À l’instar des dirigeants de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, Emmanuel Macron n’a d’autre réponse à la guerre d’agression d’Israël contre l’Iran que la reconnaissance de son « droit » de « se défendre ».
Dans la mesure où c’est Israël qui a pris l’initiative unilatérale de bombarder l’Iran sans déclaration préalable de guerre, on pourrait croire, à la première lecture, que l’Elysée reconnaît à Téhéran le « droit » de « se défendre ». Mais non ! Vous n’y êtes pas ! L’intoxication de notre classe politique et de nos médias par la Hasbara – l’appareil de propagande israélien qui, sans relâche, travaille l’opinion publique internationale – est telle que notre langue est devenue orwellienne : la guerre, c’est la paix ; la liberté, c’est l’esclavage ; l’ignorance, c’est la force – et l’agression, c’est le « droit légitime de se défendre ».
Depuis des lustres, les pays occidentaux, moyennant quelques larmes de crocodile et à quelques exceptions près, couvrent les violations systémiques du droit international par Israël. Non seulement ses crimes de guerre et contre l’humanité, d’ordre pré-génocidaire ou génocidaire à Gaza, au dire de la justice internationale. Mais aussi la banalisation du recours unilatéral à la force militaire sans déclaration de guerre ni respect du droit de la guerre, y compris en matière d’occupation de territoires à Gaza, en Cisjordanie, dans le sud du Liban et de la Syrie ; la purification ethnique au bénéfice des colons ; les assassinats extrajudiciaires de dirigeants palestiniens, libanais ou iraniens ; la violation de la souveraineté des pays voisins ; la détention de masse de simples suspects et l’usage de la torture ; l’arraisonnement de navires pacifiques dans les eaux internationales ; l’utilisation de technologies civiles pour frapper ses adversaires comme au Liban (et sans doute en Iran), sans aucun égard pour les victimes collatérales ; le bombardement d’installations nucléaires que prohibe le droit international, en toutes circonstances comme vient de le rappeler l’AIEA ; les meurtres de journalistes, d’humanitaires et d’agents des Nations-Unies ; la destruction systématique des hôpitaux, des écoles, des universités, du patrimoine archéologique et culturel de Gaza.
Par sa déclaration du 13 juin, Emmanuel Macron a franchi un pas de plus dans la légitimation, ou tout au moins l’acceptation, du mépris du droit international et du système multilatéral des Nations-Unies par Israël. En donnant rétrospectivement raison à Poutine dans sa propre guerre d’agression contre l’Ukraine – mais Nicolas Sarkozy avait déjà fait de même lors de l’invasion de la Géorgie, en 2008. En laissant carte blanche à la Chine pour annexer Taïwan – et à dire vrai, Emmanuel Macron l’avait déjà laissé entendre par ses déclarations stupéfiantes lors de son voyage à Pékin, en avril 2023, alors qu’il était encore dans l’espace aérien chinois et que l’île était soumise à un quasi-blocus maritime destiné à l’intimider.
En l’occurrence, le blanc-seing accordé à Netanyahou est d’une vieille facture. Sans même parler de la renonciation cinquantenaire à imposer à Israël les dispositions du droit international que relayaient les résolutions des Nations-Unies, ni de la vaine recherche d’un régime dérogatoire pour l’Etat hébreu au fil des parties de poker-menteur des négociations « pour la paix » que patronnaient les Etats-Unis en leur qualité de tricheur courtier, rappelons que la France avait cautionné la guerre d’agression de Saddam Hussein contre la jeune République islamique d’Iran, en 1980, et l’avait même épaulée militairement en prêtant ses avions et ses pilotes pour la bombarder. On meurt toujours par là où l’on a péché.
J’entends déjà les intoxiqués de la Hasbara. « Et les atrocités du Hamas le 7 octobre ? » Les crimes contre l’humanité du Hamas, incontestables, ne justifient en rien l’anéantissement de Gaza et la purification ethnique que prépare son ravage, pas plus que la guerre d’agression contre l’Iran, quel que soit le soutien politique et militaire que celui-ci a apporté à ce mouvement armé et qui est tout à fait secondaire quant à l’irréductibilité politique de la question palestinienne. Après tout, Netanyahou a lui aussi financé le Hamas.
« Et le programme nucléaire de l’Iran qui ferait peser une ‘menace existentielle’ sur Israël ? » Les pays occidentaux vivent sous la « menace existentielle » de la Russie depuis soixante-dix ans, et réciproquement. Les pays arabes sont sous la « menace existentielle » d’Israël depuis les années 1960 puisque la France a aidé l’Etat hébreu à se doter de l’arme nucléaire contre l’avis des Etats-Unis, avant que ceux-ci ne prennent son relai.
Pour être plus précis, la République islamique n’a relancé le programme nucléaire du Shah, qui avait bénéficié de la coopération de la France, qu’après l’attaque de l’Irak, fort du soutien des pays arabes et occidentaux, et plus précisément qu’après l’acceptation, par ces derniers, de l’utilisation d’armes chimiques par Saddam Hussein, en dépit des conventions internationales. Téhéran avait alors compris que son isolement diplomatique était total, nonobstant le droit. D’où sa volonté de sanctuariser son territoire, selon un calcul similaire à celui de la France, dans les années 1950, alors même que celle-ci bénéficiait de la protection de l’Alliance atlantique. Le « Ni Est ni Ouest » de Khomeyni n’était pas différent de la doctrine de la défense « tous azimuts » du général de Gaulle, n’en déplaise aux vociférations, car la révolution dite islamique fut d’abord nationale, comme l’ont prouvé les évolutions diplomatiques et intérieures de la République.
