Jean-François Ballay (avatar)

Jean-François Ballay

Auteur, réalisateur, essayiste

Abonné·e de Mediapart

94 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 mars 2020

Jean-François Ballay (avatar)

Jean-François Ballay

Auteur, réalisateur, essayiste

Abonné·e de Mediapart

De quoi le coronavirus est-il le signe ?

Une étrange ambiance plane sur le monde : la peur a trouvé un nouveau terrain de prédilection, et les oligarchies autoritaires de tous poils sont en train de trouver un nouvel allié invisible. Chaque année, 60 millions de personnes meurent dans le monde... Et voilà qu'un "nouveau virus" qui a fait 4000 morts en trois mois sème la panique totale d'un bout à l'autre de la planète...

Jean-François Ballay (avatar)

Jean-François Ballay

Auteur, réalisateur, essayiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une étrange ambiance plane sur le monde affolé : la peur a trouvé un nouveau terrain de prédilection pour étendre son empire, et les oligarchies autoritaires de tous poils sont en train de trouver un nouvel allié invisible.

Chaque année, près de soixante millions de personnes meurent dans le monde... Et voilà qu'un "nouveau virus" qui a fait 4000 morts en trois mois sème la panique totale d'un bout à l'autre de la planète : marchés boursiers, gouvernements, presses de tous bords, entreprises multinationales sont à la limite de la rupture...

Cette crise a un mérite: elle donne une petite bouffée d'air aux écosystèmes... mais qu'est-ce qui va sortir de tout ça ? Une "prise de conscience" de cette société de surconsommation ?? Plus de prudence dans la conduite des affaires humaines ?? Une remise en cause de la financiarisation globalisée et de la quête effrénée du profit ?? Un coup de frein dans la "prise de risque" et l'extractivisme généralisé ?? Ce serait trop beau...

Comme on le voit déjà, c'est surtout une occasion pour les gouvernants - de l'Asie à l'Europe - d'instiller une culture de la vigilance, de faire accepter l'état d'urgence permanent, la mise en quarantaine, le contrôle omniscient, la suppression des libertés, dont en premier lieu celle de se rassembler... On a la bizarre impression d'assister à un vaste camp d'entraînement : un entraînement à vivre séparés les uns des autres, sous le contrôle vigilant des technologies...

Il est peut-être un peu tôt, s'écrieront certains, pour jouer les oiseaux de mauvais augure... De belles voix vont s'élever pour en appeler à cette bonne vieille "union sacrée", qui permet aux castes dominantes de se rallier l'opinion populaire et de tenir en laisse les forces d'opposition.

Mais comment ne pas s'étonner que ces 4000 décès, qui sont bien sûr des drames pour les victimes et leurs familles, pèsent bien plus que les dizaines de millions de morts anonymes annuels ? Parmi ces morts innombrables, il n'y a pas que des vieillards rendant leur dernier soupir dans leur lit : tant d'enfants soumis à la malnutrition, tant de victimes innocentes fauchées par la misère et la guerre, tant de femmes violées et tuées, tant de civils dans la force de l'âge qui ont eu le malheur de naître au mauvais endroit...

Comment voir une rationalité dans cette grande peur soudaine face au coronavirus ? Que nous dit cette comptabilité quotidienne des victimes du virus, à laquelle s'adonnent frénétiquement les grands medias ? Quelles "circonstances atténuantes" pourraient nous concéder les milliards d'animaux qui sont chaque année exterminés par l'homo eoconomicus ?

De quoi avons-nous vraiment peur dans cette affaire ? Ne serait-ce pas d'avoir tant abusé de notre pathétique "maîtrise" de la nature ? Ne serait-ce pas de voir approcher l'heure d'un rendez-vous inéluctable ?

Si seulement c'était l'occasion de dire non à tous ceux qui ont intérêt à nous enfermer dans nos petites peurs. L'occasion de comprendre que la vertu dont nous avons le plus besoin (parce que c'est celle qui nous manque le plus), c'est le courage. Non pas le courage face au danger ou à la mort, mais simplement le courage de relever le nez de son smartphone, de regarder le désastre autour de nous, le courage de vivre autrement, le courage de se mettre à nouveau à habiter la terre.

Entre l'option de la peur et celle du courage, de quoi le coronavirus nous parle-t-il ? D'un monde où s'imposent inexorablement l'autoritarisme, la surveillance, la ségrégation, les inégalités, l'injustice - avec pour issue le grand dérèglement de la nature ? Ou au contraire, de la possibilité d'un bouleversement démocratique mondial, qui changera la face du monde et remettra au centre des valeurs le respect de la vie, l'entraide, la frugalité ?

Le coronavirus nous donnera-il l'occasion de comprendre que les mots d'ordre de la croissance et de la finance ne sont que le petit catéchisme du capitalisme fossile, à l'heure où il cherche à se repeindre en vert : "Transition énergétique", "innovation", "développement durable"... Quand les joyeux prophètes du green washing disent "changer nos modes de vie", ils veulent dire, par exemple, passer de la voiture à essence au véhicule électrique, mettre des pelouses sur les terrasses des riches mégapoles dévoreuses d'énergie fossile, ou encore, "tirer parti du digital" pour inventer des "solutions" toutes plus mirobolantes les unes que les autres...

Ces faux prophètes, qui en ce moment sont à la peine sur les marchés boursiers affolés, oublient un détail : quel que soit le type de transport qu'on utilisera, on utilisera toujours plus d'énergie primaire au global, et on générera toujours plus de destructions et de pollutions sur terre et dans les océans; on brûlera toujours plus de forêts et on détruira toujours plus d'animaux et d'humains (en commençant bien sûr par répandre toutes ces horreurs d'abord chez les pauvres, et en espérant que nous, on échappera aux catastrophes...).

Le coronavirus va-t-il réveiller nos consciences et surtout nous mettre en marche pour rendre le monde à nouveau habitable ? Il est plus que temps d'arrêter de se mentir : changer nos modes de vie, ce n'est pas passer de la voiture à essence à la voiture électrique : c'est nous déplacer beaucoup moins; c'est arrêter le tourisme de complaisance, en renonçant à prendre son billet d'avion Paris-Bangkok pour "faire la Thaïlande" en quinze jours; c'est arrêter 80% du commerce international et relocaliser tout ce qui est vital (à commencer par l'alimentation, les médicaments, le textile...); c'est proscrire et punir la finance globalisée ; et c'est, bien sûr, taxer les riches à 90% de leurs revenus pour limiter leur empreinte carbone...

C'est aussi manger beaucoup moins de viande et de poisson; c'est arrêter d'acheter sur Amazon; c'est prendre moins de douches, c'est se chauffer à 15° l'hiver; c'est jeter ses smartphones à la poubelle et diminuer de 99% l'usage de la vidéo sur internet; c'est revenir à la télé hertzienne et au poste de radio à antenne.... Et c'est encore des tas de choses encore plus "inacceptables" pour le consommateur des pays riches, qui consomme 5 fois trop d'énergie primaire en Europe et 15 fois trop aux Etats-Unis...

Le coronavirus va-t-il nous réveiller du rêve en tissu d'illusion dans lequel nous a plongé le métarécit du capitalisme fossile, depuis plus de deux siècles ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.