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Billet de blog 12 février 2024

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De quoi l’ONU et le droit international sont-ils encore les noms ?

Dans les conflits du Proche et du Moyen Orient, il est devenu habituel de dénoncer les « doubles standards », c’est-à-dire les différences de traitement politique et médiatique entre les États en conflit selon leurs réseaux d’alliance ou de sympathie. On peut légitimement se demander ce qui, dans ces pratiques, relèverait plus de l’hypocrisie, du cynisme ou de la complicité ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans les conflits du Proche et du Moyen Orient, il est devenu habituel de dénoncer les « doubles standards », c’est-à-dire les différences de traitement politique et médiatique entre les États en conflit selon leurs réseaux d’alliance ou de sympathie.
On peut légitimement se demander ce qui, dans ces pratiques, relèverait plus de l’hypocrisie, du cynisme ou de la complicité ?

Ce qu’on observe au Proche Orient, depuis les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023, illustre abondamment ce questionnement, plus particulièrement en ce qui concerne les décisions de l’Assemblée générale de l’ONU et celles de la Cour internationale de Justice.

Mais en réalité, il y a bien longtemps que les décisions de l’ONU sont ignorées avec mépris par Israël, même quand elles sont prises par le Conseil de sécurité.

La plus connue, c’est bien sur la résolution 242 du conseil de sécurité (22 novembre 1967) qui, en déclarant inadmissible l’acquisition de territoires par la guerre, implique le retrait obligatoire des forces israéliennes des territoires qu’elles occupent, et l’interdiction pour Israël d’établir des colonies de peuplement dans ces territoires.

Les différents gouvernements israéliens qui se sont succédés pendant près de 60 ans ont refusé obstinément d’obéir à cette décision (ce qu’on peut éventuellement comprendre), mais personne n’a jamais envisagé de prendre des mesures pour les inciter, et a fortiori, les contraindre à le faire.

Pourtant, lorsque d’autres pays sont accusés par l’Occident d’enfreindre le droit international, les décisions collectives ou d’individuelles d’embargo, de boycott ou d'autres sanctions ne tardent pas à pleuvoir ; voire des interventions militaires (l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Serbie s’en souviennent)

Au lieu de cela, non seulement Israël n’a pas été sanctionné pour son refus d’appliquer cette décision majeure de l’ONU, mais les USA et l’Union européenne ont systématiquement toléré (si ce n’est encouragé) sa politique d’oppression des populations palestiniennes, d’extension des colonies illégales et de confiscation de terres et d’habitations.
Rendant ainsi encore plus difficile la création de l’État de Palestine, alors qu'elle a été décidée par l’ONU dès 1948, et qu'elle s’avère la seule solution pour conduire à la paix dans la région.

Pourtant, chacun sait que l’État d’Israël, que ce soit du point de vue économique, financier ou militaire, est totalement dépendant des soutiens des pays occidentaux.
C‘est le cas, par exemple de l’armement et des munitions.
Israël ne dispose que de 3 jours de stocks pour poursuivre ses bombardements intensifs sur Gaza : il suffirait de ne plus assurer de livraisons, ou de les réduire, pour faire cesser le carnage, mais ni les USA, ni la France n’envisagent de le faire …

Cette hypocrisie des pays « occidentaux » confère au gouvernement israélien une impression (bien réelle) d’impunité, qui l’encourage parfois à adopter une attitude d’un cynisme éhonté.

Ainsi en est-il de la résolution 1701, prise à l’unanimité du conseil de sécurité de l’ONU (11 août 2006), qui met fin au conflit israélo-libanais.

Elle préconise le retrait des forces israéliennes qui occupaient le sud du Liban, et leur remplacement par les forces libanaises et celles de la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies au Liban).
Ce texte prévoit en outre d’éloigner le Hezbollah de la frontière en échange du respect par Israël de la souveraineté libanaise.

Israël n’a pas respecté tous les termes de la résolution : non seulement son armée ne s’est pas retirée de la zone libanaise proche de la Syrie (les fermes de Chebaa), mais son aviation a violé l’intégrité territoriale du Liban plusieurs dizaines de milliers de fois depuis 2006.

