En tant que préfacier de l’ouvrage de Fariba Adelkah Prisonnière à Téhéran (Le Seuil, 2024) et membre-fondateur de son comité de soutien lors de son arrestation en Iran, en 2019, mais aussi comme chercheur engagé dans la défense de la liberté scientifique depuis de longues années, notamment au fil de mon blog sur Mediapart, je ne puis laisser sans réaction la tribune nauséabonde que certain(e)s collègues ont publiée sur le site Les Mots sont importants https://lmsi.net et que relaye la présidente de la Ligue des droits de l’Homme, Nathalie Tehio, sur celui de cette honorable institution.
Preuve s’il en est que ladite liberté scientifique n’est pas seulement menacée par les régimes autoritaires et, de plus en plus, par les tenants du pouvoir dans les démocraties libérales, mais aussi par les chercheurs eux-mêmes, voire par des défenseurs des droits de l’Homme, ce qui est un comble.
Vous avez aimé les attaques de Florence Bergeaud-Blackler contre l’islamo-gauchisme ? Vous adorerez la charge d’Azadeh Kian, Chowra Makaremi, Farhad Khosrokhavar, Marie Ladier-Fouladi, Stéphane Dudoignon, Saeed Paivandi et – ô tristesse ! – Pinar Selek, que l’on aurait espéré être plus attentive au terrain sur lequel elle mettait les pieds – contre un livre qui, en quelque sorte, n’existe pas puisqu’il n’a jamais été conçu comme ce pour quoi il est vilipendé. Tout cela sur un site, Les Mots sont importants, dont l’orientation idéologique est pour le moins aussi marquée que confuse.
Chacun est libre de ses opinions. Il est louable d’éprouver de la sympathie et de la solidarité pour le mouvement Femme, Vie, Liberté en Iran, et de croire (ou de ne pas croire) à sa victoire. Il n’est pas interdit de s’associer à la campagne des néoconservateurs étatsuniens et des trumpistes contre la République islamique, qui bénéficient de nombreux relais en France, à commencer par l’inoxydable BHL. Mais, sans même évoquer un sens élémentaire de la décence à l’égard d’une personne qui a passé plusieurs années à Evin, il n’est déontologiquement pas acceptable de salir une chercheuse en prenant son ouvrage pour ce qu’il n’est pas. A moins que mes honorables collègues ne sachent plus lire ? Dans le monde d’aujourd’hui, tout devient possible !
Le mieux est de laisser l’incriminée présenter ses arguments en reproduisant sur mon blog son droit de réponse que LMSI se refuse de publier, jusqu’à preuve du contraire, au mépris de la loi.
Droit de réponse de Fariba Adelkhah à LMSI
L’honnêteté scientifique et politique dont vous vous réclamez à juste titre ne devrait pas vous conduire à critiquer un livre pour ce qu’il n’est pas et n’a jamais prétendu être. Je n’ai jamais voulu écrire un ouvrage scientifique ou exhaustif sur la prison ou la répression en Iran, mais un témoignage anthropologique sur ma prison, sur ma privation de liberté pendant quatre ans et demi. Il ne s’agit de rien d’autre que du récit de choses vues et vécues par une prisonnière, au demeurant chercheuse et arrêtée en tant que telle, qui a gardé pendant sa détention son regard d’anthropologue.
Il est d’ailleurs notable que – sauf erreur de ma part – aucun(e) d’entre vous n’a eu d’expérience carcérale durable en Iran, sinon Stéphane Dudoignon. Je ne nie en rien les faits que vous rapportez. J’apporte des éléments complémentaires dont j’espère qu’ils pourront nourrir le livre de sciences sociales qui reste à écrire sur le système carcéral iranien et, au-delà, la « littérature des prisons » que vous évoquez, même si son intention première n’était pas celle-ci, mais plutôt d’informer les personnes et les institutions qui m’ont soutenue pendant cette épreuve et de les en remercier. J’estime ne pas être la plus mal placée pour parler de la prison, ou peut-être plutôt des prisons en Iran, du point de vue des pratiques sociales qui les constituent. Est-il bien acceptable de vouloir analyser une institution sociale, notamment du point de vue de l’anthropologie, sans travail de terrain, celui-ci fût-il involontaire ? Je ne le pense pas, contrairement à vous, apparemment.
Je tiens par ailleurs à préciser que j’ai résisté, par ma grève de la faim et en signant une pétition contre les condamnations à mort de militant(e)s du mouvement Femme, Vie, Liberté, contre la violence de l’Etat iranien. Je l’ai fait de la prison d’Evin, et non dans le confort de mon appartement. Donc non sans prendre quelque risque pour défendre mes principes. Comme je l’avais fait auparavant, notamment en 2009, quand j’étais libre.
Oui, « les mots sont importants », pour reprendre le nom de votre site. Ceux que l’on devrait lire, plutôt que d’autres qui n’ont pas été écrits. Ceux que l’on écrit aussi, et que l’on devrait peser quand ils comportent des accusations aussi graves que celles que vous formulez à mon encontre.
Dans la mesure où votre texte met gravement en cause mon intégrité professionnelle et morale sur la base de citations soigneusement choisies à charge et extraites de manière arbitraire du reste de mon livre ou d’interviews, je vous mets en demeure de publier, au titre du droit de réponse, ma mise au point dans son intégralité, et je vous en remercie par avance.