Jean-François Ballay (avatar)

Jean-François Ballay

Auteur, réalisateur, essayiste

Abonné·e de Mediapart

94 Billets

0 Édition

Billet de blog 30 avril 2017

Jean-François Ballay (avatar)

Jean-François Ballay

Auteur, réalisateur, essayiste

Abonné·e de Mediapart

"Plus le score de Macron sera fort"... plus ce sera pareil !

Réponse à l'appel de M. Piketty à voter Macron au 2nd tour : Que Le Pen soit à 45%, 35% ou 25% ne diminuera pas la pression générale en faveur des thèmes sécuritaires et identitaires, pour la bonne raison que ces thèmes seront entretenus, comme depuis des années, par les élites au pouvoir, c’est-à-dire les médias aussi bien que les partis soucieux de rassembler une majorité de gouvernement.

Jean-François Ballay (avatar)

Jean-François Ballay

Auteur, réalisateur, essayiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur Piketty,

Vous avez lancé un appel à voter Macron au second tour, dans Libération, ce 28 avril. J'apprécie beucoup votre travail ( j'ai lu votre livre monumental, qui, soit dit en passant, pourrait vous valoir le pseudo "prix nobel"), mais en l'occurrence, je crains, hélas, que votre pari faustien, ne soit qu'un fantasme : "Plus le score de Macron sera haut au second tour, plus il sera bien clair que ce n’est pas son programme qui a gagné, mais l’extrême droite qui a été écartée." dites-vous... ("plus ceci, plus cela"… ah, la belle évidence de la logique…). J'ai du mal à vous suivre dans votre raisonnement, hélas, pour plusieurs raisons que voici.

1° MACRON: Ce qui risque fort de se passer, au contraire de ce que vous énoncez, est déjà en filigranes dans le comportement de Macron depuis le soir du 1er tour : je vais à la Rotonde, j'exige une adhésion totale à mon projet, je ne ferai aucune concession... Bref, "je me prends pour Napoléon (ou Superman ? ou Rastignac ?). Je vais exploser tout, la droite, la gauche, et je serai le roi du monde"...

Avec un gros score de Macron, on peut s'attendre, sans être voyant ou extralucide, à une rigidité pire que celle de Hollande/Valls rivés comme des piquets à leur état d'urgence et autres lois délétères. Et là, c'est vraiment la haute bourgeoisie internationale qui est derrière lui ; ça ne va pas plaisanter. A ce propos, je recommande chaudement le petit livre des sociologues Michel et Monique Pinçon : "Les prédateurs au pouvoir" (8€, 60 p.), qui vient de sortir, après un autre il y a quelques années: "La violence des riches".

Ceci étant... concernant le "choix" à faire au 2nd tour, je ne prétends pas détenir la solution; restons partagés dans nos choix, sans nous diviser et nous égratigner; restons humbles devant l'écrasante défaite qui a déjà eu lieu, et surtout préparons-nous à être unis, et très courageux, tous, ce qui est encore loin d'être le cas jusqu'ici !

2° EXTREME-DROITE: L’expérience des deux dernières décennies nous a clairement montré que les thèmes de l’extrême-droite (sécuritaire, identitaire, nationalisme, surtout, mais aussi des thèmes partagés par la gauche populaire : rejet de l’U.E., rejet du « système », rejet des élites…) n’ont plus besoin que le FN soit à 40%, 30% ou même seulement 20% lors des scrutins pour être omniprésents, et donc « incontournables ». L’augmentation vertigineuse des inégalités (économiques, sociales, territoriales, culturelles) est le creuset principal qui fait monter la colère, celle-ci entraînant le dépit, le rejet du « système », le repli sur soi et, pour une partie des gens, l’adhésion aux thèses FN.

Mais ce n’est pas la seule cause de l’omniprésence des thèmes d’extrême droite (loin s’en faut car d’elle-même la pauvreté, qui reste le plus souvent pleine de dignité, ne conduit que rarement les hommes à devenir « fachos » !!) : la vérité, vous le savez bien, Thomas (si vous me permettez de vous appeler par votre prénom), c’est que les dirigeants politiques, de droite comme de gauche, depuis Mitterrand jusqu’à Sarkozy et Hollande, ainsi que les élites médiatiques et culturelles dans leur ensemble, ont volontairement instrumentalisé ces thèmes, au fil des années, et de façon systématique.

Eux, contrairement aux gens à qui ils viennent quémander leur vote, ce n’est pas par peur qu’ils ont agi ainsi, c’est une stratégie calculée et consciente de maintien de leur pouvoir. Ce n’est pas nouveau ! C’est déjà dans Shakespeare, La Boétie, Machiavel… Si l'on n’a pas cela à l’esprit, on est tout prêt à tomber dans le piège du chantage. Cette stratégie de maintien du pouvoir commence par jouer avec le feu (ouvrir la boîte de Pandore), et il ne reste ensuite qu’à activer la seconde manette : le chantage. Tout au long de l’histoire, les maîtres ont eu tout le loisir de connaître les bases de la psychologie des masses. Ça marche presque toujours, sauf quand ils dépassent les limites et alors c’est la révolution… Tant que les Français ne seront pas prêts à inverser ce mécanisme, en commençant par refuser le chantage, ils resteront pieds et poings liés (mais peut-être que pour une partie d’entre nous, qui ne sommes pas trop dans la mouise, ce n’est pas trop gênant, après tout ; c’est peut-être une question à se poser…).

Quoi qu’il en soit, l’expérience collective nous montre clairement ce que je disais plus haut : que Le Pen soit à 45%, 35% ou 25% au 2nd tour ne diminuera pas la pression générale en faveur des thèmes sécuritaires (et tout ce qui s’en suit), pour la bonne raison que ces thèmes seront entretenus, jour après jour, par les élites au pouvoir, c’est-à-dire les médias aussi bien que les partis soucieux de rassembler une majorité de gouvernement (au premier chef, Macron, n'ayez pas de doute à ce sujet, Thomas).

Et ne parlons même pas de l’hypothèse où d’autres attentats auront lieu ! Le Pen retomberait-elle à 10%, que chaque nouvel attentat qui ne manquera pas de se produire, dans un monde de plus en plus inégal et violent, sera aussitôt une aubaine pour tout gouvernement, de droite comme de gauche. Cela, c’est la trace de l’histoire sur nos corps et nos esprits : les choses ont déjà eu lieu (attentats, montée des extrémismes, montée des inégalités, corruption des classes dirigeantes etc) et tous ces phénomènes qui ont eu lieu depuis plusieurs décennies ne sont pas effaçablesleurs effets ne sont pas réversibles.

C'est pourquoi, que Le Pen soit à 20, 30, ou 40% cela ne change pas ces réalités, ni aujourd'hui, ni demain.Le fascisme est déjà là, dans tous les rouages du pouvoir, même si pour l'instant il ne vient pas encore chez nous au petit matin pour nous faire disparaître. Sous le masque de l'impérialisme néolibéral il a trouvé plus efficace : faire main basse sur toutes les ressources de la planète et les piller sans vergogne, enserrer les peuples dans la cage de fer de la concurrence, des normes, des lois liberticides, produire des armes ultra sophistiquées et meurtrières et les vendre aux dictateurs qu’ils ont mis en place, se réfugier eux-mêmes contre les tsunamis qu'ils provoquent dans des bunkers et des citadelles "vertes" et inaccessibles... C’est difficile à avaler, je sais, mais pour moi il est là le « réalisme ». 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.