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Billet de blog 16 janvier 2019

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Fiscalité des riches : aller beaucoup plus loin que les recettes de spécialistes !

Je propose ici une petite contribution au "grand débat", sur le sujet phare de la fiscalité. On ne peut pas rester enfermés dans le cadre étroit qui est discuté entre les spécialistes du sujet. Au-delà des fameux taux d'imposition, nous allons voir concrètement qu'il y a beaucoup d'argent chez les riches à redistribuer et à gérer plus collectivement.

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Je propose ici une petite contribution au "grand débat", sur l'un des sujets phares, celui de la fiscalité. Je commencerai par réagir à l'article très bien documenté de Romaric Godin paru ce matin dans Mediapart (Fiscalité des ménages), pour demander d'élargir le cadre étroit qui est discuté entre les spécialistes du sujet (qui sont, j'en conviens tout à fait, déjà fort utiles).

Cette analyse fine est utile, mais comme souvent on raisonne sur des moyennes et sur des proportions, en perdant de vue l'essentiel: la richesse en grandeur absolue. Ainsi la courbe animée qui montre l'évolution de la "part des taxes dans le revenu" entre 1990 et 2019 donne l'impression que les inégalités d'impôts ne sont finalement pas si énormes qu'on le dit, même si on voit bien que les riches paient "un peu" moins d'impôts en proportion. Si les chiffres étaient des mots, on dirait qu'on a là un bel euphémisme...

Pour nous faire une idée plus concrète des vrais enjeux de la fiscalité sur le capital (en grandeurs absolues),  je vais prendre le cas de la richesse en patrimoine. 

En France, les 1 % les plus riches possèdent 20 % des richesses, soit près de 3 000 milliards €. Ce n'est pas une petite somme ! (*) Quand on sait que chez les riches, l'essentiel de leur capital est, non pas de la pierre comme chez les classes moyennes, mais sous forme de capital financier, et que celui-ci, depuis Macron, est taxé à 30%, il faut en déduire concrètement ce que représente ce chiffre abstrait de 30%.

En l'occurrence, si vous avez un capital de 3000 milliards, il vous rapporte en principe au moins 5% par an, soit 150 milliards. Donc si vous êtes taxé à 30%, cela rapporte 50 milliards à l'Etat. Si vous étiez taxé à 60%, ce qui serait plus juste, cela rapporterait le double: 100 milliards. Le premier enjeu est là. 

On commence à voir, plus concrètement, qu'il y a vraiment beaucoup d'argent chez les riches à redistribuer, ou à gérer de façon plus collective !

Mais voyons un peu plus loin : dans le cas des 1% que je viens d'évoquer, on sait bien qu'en réalité la recette théorique d'impôt de 50 milliards n'a même pas lieu ! Ce qui signifie qu'une partie notable de ce capital est cachée dans les paradis fiscaux et que, pour l'autre part, l'optimisation fiscale des riches leur permet de payer bien moins que le taux théorique de 30% ! (Grâce notamment à l'absence de volonté des dirigeants de l'Union Européenne d'harmoniser la fiscalité...).

Continuons à visionner le film. Il faut, en outre, avoir à l'esprit à quel point la concentration de richesse est un phénomène qui augmente exponentiellement au cours du temps - si aucune politique fiscale ne vient la réguler.

Concrètement: à raison de 5% d'intérêt par an, les 3000 milliards des riches augmenteront de... 340% au bout de vingt-cinq ans (une génération) !! Ces 3000 milliards deviendront donc... 10 000 milliards ! 

J'espère que vous commencez à voir la différence qu'il y a à raisonner sur les grandeurs absolues, et pas seulement sur les taux et les proportions... 30% ou 60%, c'est vraiment de l'abstrait. Par contre les milliards dont je parle ici, c'est du palpable, et il est dans la poche des grands propriétaires et des grands actionnaires privés, qui ont une existence très concrète, bien qu'on ne voie pas exactement où ils résident. (voir à ce propos les travaux de Monique et Michel Pinçon-Charlot, qui ont étudié de près les lieux de résidence des très riches, à Grasse ou à Maisons-Laffitte...).

Continuons en parlant un peu de l'héritage, si cher au coeur des Français, même les plus modestes, qui ne se rendent pas compte à quel point l'héritage est inégalitaire ! 

Pendant que 20 millions de Français ne possèdent aucun patrimoine (et donc ne transmettent rien à leurs enfants), chaque adulte de la classe aisée ou riche possède entre quelques millions et quelques dizaines de milliards. Est-ce grâce à leur « mérite » ? Pas vraiment !

On nous répète depuis des lustres qu’on vit dans un pays où c’est le « mérite » qui justifie d’être riche (ou très aisé), mais bizarrement la part de cette richesse qui est héritée est en train de remonter à 60 % (*) ! Autrement dit, si je possède 5 millions d’euros, j’en ai hérité à peu près 3 millions.

Un autre chiffre complète le tableau : le « flux successoral » en France représentait 4 % du PIB annuel en 1970. En 2018 il équivaut à environ 15 % du PIB (*). Autrement dit : chaque année il y a près de 350 milliards d’euros qui passent entre les mains des « héritiers », sachant que les 10 % les plus aisés concentrent la moitié de ce flux d’argent qui n’est pas du tout mérité. (héritier/méritier : un bel oxymore).

Autre conclusion : ce qu’on appelle le « mérite » masque donc une tout autre réalité : la France est en train de redevenir un pays de rentiers !

J'espère que ces quelques réflexions sur le capital et la fiscalité pourront être utiles, pour ceux qui ne veulent pas se laisser endormir avec les démonstrations de nos "experts" des plateaux télé, qui manient les chiffres à leur guise. Il y a en réalité une véritable révolution fiscale à exiger ! Et ce serait bien le minimum à exiger.

Il faut en fait aller plus loin encore. Car, sans vouloir paraphraser Marx, il est grand temps, si l'on veut éviter le pire, de traiter le problème à sa racine: ce qui est vraiment urgent c'est de remettre en cause le capital comme source de profit, concentré entre les mains d'une minorité. Plutôt que de quémander des impôts aux riches, il serait plus efficace et plus équitable de les empêcher d'accaparer la richesse... C'est le "vrai débat".

(*) Mes sources principales : le lecteur pourra vérifier toutes ces données dans « Les nouveaux héritiers » de Nicolas Frémeaux, mais aussi sur le site de l’Observatoire des Inégalités (outils/patrimoine), et aussi sur la « World Inequality Database », sans oublier le best seller de Thomas Piketty « Le Capital au XXIème siècle ».

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