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Billet de blog 11 décembre 2025

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VAINCRE ET/OU DÉMANTELER LA RUSSIE ?

Les puissances occidentales (Empire britannique, puis Royaume Uni, et USA) poursuivent depuis longtemps une politique d’endiguement et d’encerclement de la Russie (successivement l’Empire tsariste, l’URSS, et la Fédération de Russie) : le Grand Jeu britannique (19ème siècle) et le Grand Échiquier (doctrine Brzezinski - 1994). Mais ce n’est pas le seul projet qu’elles ont envisagé.

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Les puissances occidentales (Empire britannique, puis Royaume Uni, et USA) poursuivent depuis longtemps une politique d’endiguement et d’encerclement de la Russie (successivement l’Empire tsariste, l’URSS, et la Fédération de Russie) : le Grand Jeu britannique (19ème siècle) et le Grand Échiquier (doctrine Brzezinski - 1994)
(voir mes bulletins précédents du 27 septembre et du 26 novembre 2025).
Mais ce n’est pas le seul projet qu’elles ont envisagé, et ce depuis longtemps.

Il vient de nous être clairement rappelé par Mme Kaja Kallas, la personne qui fait office de ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne.
Elle a en effet déclaré lors d’une récente réunion publique qu’il serait nécessaire, lorsqu’elle aura été vaincue après la guerre actuelle en Ukraine, que la Russie soit divisée par les vainqueurs en plusieurs entités régionales indépendantes, car sinon elle constituerait une menace permanente pour l’Europe et pour l’Occident.

Constamment en effet la dimension quasi bicontinentale, eurasiatique, et compacte, de l’empire russe a posé problème aux puissances occidentales pour poursuivre leurs visées hégémoniques mondailes successives.

Au 19ème siècle, après la chute de l’empire napoléonien, les trois empires du Vieux continent (Prusse, Autriche et Russie) se partagèrent l’Europe, laissant le reste du monde à l’empire britannique (avant que la France et la Prusse ne lui contestent la domination de l’Afrique, sans trop se préoccuper de l’essor à venir du futur empire américain, ni du futur déclin de l’empire ottoman en Asie centrale et occidentale.

Illustration 1

Mais, à la fin de la 1ère guerre mondiale, les empires centraux (Prusse et Autriche-Hongrie) disparurent, alors que l’ex-empire tsariste fut, quant à lui, remplacé par une Union soviétique qui avait peu ou prou les mêmes dimensions.

Le traité de Brest -Litovsk, signé par le gouvernement bolchévique avec les empires centraux pour mettre fin aux combats sur le front de l’est dès décembre 1917, l’amputa de plusieurs territoires à l’Ouest : Ukraine, Biélorussie, Prusse orientale, pays baltes …

Néanmoins, après la dénonciation de ce traité et la victoire de l’Armée rouge contre les Russes blancs soutenus par les puissances occidentales, elle rassembla la quasi-totalité des territoires, auparavant sous la domination tsariste sous la forme de républiques soviétiques indépendantes, unies dans la nouvelle URSS.

Quelques années plus tard, la dislocation de l’URSS a été programmée par le pouvoir hitlérien à l’occasion de l’invasion du 22 juin 1941 (opération Barbarossa).

Ainsi, dès le printemps 1941, Alfred Rosenberg, le rédacteur du Völkischer Beobachter (organe officiel du parti nazi) anime les discussions autour des projets de recomposition territoriale et raciale des zones qui seront conquises par le 3ème Reich : il propose un redécoupage des territoires en quatre Reichskommissariat,
- l'Ostland comprenant les pays baltes et la Biélorussie,
- l'Ukraine,
- le Kaukasus avec la zone autour des monts du Caucase
- et celui de Moskowien pour le reste de la Russie européenne.

Avec le soutien d’Himmler, il esquissa des politiques de court terme différentes dans chacune de ces circonscriptions : création de ghettos, de colonies de travail, exploitation à outrance des ressources agricoles, organisation de famine de masse, germanisation systématique, déportation des slaves vers la Sibérie, etc.

On sait que, dans son agression contre la Russie, Hitler a bénéficié, outre l’aide de ses alliés italiens, espagnols et vichystes, de l’appui des forces armées de la Finlande, de la Hongrie, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Croatie, ainsi que des unités de nationalistes, fascistes et antisoviétiques d’Ukraine et des pays baltes.

