On ne combat pas le terrorisme en perpétrant un massacre de masse ! C'est faire le jeu de l'islamisme, hélas, car c'était le plan du Hamas en perpétrant le massacre du 7 octobre... Eternel piège de la vengeance... Ce qui se passe en ce moment dépasse l'entendement. Ce mot, "entendement", n'est pas de circonstance. La pensée s'éclipse... La vengeance aveugle et sourde du gouvernement israélien se limite à cette obsession: "éradiquer le Hamas". A n'importe quel prix.
Une telle fureur, qui n'est accessible à aucune raison, à aucune pensée, ne peut voir l'absurdité de son but : à supposer qu'elle parvienne à supprimer les chefs du Hamas, comment ne pas voir que, chez les Palestiniens et nombre d'Arabes et de musulmans, la rancoeur et la haine vont s'imprimer dans les coeurs pour des décennies, avec des conséquences à l'infini, pas seulement bien sûr en Israël... Encore des décennies de vengeances et de contre-vengeances successives. Des décennies de réflexes sécuritaires, de clivages identitaires, d'actes de "radicalisme" isolés ou organisés. Des décennies de violence, de peur, de repli...
Cela, on peut le comprendre assez facilement de l'extérieur. C'est assez facile, et il est donc assez délicat de juger... Ou alors, on prend parti, de façon binaire, sous l'injonction, si contemporaine, du binarisme : soit on prend cause pour les Palestiniens, et l'on est vite accusé de soutenir l'islamisme radical et d'être antisémite ; soit ont défend... qui donc : les victimes du 7 octobre ? Le "peuple" israélien ? L'Etat israélien, son gouvernement, y compris les fondamentalistes incompétents qui entourent Netanyahou ? Les Juifs en général ?... et alors on est dans le camp des "riches" contre les "pauvres"...
Donc, quand on est à l'extérieur de ce clivage, que fait-on ? On se rabat sur l'indignation, qui n'a pas besoin de courage - et qui est compatible avec l'égoïsme, la protection de ses propres intérêts... Que dire, que faire ? Ce qui s'ajoute au tragique de tout cela, c'est que nous, les humains, collectivement et souvent individuellement nous ne sommes pas capables de tirer des leçons de la haine et de la violence. Mais cela on l'a toujours su, depuis Thucydide...
A ce sujet, personne sans doute n'a aussi bien décrit l'aveuglement de la force brute que l'immense philosophe Simone Weil (née en 1909 dans une famille d'origine juive et morte chrétienne en 1943), dans ce texte extraordinaire intitulé "L'Iliade, ou le poème de la force". Autant d'intelligence combinée à autant de sensibilité est une coïncidence rarissime. On peut considérer Simone Weil (avec un W) comme l'un (et pas seulement l'une...) des plus grands philosophes de toute l'histoire, depuis Platon. Il faut la lire et la relire... Voici ce qu'elle dit dans ce petit essai à propos de la force aveugle :
"La force, c'est ce qui fait de quiconque lui est soumis une chose. Quand elle s'exerce jusqu'au bout, elle fait de l'homme une chose au sens le plus littéral, car elle en fait un cadavre. Il y avait quelqu'un, et, un instant plus tard, il n'y a personne. C'est un tableau que l'Iliade ne se lasse pas de nous présenter..."
"Aussi impitoyablement la force écrase, aussi impitoyablement elle enivre quiconque la possède, ou croit la posséder..."
"Si tous sont destinés en naissant à souffrir la violence, c'est là une vérité à laquelle l'empire des circonstances ferme les esprits des hommes. Le fort n'est jamais absolument fort, ni le faible absolument faible, mais l'un et l'autre l'ignorent. Ils ne se croient pas de la même espèce ; ni le faible ne se regarde comme le semblable du fort, ni il n'est regardé comme tel.
Celui qui possède la force marche dans un milieu non résistant, sans que rien, dans la matière humaine autour de lui, soit de nature à susciter entre l'élan et l'acte ce bref intervalle où se loge la pensée. Où la pensée n'a pas de place, la justice ni la prudence n'en ont.
C'est pourquoi ces hommes armés agissent durement et follement. Leur arme s'enfonce dans un ennemi désarmé qui est à leurs genoux ; ils triomphent d'un mourant en lui décrivant les outrages que son corps va subir ; Achille égorge douze adolescents troyens sur le bûcher de Patrocle aussi naturellement que nous coupons des fleurs pour une tombe. En usant de leur pouvoir, ils ne se doutent jamais que les conséquences de leurs actes les feront plier à leur tour. "
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Difficile de ne pas penser à ce que fait l'appareil d'Etat d'Israel à Gaza en ce moment... "l'empire des circonstances ferme les esprits des hommes...."
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Petit rappel biographique, sur le site de la BNF (https://www.bnf.fr/fr/simone-weil-la-pensee-en-action#:~:text=N%C3%A9e%20%C3%A0%20Paris%20en%201909,sa%20carri%C3%A8re%20dans%20l'enseignement) :
Née à Paris en 1909 dans une famille d’origine juive, Simone Weil fait de brillantes études de philosophie : trois années d’hypokhâgne (durant lesquelles elle a pour professeur Alain), l’École normale supérieure, puis l’obtention de l’agrégation, à l’âge de 22 ans, qui lance sa carrière dans l’enseignement. L’engagement de Simone Weil commence tôt et fort : durant l’hiver 1932-1933, alors qu’elle est professeur de lycée au Puy-en-Velay, elle soutient les syndicats ouvriers dans un mouvement de grève, versant une partie de ses revenus à la caisse de Solidarité des mineurs. En 1934, elle suspend sa carrière d’enseignante pour travailler comme manœuvre chez Alsthom, puis chez Renault, afin « d’entrer en contact avec la vie réelle ».
En 1936, elle s’engage aux côtés des Républicains dans la Guerre d’Espagne. Au cours d’un séjour d’un mois et demi auprès des combattants anarchistes de la colonne Durruti, elle est confrontée à la violence aveugle et aux exécutions arbitraires, ainsi qu’à l’impassibilité de certains révolutionnaires face au « sang inutilement versé », comme elle l’écrit dans une lettre à Georges Bernanos.
Avec l’oppression sociale, la guerre constitue l’une des formes intenses de malheur dont Simone Weil fit l’expérience. En 1940, après l’annonce faisant de Paris une « ville ouverte », elle se réfugie avec sa famille à Marseille, où elle participe à des actions de résistance. L’année suivante, par l’entremise du père Perrin, elle s’installe quelques temps dans la ferme ardéchoise du philosophe Gustave Thibon, où elle exerce comme ouvrière agricole. En 1942, elle rejoint la France libre à Londres, où elle occupe un poste de rédactrice au Commissariat national à l’Intérieur (CNI). Atteinte de tuberculose, Simone Weil meurt quelques mois plus tard, le 24 août 1943, au sanatorium d’Ashford.