Cela n’a pas gêné le 1er ministre israélien, récemment, de menacer le Liban de le soumettre aux mêmes bombardements que la bande de Gaza, au prétexte que les milices armées du Hezbollah ne se seraient pas retirées suffisamment loin de la frontière.

En toute mauvaise foi pour quelqu’un qui, dans ce cas précis comme dans tous les autres, méprise les décisions  de l’ONU qui ne sont pas conformes à sa vision.
Et sans pour autant faire l’objet de la moindre critique !

La situation actuelle, après la décision du 26 janvier 2024 de la Cour internationale de justice est encore plus impensable.

Cette Cour a le pouvoir de statuer sur des litiges entre deux États signataires de la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » (traité du 9 décembre 1948, signé par 152 pays).
Elle est composée de 15 juges, choisis par l’Assemblée générale de l’ONU, auxquels s’ajoutent un juge de chacun des deux pays concernés ; chaque juge « est censé n’être loyal qu’au droit international et à sa propre conscience ».
Ses verdicts sont contraignants et, le cas échéant, ils sont appliqués par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Saisie par l’Afrique du Sud accusant l’État d’Israël de violer la convention de 1948 par ses actions dans la bande de Gaza, la CIJ, le 26 janvier 2024, dans l’attente d’un jugement ultérieur sur le fond, a indiqué des « mesures conservatoires » (provisoires et contraignantes) qui exigent notamment qu’Israël :

1- empêche tout acte de génocide contre les Palestiniens à Gaza,

2- permette la fourniture de services de base et d’assistance humanitaire,

3- empêche et punisse l’incitation à commettre un génocide.

Il s’agit de décisions fortes et engageantes pour tous les États signataires de la convention de 1948.

Or que constatons nous ?

Bien sûr le gouvernement israélien a contesté la légitimité de la décision de la CIJ, suivi par plusieurs pays « occidentaux » dont notamment le Royaume Uni.

Il a allumé un contre-feu en accusant, sans preuve vérifiables, l’agence onusienne chargée d’apporter assistance aux réfugiés palestiniens (UNRWA) d’être infiltrée par le Hamas.
Cette accusation a eu pour conséquence qu’une douzaine de pays (USA en tête) ont immédiatement annulé leur contribution financière à cette agence, mettant ainsi gravement en cause l’aide humanitaire aux palestiniens de Gaza.

Ces décisions aggravent évidemment le risque de génocide et les dirigeants qui les ont prises pourraient, le moment venu, être au minimum accusés de non-assistance à peuple en danger.

Alors que, de toutes parts, les appels à conjurer d’urgence le risque de catastrophe humanitaire, sanitaire et alimentaire se multiplient, on n’entend encore, de la part des dirigeants du « monde civilisé » que de vagues invitations à la modération en direction du gouvernement israélien.

Les livraisons d’armes et de munitions continuent de plus belle : elles vont permettre dans quelques jours de bombarder la ville de Rafah, véritable cul-de-sac où les Gazaouis se sont réfugiés en masse sous la pression de l’armée d’occupation, sans pouvoir sortir de ce piège infernal,
Personne ne croit en effet à l’annonce faite par Netanyahou de la création d’un couloir d’évacuation vers le littoral, et même si elle était concrétisée, il s’agirait d’un exode forcé supplémentaire pour ces populations qui sont déjà traumatisées par les bombardée, les morts, les blessures et les privations.

Serait-ce exagéré dans ces conditions de penser que le risque de nettoyage ethnique s’aggrave ?  
et par voie de conséquence, le risque de pratiques génocidaires que la CIJ exige d’interdire ?

Le silence assourdissant de tous nos beaux esprits, si prompts aux dénonciations devant le tribunal médiatique, aux appels vibrants pour des interventions militaires lorsqu’ils pensent détecter une atteinte au droit international ou un risque humanitaire, devient jour après jour plus ignoble.
Si certains versent parfois quelques larmes de crocodile sur les 30 000 morts palestiniens, la plupart les traitent encore de "malheureuses victimes collatérales » d’une invasion israélienne qu'ils continuent à considérer comme « légitime ».

Quant au gouvernement français, son double langage n’a d’égal que son aveuglement, tous deux coupables.

La France assurait la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU jusqu’au 31 janvier 2024.

