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Billet de blog 15 décembre 2018

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La "fin du monde" est le nouvel enjeu de profit et de domination du capitalisme

Le dérèglement climatique ne concerne pas tout le monde de la même façon ! D’énormes inégalités de classe, mais aussi de race et de genre, sont au coeur des catastrophes écologiques. Les castes dirigeantes le savent très bien, et le capitalisme « vert » s'active partout pour en tirer toujours plus de profit. Face à cette "fin du monde" là, l’écologie ne peut plus éviter de refonder la démocratie !

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Dans l'actualité récente, le pouvoir (gouvernement et médias main stream) a essayé d'opposer l'insurrection des Gilets Jaunes à l'écologie. Cette dénonciation de façade permet aux droites de réduire l'écologie à une question de taxe diesel, et aux gauches réformistes de montrer une fois de plus à quel point elles se sont dissociées des classes populaires qu'elles méprisent...

En cela nos "représentants" font mine de ne pas apercevoir ce qui nous guette : les catastrophes climatiques et écologiques ne concernent pas tout le monde de la même façon; tandis qu'elles commencent déjà à plonger les grandes masses humaines dans le désastre, les classes dirigeantes du capitalisme s'activent pour tirer toujours plus de profit de ces crises. En un mot: la catastrophe écologique est une énorme opportunité pour le capitalisme.

Comme le titrait le chercheur-militant Razmig Keucheyan, dans son livre de 2014: "la nature est un champ de bataille" (*). Les dirigeants économiques et politiques ont très bien pris conscience de la catastrophe écologique, et loin d'y rester indifférents comme le croit naïvement la majorité des écologistes et de la gauche bien pensante, ils ont pris les devants : considérant qu'il n'y aura pas de place pour tout le monde dans l'Arche de Noé, ils investissent massivement dans tous les secteurs qui vont leur permettre de tirer parti des crises climatiques, dans leur unique intérêt de classe.

Ces secteurs sont : la financiarisation de la nature (création de produits financiers et assurantiels permettant de gagner beaucoup d'argent sur le dos des catastrophes), la "révolution numérique" et l'intelligence artificielle (développement des infrastructures sécuritaires, répressives et coercitives pour juguler les révoltes populaires et asservir les comportements des masses), et la militarisation des crises écologiques (géostratégie de maîtrise des océans, des pôles, des ressources minières...).

Tout cela ne date pas d'hier puisque ces caractéristiques sont l'essence même du capitalisme depuis 400 ans. Du XVIe au XIXe siècle ce fut l'extermination des amérindiens, la traite des noirs et l'esclavage, puis l'exploitation ouvrière. De nos jours c'est l'exposition des populations les plus déshéritées aux catastrophes climatiques (ouragans, tsunamis, catastrophes industrielles, déforestation, extractivisme...) et aux diverses formes de pollution (urbaine...).

Les pauvres sont ainsi soumis à une spirale d'exclusion, et bientôt d'extermination, au fur et à mesure que l'environnement se dégrade: non seulement ils sont les plus exposés aux accidents et aux catastrophes, mais comme ils ne sont pas solvables sur les marchés lucratifs de l'assurance, le moindre dégât de leur lieu de vie les laisse sans abri. Ils n'ont alors plus d'autre choix que de "migrer" vers des lieux encore plus inhospitaliers, et ainsi de suite. Tandis que, à l'instar de l'ouragan Katrina aux Etats-Unis, ce sont les riches qui peuvent aussitôt venir "investir" ces régions préalablement "nettoyées" par la force militaire et s'approprier toujours plus ce qu'il reste de vivable dans le monde...

Il y a d'énormes inégalités de race, de classe, et même de genre, au coeur des dérèglements climatiques ! Si nous restons aveugles et passifs vis-à-vis de ces "injustices environnementales", les défis écologiques majeurs qui sont devant nous ne seront pas abordés démocratiquement, au service de l'intérêt général, mais au contraire par des régimes de violence, de coercition, et de répression. Les très riches comptent bien ne pas se retrouver dans le "même bain" de souffrance que les pauvres !

La "convergence des luttes" - luttes contre les injustices sociales et fiscales, et luttes écologiques - ce n'est donc vraiment pas une convergence anecdotique des flux de manifestants vers la place de la Bastille pour se donner la main devant les caméras ! C'est un combat commun contre les injustices environnementales, c'est un combat commun contre le capitaliste totalitaire, et c'est en même temps un combat commun pour refonder d'urgence la démocratie, afin de faire face aux catastrophes de la seule façon qui soit vivable : le sens de la justice, de l'égalité, de la dignité humaine...

(*) Le livre de Razmig Keucheyan "La nature est un champ de bataille" vient d'être re-publié aux éditions La Découverte. Il faudrait citer également de nombreux autres auteurs sur la question des injustices environnementales. Par exemple: Lydie Laigle & Sophie Moreau, "Justice et environnement", éditions Infolio, 2018. Fred Magdoff & John Bellamy Foster, ""Ce que tout écologiste doit savoir à propos du capitalisme", Editions critiques, 2017. 

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