La situation politique de la France est très inquiétante, comme l'analysait de façon glaciale François Bonnet hier soir dans Mediapart ("L'urgence d'un autre exercice du pouvoir" https://www.mediapart.fr/journal/france/260320/l-urgence-d-un-autre-exercice-du-pouvoir).
Pendant que les "premiers de tranchée" s'exposent courageusement chaque jour, les uns pour soigner les malades sans moyens, les autres pour permettre l'acheminement des produits de première nécessité aux populations confinées (alimentation, médicaments, électricité...), les "premiers de cordée", quant à eux, continuent leur petit train-train comme si de rien n'était : les uns se réfugiant dans leurs villas à La Baule, d'autres concoctant en sous main l'après crise pour relancer la machine à profits, se distribuant goulûment leurs dividendes, achevant ce qu'il restait du droit du travail et des libertés élémentaires...
Ce n'est pas un mauvais conte du loup et de l'agneau, c'est le réel, dans sa plus pure brutalité. Sur le dos des personnels de la santé et des esclaves ubérisés des secteurs logistiques, une dictature est en train de s'installer, dans l'urgence de la crise, tranquillement, au rythme des dîners de l'entre-soi parisien non confiné (cf. le président du Medef qui navigue entre Le Croisic et Paris. Cf. aussi l'article édifiant de Laurent Mauduit, "Une soirée au «Siècle», sur l’air de l’orchestre du «Titanic», https://www.mediapart.fr/journal/france/260320/une-soiree-au-siecle-sur-l-air-de-l-orchestre-du-titanic).
Les semaines de confinement imposées aux Français ont tout l'air de servir d'expérimentation en grandeur nature d'une telle dictature : inculquer aux gens l'isolement, le calfeutrage chez soi, le refuge dans le silence, le lavage de cerveaux à grande échelle, la culpabilisation et la méfiance de tous envers tous, la soumission au dictat productiviste, l'acceptation des inégalités, de la ségrégation, de la stigmatisation...
La ploutocratie qui s'accroche au pouvoir ne se contente pas de faire preuve d'une complète incompétence politique (imprévoyance totale, absence de vision, cacophonie...), elle croit pouvoir continuer impunément à se pavaner avec des airs de paternalisme martial et autoritaire - alors que tout autour les faits contredisent ses simulâcres : la soumission empressée des chaînes télévisées envers le pouvoir ne parvient même pas à maquiller la réalité, et les images et les témoignages de la société civile contredisent largement les éléments de langage polissés des experts des plateaux.
Le réel, ce n'est pas ce théâtre d'ombres que le gouvernement tente de mettre en scène, avec sa cohorte de ministres fantoches, de journalistes dociles, et ses comités scientifiques constitués à la hâte en allant chercher quelques caciques du monde scientifique. Je ne mets pas en doute la compétence et l'éminence de ces scientifiques, mais c'est la méthode qui ne m'inspire pas confiance...
Cet abrit présidentiel derrière ce qu'il nomme "la science" n'est qu'un tour de passe-passe tragi-comique, de la part d'un pouvoir jupitérien qui depuis trois ans n'a eu de cesse de couvrir de son mépris la recherche, la médecine, la justice, l'enseignement, bref, tout ce qui constitue le tissu social de la connaissance.
Lorsqu'il justifie ses pantalonades et ses atermoiements devant une crise majeure en se réclamant du conseil avisé de "la science", le technocrate qui a été mis au pouvoir par la caste des grands argentiers fait peur. On dirait Ubu sur son trône, qui s'agite en hurlant "la science" quand lui et ses acolytes sont entièrement sous l'emprise hallucinogène de leur idéologie.
Les milieux scientifiques ne sont pas dupes, et ils le font savoir, heureusement (et pas seulement le Pr Raoult !). Même ceux qui ont pu, pendant un temps, se laisser illusionner par la marionnette, semblent se réveiller d'un mauvais rêve et prennent leurs distances (on ne les entend d'ailleurs pas beaucoup, mais leur silence gêné est éloquent...)
S'appuyer sur les professions intellectuelles pour gouverner n'est évidemment pas, en soi, une mauvaise façon de gouverner. Bien au contraire. Mais à condition de se conformer aux règles démocratiques de la science, et notamment à la pluralité, à la vérification, à la discussion, au partage. Ce que n'a jamais fait ce gouvernement autoritaire. La façon martiale qu'il a de s'appuyer tout à coup sur "la science" n'inspire donc aucune confiance.
A la condition, aussi, d'assurer ses fonctions de gouvernement en pleine responsabilité. Ce qui n'est pas le cas. Au contraire, il suffit de penser à l'ex ministre Agnès Buzin, parmi tant d'autres, qui sont si prompts à se défiler quand ils ne s'étalent pas dans le déni et le mensonge.
A la condition, encore, d'être capable de parler vrai, sans démagogie, et sans réciter les éléments de langages fabriqués par les experts en communication (un secteur d'activité dont la nocivité culmine après un demi siècle de formatage des cerveaux et de démollition systématique de la langue, et dont les méthodes n'ont rien à envier aux bonnes vieilles techniques de propagande au XXe siècle...).
A condition, encore, de respecter les institutions de la république, les "corps intermédiaires", les contre-pouvoirs que l'Histoire a patiemment fait émerger, au prix de combats courageux des générations précédentes.
Aucune de ces conditions n'a été respectée par le "gouvernement". Mais est-ce un gouvernement ? Pas vraiment. C'est plutôt un comité de direction managérial, mis en place grâce à l'aide discrète d'une caste de milliardaires. Et sa "gestion" calamiteuse de la "guerre" du coronavirus contribue largement à rendre bien plus dramatique la situation sanitaire du pays.
Espérons que de nombreuses voix, soutenues par une grande partie de la population, s'élèveront bientôt pour empêcher le pays de sombrer inexorablement dans la dictature. Espérons que nous saurons tirer au clair ce qui s'est passé en 2020, et que les coupables seront empêchés de continuer à nuire.
Mais ce n'est pas gagné. ça ne se fera pas tout seul ! Il faudra ne pas reproduire ce qui s'est passé en 2017 : beaucoup se sont résolus à voter Macron pour faire barrage à Le Pen. Jurant qu'aux Municipales, ce serait un raz-de-marée des forces de gauche... Le résultat n'est que trop connu. Les mêmes ont contribué à lui "donner les moyens de gouverner" en élisant des centaines de petits moutons au Parlement.
Le coronavirus sera-t-il l'occasion tragique, au-delà des milliers de morts et des dégâts humains gigantesques, de voir s'installer des dictatures partout dans le monde, à qui les populations sont déjà préparées à vendre leur liberté en échange de leur sécurité ? A l'heure qu'il est, on peut compter sur les médias officiels pour éluder soigneusement cette menace.
Ce n'est jamais la caste des ploutocrates qui gouverne les peuples - c'est la peur qui règne en maître, au-dessus de la tête couronnée des dictateurs...