Certes, les nouveaux dirigeants iraniens ont renoncé à l’alliance avec Israël et rallié le « front du refus ». Mais ils ont pris acte des accords d’Oslo, en 1993, tout en faisant part de leur scepticisme. Ce ne fut point l’Iran qui les déchira, et les faits ont malheureusement prouvé qu’il avait vu juste en exprimant ses doutes.
Certes, Téhéran ne reconnaît pas la légitimité de l’Etat d’Israël, et l’ancien président Ahmadinejad a accompagné cette position diplomatique de propos antisémites inacceptables. Mais aucun spécialiste de l’Iran ne pense que la République islamique aurait risqué son existence en attaquant Israël pour les beaux yeux de la cause palestinienne. Le philo-arabisme n’est pas la qualité la mieux partagée en Iran…
Certes, le programme nucléaire de l’Iran avait des visées militaires, nonobstant les protestations de ses dirigeants quant à la pureté de leurs intentions. Mais son objectif réaliste était vraisemblablement de devenir une puissance « du seuil », capable de se doter de la bombe en quelques semaines en cas de nouvelle agression extérieure contre son territoire, à l’image du Japon. L’histoire montre que même les paranoïaques ont des ennemis. Mais, en France, l’analyse du diplomate chevronné que fut François Nicoullaud, excellent connaisseur de l’Iran où il avait été ambassadeur, et aussi des questions stratégiques, fut étouffée par la « secte » du Quai d’Orsay qui prit le contrôle de la politique d’ostracisme vis-à-vis de la République islamique, à partir de 2002, en trouvant son inspiration dans les philippiques de feu Thérèse Delpech, l’intellectuelle organique du Centre de l’énergie atomique et du Centre d’analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères qui avait approuvé l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003.
Quoi qu’il en soit, ce sont les Etats-Unis qui sont sortis de l’accord nucléaire de 2015, péniblement arraché par un long travail diplomatique, et qui ont émancipé l’Iran des engagements qu’il avait contractés contre la promesse de la levée des sanctions internationales prises à son encontre – promesse qui n’a jamais été honorée, pas même par Barak Obama. Là aussi, le violeur du droit international n’est pas celui que l’on dit.
De tout cela, Emmanuel Macron n’a cure. Ce faisant, il aide Netanyahou à parachever la résolution de la question palestinienne par voie de purification ethnique. Il a d’ailleurs reporté sine die la conférence internationale qu’il avait convoquée à ce propos, sous l’égide des Nations-Unies, et en partenariat avec l’Arabie saoudite. Répétons-le, il entérine, banalise et même sublime une guerre d’agression pure et simple, longuement murie et préparée par Israël, contre l’avis du Mossad dont les chefs successifs, une fois à la retraite, ont à peu près tous condamné la démonisation nucléaire de l’Iran, soit individuellement, soit sous forme de tribunes collectives dans la presse. On comprend d’ailleurs mieux pourquoi Netanyahou a tenu à limoger le chef du Mossad pour y nommer un homme lige de l’extrême-droite suprémaciste, en dépit de l’opposition de la Cour suprême. Il ne s’agissait pas seulement de protéger son entourage crapuleux, mais bel et bien de faciliter la guerre préméditée contre l’Iran…
Aujourd’hui, nul ne peut prévoir les conséquences de la fuite en avant de Netanyahou. Mais l’aveuglement de la classe politique et des médias français sur le Proche et le Moyen-Orient soulève une autre question quant au danger qu’Israël représente désormais pour la démocratie en Europe. Chacun s’émerveille de la compétence avec laquelle les services secrets de l’Etat hébreu sont parvenus à infiltrer l’appareil politico-militaire du Hezbollah libanais et de la République islamique. Doit-on être naïf au point de s’interdire de penser qu’il en fait de même avec ses alliés occidentaux ? Doit-on oublier l’enquête journalistique « Projet Pegasus » qui, en 2021, a dévoilé l’ampleur de l’espionnage israélien dans les pays européens dont Emmanuel Macron semble bien avoir été lui-même la cible ? Doit-on faire silence sur le harcèlement de différentes milices numériques contre toute voix dissidente à l’encontre de la doxa de Hasbara, dont l’Université française est désormais la victime régulière, et qui rend impossible, au sujet de la politique d’Israël, tout « usage public de la raison » selon la définition habermassienne de l’espace public, constitutif de la démocratie libérale ?
À nouveau, j’entends la clameur indignée de ces influenceurs qui vont vite crier au complotisme antisémite sous ma plume. Mais je parle bel bien de la menace que représente un Etat, et non un peuple, un Etat dans lequel ne se sont pas reconnus tous les juifs et dans lequel ils sont peut-être de moins en moins nombreux à se reconnaître, aussi bien en Israël que dans leur diaspora. Un Etat qui poursuit une stratégie outrancière de free rider dans un système d’Etats de plus en plus enclins à en revenir à la loi de la jungle dont le droit international et le système onusien espéraient nous libérer.
Le blanc-seing accordé par Emmanuel Macron à Netanyahou n’est pas indifférent du point de vue de la sauvegarde de nos libertés publiques, de notre souveraineté et de la paix. Il est dangereux – et indigne du rôle que notre pays a tenu dans la construction d’un système de sécurité collective et dans l’élaboration d’un droit international.