu'il n''y a pas d'autre possibilité : ils l'ont fait car ils sont au service de cet impérialisme que nous sommes assez nombreux à trouver totalitaire. Et je ne parle pas des ravages de cette haute finance sur l'écosystème dont dépend l'avenir des hommes et des animaux...

La liste de ces ravages serait longue, très longue, et si ceux qui comme toi vont se résigner à aller voter dans la douleur, mon abstention, c'est aussi très lourd compte tenu du risque pris. Il ne faut donc pas se diviser sur ce choix brutal et impossible, mais simplement "partager" nos suffrages (et nos points de vue). En conclusion, je ne pense pas comme Thomas Piketty qu'il faut, au motif d'"écraser Le Pen", accepter d'acclamer Macron, pour la raison que, malheureusement, le mal est déjà fait, le virus est là, pour les raisons que j'ai évoquées trop brièvement plus haut... Voilà en bref.

Je ne dis pas que c'est la seule position possible, comme je le disais plus haut, cela dépend du degré de colère qu'on a contre ce que porte le projet Macron. C'est comme un équilibre assez terrifiant entre d'un côté la peur (le FN) et de l'autre côté la colère. Et comme ce sont deux émotions fondamentales, il faut les respecter toutes les deux, car sinon nous allons tous continuer à glisser lentement mais sûrement dans la peur généralisée, en acceptant de la laisser prospérer en nous sous la forme du chantage : "no alternative" nous dit-on, depuis des décennies. ça ne pourra pas durer, de toute façon. J'espère surtout ne pas t'avoir convaincue de changer ton choix, mais d'avoir compris ma position.

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