Palestine : retour à la barbarie ?
On connaît la phrase d’Albert Camus : Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du Monde.
Mais on oublie le plus souvent la suivante : Ne pas nommer les choses, c'est nier notre humanité.
Jour après jour, nous prenons connaissance des destructions et des massacres dont sont victimes les civil.es palestinien.es sur le territoire de Gaza de la part de l’artillerie et de l’aviation israéliennes, mais aussi des exactions et des assassinats perpétrés en Cisjordanie par les « colons » israéliens, avec la complicité de l’armée d’occupation (exactions et assassinats dont personne ne parle guère).
Plusieurs membres du gouvernement Netanyahou, même des membres de son propre parti, n’hésitent plus à prôner ouvertement la déportation du peuple palestinien dans d’autres pays, y compris dans des contrées très éloignées (au Congo !), en expliquant, sans être démentis par quiconque, que l’État d’Israël aurait « des droits » sur toute la terre de Palestine.
Ces déclarations ont même été débattues doctement sur certains plateaux de télévision, comme d’éventuelles hypothèses de « règlement humain » du conflit, sans même rappeler qu’organiser de telles déportations relève des crimes contre l’humanité dans le droit international.
On comprend mieux dans ces conditions pourquoi il est nécessaire pour les dirigeants israéliens de tout détruire à Gaza et de terroriser par tous les moyens les populations qui s’y trouvent : pour qu’elles fuient, « volontairement » si possible, vers d’autres cieux.
La volonté d’éradication du Hamas apparaît dès lors comme un prétexte fort utile , comme le développement des « colonies » en Cisjordanie, pour aboutir au projet sioniste du « Grand Israël », de la Méditerranée jusqu’au Jourdain, tel qu’il a été conçu dès 1947.
La dénomination fallacieuse des affrontements actuels comme « guerre Israël Hamas », officialisée par presque tous le médias et les pays « occidentaux » (c’est-à-dire alignés sur la position des USA), vient masquer la poursuite sanguinaire d’une guerre coloniale contre un peuple à qui est refusé son droit à l’autodétermination depuis plus de 75 ans, et dont on traite de terroristes tous les actes de résistance, même quand ils sont non violents.
Qui peut penser que les dirigeants des pays occidentaux et des pays arabes seraient si ignorants des intentions du gouvernement Netanyahou qu’ils continueraient à l’autoriser de fait à poursuivre son carnage, sans être au moins implicitement complices de son projet d’éradiquer, non pas tant seulement le Hamas, mais le peuple palestinien lui-même ?
Nous sommes donc bien entrés dans une période de haine et d’abjection.
La pulsion de destruction se déchaîne avec sa compagne, la jouissance, qui est l’appétit du meurtre, manifeste dans de nombreuses images d’origine israélienne diffusées sur les réseaux sociaux.
Nous allons vers la guerre puisque les puissants la désirent et que, comme dans les jeux romains, on offre au peuple du sang, faute d’un pain qui leur coûte trop cher.
Cette guerre pourrait bien être mondiale puisqu'il y en a déjà plusieurs fronts : Proche Orient, mer de Chine, Europe orientale, Afrique subsaharienne, sans compter le risque de guerre civile aux USA et que ce qui se passe en Palestine pourrait servir d’exemple pour les agresseurs en mal d’impunité.
Il ne manquerait plus que l'Amérique latine pour compléter le tableau : rien ne dit que des conflits ne pourraient pas ressurgir au Venezuela, au Brésil, au Chili, en Argentine ou au Mexique
Si Gramsci avait raison, lorsqu’il écrivait que les monstres allaient surgir dans le clair-obscur entre la fin du vieux monde et l’apparition du nouveau monde, ces monstres sont déjà bel et bien sortis de leurs tanières.
Mais sans pour autant que l'on puisse à ce jour envisager un nouveau monde qui soit moins hideux que celui qu'ils préparent par leurs actuelles destructions matérielles et humaines.
S agirait-il d’un retour à la barbarie comme dans les dystopies cinématographiques des années 80 ?
Pour tenter de l’éviter, soyons conscients que la solidarité humanitaire, et la dénonciation des actes criminels des oppresseurs, bien qu’essentielles, ne sont pas suffisantes pour éviter le pire
Il est nécessaire de bien nommer ce à quoi nous sommes confrontés, c’est-à-dire à la poursuite d’une guerre coloniale barbare dans laquelle le colonisateur a réussi se faire passer pour la victime, alors que le colonisé semble être devenu l’agresseur aux yeux de la bien-pensance internationale
Comme le sont déjà tous ceux qui manifestent d’une manière ou d’une autre leur solidarité avec le peuple opprimé.
C’est en portant résolument notre intervention politique sur ce terrain, notamment auprès des gouvernements européens et sur celui de la France en particulier, que nous pourrons peut-être enrayer l’engrenage mortel qui tourne déjà au Proche Orient, avant qu’il ne se réplique ailleurs.
Jean-François PIN
8 janvier 2024