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Billet de blog 26 avril 2017

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Ni Macron, ni Le Pen !

Pour beaucoup de Français, l’élection du second tour est un dilemme. Au-delà du réflexe qui consiste à faire barrage au Front National, il faut s’interroger sur l’avenir qui nous guette, dans les deux cas, celui d’une victoire de Macron, celui d’une victoire FN. Les raisons de faire barrage au FN sont pour beaucoup « évidentes », mais les évidences recèlent comme toujours bien des équivoques.

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Ni Macron, ni Le Pen !

Pour tous ceux qui se sentent « de gauche », l’élection du second tour est un vrai dilemme. Au-delà du réflexe qui consiste à « faire barrage » au Front National, il faut s’interroger lucidement sur l’avenir qui nous guette, dans les deux cas, celui d’une victoire de Macron, ou celui d’une victoire FN.

Les raisons de faire barrage au FN sont pour beaucoup « évidentes », mais les évidences recèlent toujours bien des équivoques. L’évidence : on a bien raison de craindre l’arrivée au pouvoir d’un parti d’extrême-droite. Souvenons-nous du triste exemple de l’Allemagne dans les années 1914-1934. Comme l’expliquait, à la fin des années 1970, Chris Harman, l’auteur (anglais) de « La révolution allemande 1918-1923 »[i], c’est la trahison du SPD, parti social-démocrate allemand, qui est en grande partie responsable de la montée au pouvoir de Hitler. Ce parti a incarné une version poussive et étriquée du soi-disant socialisme, coincée entre la complicité avec un pouvoir aristocratique fort hérité de Bismarck et, d’un autre côté, la peur de l’élan révolutionnaire que représentaient alors, en Allemagne, le mouvement spartakiste, et en Russie la révolution bolchévique en train de naître. Dès l’entrée en guerre, en 1914, les dirigeants du SPD ont préféré pactiser avec leur ennemi de classe, plutôt que de parier sur une rupture avec le système aristo-capitaliste. Cela leur a permis, pour un temps, de trouver leur place dans le gouvernement de l’Allemagne. Mais cela fut de courte durée et Hitler n’en a fait qu’une bouchée quand son heure est venue de s’emparer d’un pouvoir mis à disposition par les traitres. Ainsi, les classes populaires allemandes, trahies par ce socialisme de façade, se sont finalement livrées aux mains du national-socialisme, pendant que la grande bourgeoisie, elle, n’a eu aucune difficulté à se satisfaire du régime totalitaire…

Comment ne pas penser, ici, au « hollandisme » à la française et à son alliée la CFDT ? Quand les idéaux de justice sociale et d’entraide sont trahis par ceux qui sont censés les défendre (au nom d’un soi-disant réalisme réformiste), l’extrême droite recueille – par les urnes – les fruits de ce manque d’audace. Mais, une fois installée au pouvoir, elle révèle peu à peu son vrai visage. Elle commence (comme ce fut le cas du pouvoir nazi) par faire illusion en relançant la machine économique et sociale centrée sur le nationalisme. Durant cette phase initiale, les classes populaires acceptent de payer une petite amélioration de leur condition économique par une privation de leurs libertés. Mais cela ne dure pas. Le grand capital finit par reprendre le dessus, à l’intérieur du système totalitaire ; la crise, la guerre et autres catastrophes deviennent inévitables et le peuple est entraîné dans un bain de sang… Ce processus est inéluctable car l’extrême droite est une forme de populisme hiérarchique, élitiste, et nationaliste, qui porte dans ses germes le racisme, la guerre et toutes sortes de conflits. Voilà donc ce qui devrait nous préserver d’opter pour les sirènes du FN aujourd’hui…

Pourtant, les gens qui se disent "de gauche" ne peuvent pas ignorer complètement ce qui pousse une partie des classes populaires à voter FN : les inégalités outrancières, l’injustice, le sentiment de trahison. Le PS en France, exactement comme le SPD il y a un siècle (dans un contexte international évidemment différent), a accepté de se laisser enfermer entre deux logiques : d’un côté le grand capital (à nouveau en position de se déployer sans aucune frontière), et d’un autre côté la montée de la colère dans les classes populaires.

C’est pourquoi, au lieu de brandir la « menace des extrêmes » et de se draper dans leurs idéaux culturels, les gens de gauche n’ont à nouveau plus le choix : l’heure n’est plus au repli sur un réformisme rabougri, qui se voudrait « réaliste ». Une partie des Français le savent, comme on l’a vu lors du premier tour des élections présidentielles, avec la montée du mouvement de Mélenchon.