Or le président Macron n’a pris aucune initiative pour qu’un projet de résolution soit mis à l’étude pour faire appliquer les décisions de la CIJ, comme chaque État signataire de la convention de 1948 en a, du moins en théorie, l’obligation.
Installant ainsi l’indifférence apparente de l'ONU à faire appliquer les décisions de la CIJ, et encourageant de fait le goouvernement israélien à poursuivre ses interventions à Gaza comme si aucun jugement n'avait été rendu.

Les auteurs du traité de1948, avaient à l’esprit l’horreur du génocide perpétré par l’Allemagne nazie contre les populations juives d’Europe, et l’absence d’intervention des autres pays pour l’empêcher, notamment les USA et le Royaume Uni, alors qu’ils en étaient au moins partiellement informés.
Voulant éviter qu’un tel désastre humain et moral se reproduise  par l’inaction de la communauté internationale, ils ont prévu des dispositions pour prévenir un risque de génocide, en en rendant coresponsables l’ensemble des États signataires.

C’est pourquoi il n’est pas totalement exclu que, devant cette situation inédite, certains états signataires de la convention de 1948, à l’instar de l’Afrique du Sud, sollicitent à nouveau la CIJ pour accuser telle ou telle « grande puissance », membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, d’inaction coupable pour éviter le risque de génocide, voire de complicité de fait.

Car, en dépit de ce que prétendent certains, la décision de la CIJ du 26 janvier 2024 n’est pas une décision politique, mais une décision juridique qui s’inscrit dans l’application du droit international.

Quelles que soient les évolutions politiques et militaires, un jour ou l’autre, le droit passera, comme il est passé après la 2ème guerre mondiale, après les guerres des Balkans, le génocide du Rwanda, etc.

Il existe en effet une autre juridiction internationale, indépendante, le TPI (tribunal pénal international) qui peut mettre en accusation et juger les personnes considérées comme responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et/ou de génocide.
Des plantes nominatives contre un certain nombre de dirigeants israéliens ont d’ores et déjà été déposées par un collectif d’avocats.

Rien ne dit qu’elles ne pourraient pas être complétées plus tard par des accusations de complicité visant d’autres acteurs du conflit, à la lumière de ses développements récents.

Cependant, si la perspective que les procédures judiciaires concernant, d’une part les États responsables, d’autre part les personnes impliquées, pourraient aboutir, il est certain que leurs conclusions demanderont plusieurs années.
Et entre temps, les enfants continuent à mourir sous les bombes ou à être mutilés, leurs familles vivre sans abri et dans la peur, la malnutrition, sans eau, sans services médicaux.

Peut-on dire comme certains que l’ONU et le droit international ne servent à rien ?
et que le seul droit qui compte serait le droit du plus fort ?
Peut-être que non si celles et ceux qui aspirent à la justice et à la paix décident de s’emparer des décisions de la CIJ.
Et agissent pour imposer aux dirigeants de leurs pays de les respecter et de les faire respecter, non seulement par de belles déclarations diplomatiques, mais aussi, et surtout, par des actes concrets sanctionnant la poursuite des actions dénoncées par la CIJ.
Sous peine d’être désignés un jour comme complices des massacres en cours et à venir.

Dans ce sens, la récente action en justice de plusieurs organisations de défense des droits humains des Pays Bas contre le gouvernement néerlandais, est un exemple intéressant et utile.

La cour d’appel de La Haye leur a donné raison en ordonnant à l’État de « cesser toute exportation et transit réels de pièces de F-35 vers la destination finale Israël dans les sept jours suivant la signification de ce jugement », reconnaissant que la fourniture de ces pièces contribue aux violations présumées du droit international par Israël dans son intervention militaire dans la bande de Gaza.

Un exemple à adapter et à suivre, certainement.

Faire appel au droit international en toutes circonstances, c’est agir pour éviter son délitement et œuvrer pour son efficacité.

Or, précisément, ceux qui, de toutes parts, le dénigrent, le bafouent, le contournent, ou le combattent, ce sont ceux qui veulent en revenir à la loi du plus fort, du plus violent, du plus riche.

L’ONU et le droit international, ce sont actuellement, malgré leurs imperfections, les meilleurs instruments pour tenter d’éviter les guerres, et de construire la paix, dans l’intérêt de tous les peuples.

Jean-François PIN
12 février 2024

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