Illustration 2

Comme on le sait également, ces projets n’ont pas abouti et c’est l’URSS en réalité qui a vaincu le 2ème Reich et ses alliés, sa victoire de 1945 lui assurant en outre, non seulement de rétablir ses frontières, mais aussi une domination pendant plusieurs décennies sur l’Europe centrale et orientale, y compris sur une partie de l’Allemagne.

Illustration 3

Malgré cette tentative du Reich hitlérien et de ses alliés, en 1941, de disloquer l’URSS pour s’emparer de sa composante européenne, la forme institutionnelle et structurelle de l’URSS persista avec quelques modifications mineures jusqu’à la fin du 20ème siècle :

- au centre la République fédérative socialiste soviétique de Russie (RFSSR) qui regroupe 15 républiques socialistes fédérées et quelques républiques autonomes

- à l’ouest et au sud, les autres républiques socialistes indépendantes : Biélorussie, Ukraine, Pays baltes, Moldavie Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Kazakhstan et les 4 républiques d’Asie centrale, dont certaines comptent aussi des républiques autonomes

Illustration 4

Après 1990, année de la disparition de l’URSS, la RSFFR conserva l’intégralité de son territoire et sa structure interne, tout en prenant le titre de « Fédération de Russie », chacune des autres républiques prenant totalement son indépendance.

On trouvera le détail de son organisation institutionnelle et de son découpage administratif dans la carte ci-dessous :

- les limites des 8 okrougs (arndissements) fédéraux (Nord Caucase, Sud, Centre, Nord-Ouest, Volga, Oural, Sibérie, Extrême-Orient) figurant en rouge qui constituent la trame du pouvoir central dans les territoires, dotés chacun d’un représentant plénipotentiaire du Président de la Fédération de Russie

-les 21 Républiques fédérées figurant en jaune, qui constituent essentiellement des territoires d’ethnies, dotées chacune de sa propre constitution, de sa propre assemblée législative et de son propre gouvernement sur le principe électif

- les 46 Oblats (régions administratives) figurant en orange et leurs limites en gris

- les 9 Krais (territoires administratifs n’ayant pas le statut d’oblast)) figurant en vert

Illustration 5

Ne figurent évidemment pas sur cette carte les territoires de Crimée et du Donbass qui ont été illégalement annexés par la Russie depuis 2014 au regard du droit international

L’éclatement de l’URSS, consécutive à la sécession des anciennes républiques associés à la République fédérative de Russie, a également mit fin à la domination de la Russie sur les pays de l’Europe centrale et orientale, la plupart d’entre eux ayant choisi de faire partie de l’Union européenne et d’adhérer à l’alliance atlantique de l’OTAN.

Cet affaiblissement objectif de la Russie, ainsi que la crise économique, sociale et morale qu’elle traversa pendant plus de 15 ans, incita certains stratèges géopoliticiens occidentaux russophobes ou revanchards à envisager à nouveau son démembrement.

Ainsi un nouveau projet de démantèlement / dislocation de la Russie est concrètement à l’étude dans une initiative peu connue du grand public, mais très suivie dans certains cercles stratégiques : le Forum des Peuples Libres de la Post-Russie.
Officiellement, ce forum se veut un espace de discussion « démocratique » pour les peuples qui seraient “opprimés” au sein de la Fédération de Russie, en raison de l’histoire, présentée comme colonisatrice, de l’empire tsariste et de ses successeurs.

En réalité, ses travaux ressemblent surtout à un projet géostratégique : la Russie y est envisagée comme un État à fragmenter, à disséminer en entités régionales séparées.

Ses promoteurs font mine de s’appuyer sur quelques revendications irrédentistes ou ethniques, bien que celles-ci, comme on le sait, sont très souvent prises en compte dans la constitution fédérale de la Russie, par l’existence de nombreuses républiques de plein exercice ou de républiques autonomes ayant leurs propres organes dirigeants.

On trouvera ci-dessous la carte issue de ces travaux, présentée officiellement sur son site web au titre de la nouvelle Eurasie du Nord : elle fait imploser l’actuelle Fédération de Russie en une quarantaine d’États, délimités selon des critères ethniques et culturels disparates, aux dénominations parfois étonnantes (États Unis de Sibérie, Fédération du Pacifique, Fédération Yugria-Tyiumen, …) et aux drapeaux déjà définis.

Illustration 6
Illustration 7

Ce forum est patronné par des partis politiques euro-atlantiques (Américains, Polonais, et Baltes notamment) : c’est la députée européenne et ancienne ministre polonaise des affaires étrangères (Pis, parti Droit et Justice), Anna Fotyga, qui a parrainé sa 5ème réunion au sein même du Parlement européen le 31 décembre 2023.

