Les lecteurs de ce blog sont cordialement invités à la quatrième Rencontre européenne d'analyse des sociétés politiques: «Je hais, donc je suis: la construction sociale du conflit», à Paris, jeudi et vendredi 3 et 4 février prochains.
Les sciences sociales du politique savent que les passions et l'imaginaire sont constitutifs des conflits. Ces derniers ne sont jamais naturels. Ils ne coulent pas de source identitaire ou culturelle. Ils sont construits par leurs protagonistes. Mais, pour être fantasmatique, leur élaboration n'est pas non plus déconnectée d'enjeux concrets, d'ordre politique, économique ou social. Elle porte sur l'accès au pouvoir, l'accumulation de capital, la reconnaissance d'un statut dans la hiérarchie de l'inégalité. La compréhension du conflit se situe à cette intersection entre la matérialité et la fiction, entre la réalité et l'irréalité dont l' «indiscernabilité» est le propre de l'imaginaire, nous dit Gilles Deleuze.
Nulles mieux que les luttes agraires nous permettent d'embrasser simultanément ces deux sphères de l'économie politique et de l'économie morale du conflit. Car « la terre, elle, ne ment pas ». Elle est lieu par excellence d'enrichissement, d'organisation de la subalternité, d'appartenance à un terroir, une patrie ou une foi. Sous forme de territoire, elle est le meilleur prétexte de la guerre ; sous celle d'une circonscription, elle est le réceptacle du suffrage universel. A tous ces titres, elle est le vecteur de consciences politiques plus ou moins passionnelles, et d'orientation nationale, ethnique, confessionnelle ou localiste, comme l'illustrent entre autres cas l'ethnicisation des rapports économiques dans la forêt du Kalimantan, la trajectoire des groupes paramilitaires en Colombie, ou les guerres civiles du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d'Ivoire, de la République démocratique du Congo et du Rwanda (atelier I).
La croyance religieuse est une autre médiation de choix de la conflictualité sociale. Non que Dieu y soit pour quelque chose. Ses Commandements d'amour n'expliquent décidément pas la haine à laquelle se livrent ses créatures. Mais l'image que celles-ci se font de Lui leur fournit d'utiles raisons et un matériau commode pour l'invention et la détestation de l'Autre. La concomitance et le télescopage du pentecôtisme et du réformisme islamique au Nigeria, la montée en puissance du Mungiki, mouvement néo-traditionnel mi-prophétique mi-crapuleux, au Kenya, l'obsession et le fétichisme anti-musulman en Suisse comme en France ou aux Pays-Bas nous rappellent que la cité moderne reste cultuelle. La citoyenneté contemporaine demeure sourdement ethnoconfessionnelle non pas à cause, mais en dépit des universalismes monothéistes. En définitive, la religion est moins l'origine que la conséquence des conflits politiques ou sociaux (atelier II).
La lutte contre le « terrorisme international » - sous-entendu « islamique » - en apporte jour après jour la démonstration. «Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d'ennemi», fanfaronnait un conseiller de Gorbatchev. C'était une fois de plus sous-estimer le capitalisme. A l'interface du soft et du hard power, l'industrie occidentale du prêt-à-haïr a vite confectionné un adversaire neuf avec lequel en découdre. A « Nouvel ordre mondial », nouvel ennemi. Les prises d'otages que réalisent quelques groupes armés algériens dans le Sahel donnent l'occasion d'observer sur le vif sa construction dans les termes stériles de la géopolitique et de la prophétie auto-réalisatrice, et selon la vieille rengaine du loup que l'on appelle pour en voir la queue : consigner le Niger ou le Mali dans un « arc de crise » qui les relierait au théâtre afghan d'opérations revient à ouvrir un boulevard à la légitimation anti-impérialiste et islamique des groupuscules de l'Aqmi, à leur donner l'opportunité de se constituer à bon compte une base sociale, et à creuser le piège de la guerre de basse intensité morale dans lequel on risque fort de jeter la région (atelier III).
Qui peut le plus peut le moins, et qui poursuit les voleurs de bœufs n'a pas de peine à pourchasser les voleurs de poules. C'est ce que sont venues nous rappeler les mesures anti-Roms prises par le gouvernement français pendant ce même été 2010. Mais pour attentatoires qu'elles sont aux droits de l'Homme, au Préambule de la Constitution de la Ve République et aux textes fondamentaux de l'Union européenne, elles ont également mis en lumière la condition subalterne et Bogota), Danielle de Lame (Tervuren), et Koen Vlassenroot (Gand)
12h45 - 14h15 : Collation
14h30 - 15h45: Atelier II : La construction religieuse de l'ennemi
Président : John Lonsdale (Cambridge). Avec Ruth Marshall (Toronto), Hervé Maupeu (Pau) et John Peel (Londres)
15h45 - 16h : Pause
16h - 18h: Atelier III : Comment construire un « arc de crise » : amalgame idéologique et fermeture politique au Sahel
Président : Roland Marchal (Paris). Avec Pierre Boilley (Paris), Julien Brachet (Paris), Benjamin Soares (Leiden), Abdoulaye Sounaye (Chicago), et Mohamed Tozy (Casablanca & Aix-en-Provence)
18h15 - 19h30. Atelier IV : L'Europe et ses voleurs de poules : la question rom
Présidente : Ayse Buğra (Istanbul). Avec Milena Guest (Lyon), Iulia Hasdeu (Genève) et Alexandra Nacu (Paris)
19h30 - 20h15 Clôture
Projection du court-métrage Chienne d'Histoire de Serge Avédikian (2010, 15 mn, Palme d'Or du court-métrage à Cannes), présentée par Ahmet Insel (Istanbul) et Osman Kavala (Istanbul).
L'enregistrement audio des trois premières Rencontres européennes d'analyse des sociétés politiques est disponible sur : http://www.fasopo.org/reasopo.htm#rencontres
Informations et programme: http://www.fasopo.org/agenda/03_04022011.pdf
Entrée libre dans la limite des 140 places disponibles