Mais, au nom du présidentialisme à la française, façon Ve République, il faudrait à nouveau faire le choix tragi-comique du « vote utile ». Macron serait le « rempart » contre les extrêmes. Quoi ? La logique de la mondialisation financière n’est-elle pas, en soi, une forme d’extrémisme radical, qui détruit depuis près de quatre décennies tous les acquis sociaux qu’avait permis l’élan de reconstruction et de changement d’après guerre ? Cette mondialisation financière du capitalisme est la cause de la montée du front national en France et des nationalismes un peu partout dans le monde. Alors quoi ? Il faudrait encore abdiquer, et redonner un mandat à ce capitalisme débridé ?

Qui peut croire que Macron représente une chance pour la France aujourd’hui ? Il est jeune ? Et alors ? La haute bourgeoisie recrute dès la naissance. Faudrait-il pour cela se mettre un bandeau sur les yeux et voter « jeune », comme on peut vouloir voter « utile » ? Macron n’a jamais caché son appartenance aux élites (il a d’ailleurs été élu « young leader » par la French-American Foundation, et de plus, adoubé par le très hermétique Bilderberg Club qui rassemble une poignée de dirigeants de la planète). Son parcours dans la haute finance puis dans la sphère politique prouve sans équivoque son allégeance à l’oligarchie des multinationales. Les lois Macron, Rebsamen, et El Khomri n’ont-elles pas assez montré au service de qui elles sont faites ?

Promouvoir la « compétitivité » et « l’esprit d’initiative », désarmer le « dialogue social » dans les entreprises, encourager par la loi la guerre de tous contre tous, ce n’est nullement aider les commerçants, les petites entreprises, les agriculteurs et les travailleurs indépendants, à vivre une vie meilleure ! C’est seulement donner encore plus de marges de manœuvre aux grandes multinationales. C’est en même temps abdiquer devant une Union européenne qui n’a eu de cesse de monter les peuples d’Europe les uns contre les autres, par une dérégulation toujours plus poussée, combinée à un démontage systématique du droit dans chaque pays. C’est tout cela qu’un gouvernement Macron permettra de relancer, de re-légitimer. Jusqu’aux prochaines élections ou, cette fois, le peuple choisira de s’en remettre à un pouvoir national-socialiste plutôt que de sombrer dans la misère capitaliste…

Alors que faire, lors du second tour des élections ? Avant tout, choisir le vote blanc ou l’abstention. Il y a depuis plusieurs mois un mouvement populaire qui pousse à reconnaître le vote blanc. Il faudra donc bien que cette fois-ci, on fasse les comptes. Il se trouvera certainement des experts pour extraire des scrutins la part réelle des bulletins blancs et des abstentions. Personne ne pourra alors être dupe : quelle que soit l’issue de ce scrutin, le pouvoir en place ne sera pas légitime !

Et surtout, c’est tout de suite qu’il faut passer à l’action. C’est tout de suite qu’il faut unir toutes les forces populaires, et pas seulement « de gauche », pour refonder un véritable élan socialiste – non pas au sens rabougri que lui a donné le PS – mais au sens que l’histoire lui a donné tout au long du 19è siècle. Il y a eu Marx, et c’est encore un apport utile, voire majeur, mais pas seulement : il y a eu la Commune de Paris, Proudhon et les mouvements anarchistes. Pensons aux expériences heureuses en Espagne ou en Ukraine, qui ont montré à de vastes échelles qu’il est possible d’organiser une société selon des modalités pratiques qui rendent compatibles le progrès technique, social, économique, avec la justice et la « vie bonne ». Il est temps d’en finir avec ce cul-de-sac de la pensée qui consiste à réduire le socialisme au bolchévisme léniniste…

Enfin, le rendez-vous planétaire avec l’écologie ne laisse plus le choix, comme l’a clairement dit Noam Chomsky : « Les espoirs semblent minces, mais nous n’avons que deux options : soit nous jugeons la situation irrémédiable et renonçons à tout changement, ce qui implique nécessairement que le pire se produira, soit nous choisissons de croire que les choses pourraient s’améliorer et tentons d’agir en conséquence. Voilà l’alternative qui s’offre à nous »[ii]. Cette alternative dépasse, et de très loin, la triste alternative que représentera le bulletin de vote, dimanche 7 mai… Rendez-vous le 8 mai pour se mettre au travail…


[i] Chris Harman, La révolution allemande, 1918-1923 (1982), éditions La Fabrique, 2015.

[ii] Noam Chomsky, Andre Vltchek, L’Occident terroriste. De Hiroshima à la guerre des drones, (2013), éditions écosociété, trad. Nicolas Calvé, Montréal, 2015, p. 154.

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