Dans la sociologie des confinés, il y a une échelle qui va des "confinés entassés" aux "confinés aérés"... Ainsi, les confinés entassés de Seine-Saint-Denis seront sans doute heureux d'apprendre qu'à Versailles, le maire a obtenu une dérogation du préfet des Yvelines (le même qui a interdit le footing dans les bois) pour permettre aux confinés aérés, propriétaires des "Jardins familiaux", d'aller biner et jardiner en ce beau week-end de Pâques...
Il est agréable d'accéder à ces Jardins Familiaux par une petite allée verdoyante qui longe le charmant club de tennis et l'épatant bâtiment du club de tir à l'arc. On peut profiter des senteurs de chèvrefeuille et admirer le cerisier en fleurs qui jouxte l'entrée des Jardins familiaux. Ce lieu apaisant bénéficie également de l'immédiate proximité des bois. On pourra même entendre, au lointain, sonner les cloches de la cathédrâle en ce dimanche de Pâques...
C'est la longue histoire de la propriété... Cela a commencé progressivement, il y a environ douze mille ans, avec l'émergence des Cités-Etats. Cette "innovation" majeure de l'homo sapiens s'est caractérisée dès le début par: une monarchie, une hiérarchie administrative et aristocratique, la police et l'armée, l'impôt (pour payer la police et l'armée), le droit et la loi (pour légitimer l'impôt et les privilèges)... et la PROPRIETE...
Mais la propriété privée telle qu'on la connaît de nos jours a mis du temps à se généraliser. C'est à partir de la Révolution Française et de la "révolution industrielle" que la propriété privée a définitivement fait disparaître les droits communaux, c'est-à-dire la permission accordée à tous (les pauvres) de ramasser des branches dans les bois, de cueillir des fruits dans les champs mitoyens de la commune...
Désormais, depuis le XIXe siècle, le capitalisme s'est étendu à toute la planète, sous la bannière du colonialisme d'abord puis de la finance globalisée. Toutes les richesses de la Terre, patiemment élaborées par la nature pendant des centaines de millions d'années, sont devenues des "ressources" appropriables par les dominants. La propriété privée ne s'est pas contentée de s'étendre aux territoires locaux, elle s'est prolongée par une compétition entre les nations pour accaparer toujours plus de territoires inaccessibles auparavant. Aujourd'hui le terrain de la guerre économique englobe l'immensité des océans et des forêts primaires, ainsi que les banquises de l'Arctique et de l'Antarctique.
Partout c'est le règne de l'extraction, de l'exploitation, de la destruction. Toute cette destruction massive a le doux nom de : "création de valeur". Elle est synonyme de "croissance", de "richesse", d' "innovation"... Les mots sont trompeurs mais peu importe : ça marche. Et l'apparition des classes moyennes a permis à un ou deux milliards d'êtres humains de s'installer dans le confort matériel. Laissant en même temps de côté les 3 à 5 milliards d'autres, exclus, condamnés à survivre sous des régimes corrompus, à subir les guerres, et tous les méfaits de l'exploitation de la nature.
Mais voici que la Nature adresse aujourd'hui un avertissement, comme elle en a le secret, à l'ensemble des humains - avec il est vrai une grande inégalité dans ses conséquences, comme je l'ai souligé plus haut... Est-ce que cet avertissement suffira à rendre les hommes soudain plus clairvoyants et plus frugaux ? Une partie d'entre eux, oui, espérons-le. Mais hélas, sans doute pas la majorité. Et sûrement pas les "confinés aérés", qui vont pouvoir, par dérogation préfectorale, bêcher en toute quiétude dans les Jardins Familiaux pendant les fêtes pascales, en attendant le "déconfinement"...