Elle y a rappelé la mission fondatrice du Forum : « Comme dans le cas du Troisième Reich allemand, la Fédération de Russie, en tant que menace existentielle pour l’humanité et l’ordre international, devrait subir des changements drastiques.
Il est naïf de penser que la Russie, après avoir été définitivement vaincue, restera dans le même cadre constitutionnel et territorial. La communauté internationale ne peut pas adopter une position confortable en attendant les développements, mais doit entreprendre une […] re-fédéralisation de l’État russe, tenant compte de l’histoire de son impérialisme et respectant les droits et les désirs des nations qui le composent ».

On ne saurait être plus clair (notamment dans la référence abjecte au 3ème Reich hitlérien), et on comprend mieux ce qui pousse certains à attiser les braises pour poursuivre la guerre jusqu’à la défaite russe qu’ils escomptaient encore en 2023.

Parmi les orateurs, on y comptait également l’analyste américain d’origine polonaise Janusz Bugajski, ancien conseiller des départements d’État et de la Défense, ce qui ne manqua pas d’irriter fortement les cercles dirigeants russes.

Cette première carte divise la Fédération de Russie selon des lignes ethniques et selon un critère « autochtone » de droits historiques supposés.
Mais il en existe d’autres qui s’inspirent des projets de partition de l’Eurasie en plusieurs sphères d’influence selon d’autres visées géopolitiques.
Ainsi le courant stratégique de l’appareil américain inspiré par Brzezinski, obsédé par la mainmise des USA sur l’Eurasie a imaginé un schéma de désintégration plus compact.

Illustration 8

Dans cette formule, la Carélie et une partie du Nord-Ouest russe (avec St Pétersbourg !) seraient attribuées à la Finlande, et la Prusse orientale (Kaliningrad) à l’Allemagne.
La totalité de la Sibérie et de l’Extrême-Orient russe rejoindraient la Chine et les iles Kouriles le Japon qui les revendique depuis plusieurs décennies.
Toutes le républiques caucasiens seraient curieusement rassemblées en une seule entité malgré leurs fortes différences mais le Bélarus ne serait pas touché.
Quant à l’Ukraine, ses nouvelles frontières comprendraient non seulement le Donbass, la Novia Russia et la Crimée, mais aussi les régions de Koursk, de Belgorod et du Kouban, rejoignant ainsi au sud le Caucase et la mer Caspienne.

La Russie serait réduite à un État résiduel de Moscovie, privé des accès à la mer d’Azov, à la mer Caspienne à la mer Baltique et à la Méditerranée via la mer Noire,

Ce dépeçage serait encore plus important si c’était le projet ukrainien qui était appliqué.

La carte dessinée au feutre qu’ont pu photographier plusieurs journalistes dans le bureau du chef du renseignement militaire ukrainien Kyrylo Budanov ampute encore le territoire de l’ex-Fédération de Russie (notée sur la carte РФ = RF), en créant à l’est une nouvelle et immense « République d’Asie centrale » (ЦАР = CAR).

Illustration 9

La conservation de quelques territoires au sud vers le Caucase et la mer Caspienne ne compense pas pour la Russie  la perte des régions au-delà de l’Oural et de la Volga.

D’autant que la carte ukrainienne, par la mention « Ičkerija » qui y figure, reconnaît explicitement l’indépendance de la République séparatiste de Tchétchénie.

Si cette affaire n’était pas si tragique, il serait plutôt cocasse de noter que les puissances occidentales, si promptes à condamner la violation des frontières de l’Ukraine par la Russie, et si peu ouvertes à prendre en compte les aspirations autonomistes des habitants du Donbass, soutiennent ces projets qui visent à démanteler la Russie, à satisfaire plusieurs revendications séparatistes et à transférer certaines parties de son territoire à des pays voisins.

Au-delà des considérables enjeux de défense européenne et de géopolitique mondiales, n peut comprendre que, dans sa guerre actuelle avec l’Ukraine (et, de facto, avec l’Otan), la Russie considère, au vu des menaces qui pèseraient sur elle en cas de défaite, qu’il s’agit, au sens propre du terme, d’un conflit existentiel.

Comme l’Ukraine et l’Europe estiment qu’il s’agit aussi pour elles d’un conflit existentiel, le dialogue de sourds, alimenté par les arrière-pensées et les perfidies, pourrait durer longtemps pour le malheur des Russes, et surtout des Ukrainiens.

D’où l’importance, et l’urgence, de l’organisation d’une conférence internationale pour la sécurité mutuelle en Europe et la redéfinition des frontières post URSS.

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