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Billet de blog 9 juillet 2017

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Une mémorable Antigone en japonais dans la Cour d'Honneur à Avignon

Le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi présente, avec sa troupe, une mémorable Antigone de Sophocle à la Cour d'Honneur. Grâce au détour par les techniques de jeu de la tradition théâtrale japonaise, notamment la dissociation des voix et des corps, il fait revivre la tragédie grecque comme spectacle de "théâtre total". Cet Antigone rentre aussitôt dans la mémoire collective d'Avignon.

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Je fais partie de ceux qui ont eu la chance de pouvoir assister à ce mémorable Antigone japonais hier soir dans la Cour d'Honneur. Comme le souligne très justement J-P Thibaudat dans Mediapart aujourd'hui, ce spectacle parvient à faire revivre la tragédie grecque par un magnifique apport des techniques théâtrales orientales (Nô mais aussi Kabuki et Bunraku). Rarement la tragédie grecque avait été aussi bien servie que par cette troupe et cette mise en scène (à quelques exceptions notables près, comme Les Atrides du Théâtre du Soleil... il y a 25 ans). Dans ce sublime spectacle, le "théâtre total" se déploie dans une forme où tous les arts se nouent : poésie, chant, musique, danse, costumes, maquillage, architecture...

Outre la très belle chorégraphie, faite de blancheur, de surface noire et de gris, où les mouvements des personnages se dessinent dans une lenteur paisible, et la musique des percussionnistes en fond de scène qui rythme le spectacles, on ressent (une fois de plus) l'extraordinaire puissance scénique que révèle la technique de dissociation des voix et des corps : sublime image de l'actrice Antigone, par exemple, silhouette perchée immobile sur son rocher, visage de cire à la beauté spectrale où le vide impassible exprime mille fois plus que toutes les grimaces du monde, tandis que, cinq mètres en contre-bas, l'oratrice Antigone, assise sur la surface de l'eau noire, chante le "kommos" (scène de climax du pathos dans la tragédie) de la jeune fille qui va se laisser emmurer...

Autre moment mémorable, la scène entre Créon et son jeune fils Hémon, marionnettes humaines toutes blanches campées sur leurs rochers à Cour et Jardin, doublées elles aussi par les orateurs-voix assis à quelques mètres sur l'eau. Cette scène, d'une densité politique incroyable, est un exemple canonique de stichomythie (sorte de ping-pong verbal où les deux protagonistes s'envoient vers à vers leurs arguments). Ce procédé récurrent dans la tragédie (mais aussi, plus tard... chez Molière) produit un effet puissant, qui est redoublé ici par la mise en scène: les allers-retours latéraux en avant-scène de Hémon vers Créon et de Créon vers Hémon, bondisssant chacun à son tour, vifs et alertes, sur les petites dalles carrés qui effleurent à la surface de l'eau, resteront gravées dans nos mémoires à Avignon. Là aussi, la dissociation des corps bondissants et des voix immobiles fonctionne avec son maximum d'efficacité scénique (en comparaison, des acteurs qui incarneraient dans le même corps l'énergie de la voix et celle du corps ne parviendraient jamais à produire un effet d'une telle puissance).

Il faudrait repasser en revue toutes les scènes, depuis l'introduction drolatique où les acteurs "résument" la pièce pour rafraîchir la mémoire du public, jusqu'à la scène finale, cérémonial en forme de "parodos", procession des acteurs formant ici un grand cercle de silhouettes blanches autour du rocher en promontoire, tandis que le dernier souffle musical de la coupelle s'éteignait... La place manquerait pour partager ce moment qui entre déjà dans le souvenir collectif d'Avignon...

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