Pour Frédéric Lordon, le fascisme se définit par la combinaison de 3 éléments :
- un État autoritaire imposant une normalisation idéologique en s’appuyant sur un appareil de répression à son service (police, justice, …)
- l’instrumentalisation systématique des détresses et des frustrations sociales pour stigmatiser les plus précaires et les plus pauvres
- une doctrine de guerre de civilisations, dans laquelle la menace existentielle, de péril vital, autoriser toutes les formes de violences
voir : https://blog.mondediplo.net/fascisme-definition

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Le philosophe et écrivain Umberto Eco, quant à lui, a une autre approche des risques de résurgence du fascisme, issue de son expérience de jeunesse en Italie, mais qui n’est nullement contradictoire avec celle de Lordon.
Elle me semble tout aussi opératoire (voire plus) pour reconnaître le fascisme en cours de constitution, avant même qu’l soit installé.
Et donc de le combattre avant qu’il soit trop tard
C’est en 1995, qu’Umberto Eco publia dans une revue américaine un essai intitulé « Ur-Fascism », adapté d’un discours qu’il avait tenu à la Columbia University : il y revenait sur son expérience personnelle du fascisme italien, et avançait une grille d’analyse des signes avant-coureurs du basculement d’un régime politique vers le fascisme.
Cet ouvrage a été traduit et publié en français chez Grasset sous le titre : « Reconnaître le fascisme »
On trouvera ici, en résumé, les quatorze points caractéristiques de ce qu’Umberto Eco a nommé le fascisme éternel ou Ur-Fascisme,
Dans l’esprit d’Eco, ces attributs ne peuvent s’organiser en système, beaucoup sont contradictoires entre eux et sont aussi typiques d’autres formes de despotisme ou de fanatisme.
Mais il suffit d’un seul pour que le fascisme puisse se concrétiser à partir de cet attribut.
C’est en cela que cette description dynamique me semble encore opératoire pour analyser les évolutions auxquelles nous assistons et prévoir ce qui pourrait en résulter.
Eco définit le fascisme italien, qu’il a connu dans sa jeunesse, en le différenciant du nazisme.
Pour Eco, si l’on prend la définition originelle du fascisme tel qu’il est apparu en Italie au début du 20ème siècle, on ne peut pas trouver beaucoup de mouvements actuels qui présentent les mêmes critères, même les mouvements nazis.
Le fascisme italien est la première dictature de droite qui domine un pays européen. Il développe non pas vraiment une idéologie mais plutôt une rhétorique et un archétype, repris dans bien des autres mouvement fascistes qui l’ont suivi dans les années trente.
Évidemment, il constitue une sorte de totalitarisme, mais plutôt flou et imprécis, renfermant une diversité d’idées politiques et philosophiques, souvent contradictoires entre elles, s’articulant tant bien que mal avec ses propres archétypes, tels les arrestations, la liberté de la presse supprimée, les syndicats démantelés, des lois promulguées par l’exécutif passant outre le législatif, une défense de la race ….
Mais sans être un régime aussi avancé, organisé, programmé que le nazisme totalitaire,

Eco déduit de cette définition « floue » du fascisme originel que le fascisme peut émerger et se présenter de plusieurs manières.
De nature multiforme, le fascisme peut s’adapter à toute situation historico-politique.
C’est pourquoi Eco propose une liste de caractéristiques de ce qu’il appelle l’Ur-fascisme, à savoir le « fascisme primitif et éternel », à partir desquelles on peut le reconnaîre, même si certaines de ces caractéristiques ne sont pas présentes dans telle ou telle forme qu’il peut prendre.
1- Le culte de la tradition.
Celui-ci considère que la vérité existe seulement dans les traditions, malgré leurs contradictions. Comme la vérité existe déjà, il ne peut y avoir de nouveau savoir.
2- Le refus du modernisme.
On le retrouve dans la condamnation du siècle des Lumières, de la Révolution de1789, du rationalisme qui marquent, pour les fascistes, le début de la décadence.
3- Le culte de l’action pour l’action.
La réflexion, la recherche, la culture, sont suspectes car critiques.
4- Le refus de l’esprit critique.
Étant irrationaliste, le fascisme refuse tout désaccord, considéré comme une trahison.
5- Le fascisme est raciste par nature.
Voulant éviter les diversités résultants des désaccords, il prône le consensus en exploitant la peur des différences au sein du peuple.
6- Il s’adresse aux classes moyennes frustrées.
Il prétend que si elles sont désavantagées par la crise économique, les responsables en sont les groupes sociaux inférieurs.
7- il utilise le nationalisme pour unir le peuple.
Il incite les « nationaux » à se sentir menacés par des ennemis extérieurs et intérieurs, d’où l’obsession de la xénophobie, du complot et de la préparation de la guerre.
8- Il pousse le peuple à se sentir humilié.
Il suscite cette humiliation en stigmatisant la richesse et la force de ceux qu’il a désignés comme ses ennemis.
9- Pour le fascisme, la vie est une guerre permanente.
Elle concerne plusieurs ennemis simultanément ou successivement, que la Nation devra vaincre pour atteindre enfin un futur pacifique.
10- Il prêche pour un élitisme populaire.
Chaque citoyen appartient au meilleur peuple du monde. Mais comme les peuples sont faibles ils ont besoin d’un dominateur et d’une hiérarchie.
11- Il prône le culte des héros.
Les exploits des grands hommes de la Nation sont célébrés et chacun est éduqué pour devenir un héros, ce qui devient la norme, avec son corollaire le virilisme..
12- L’Ur fascisme est machiste et sexiste par nature.
Il transfère sa volonté de guerre permanente et d’héroïsme sur des questions sexuelles, en méprisant les femmes et l’homosexualité.
13- Il se fonde sur un populisme qualitatif.
Sous l’Ur-fascisme, les individus n’ont pas de droit comme en démocratie.
Seul le peuple a des droits, mais sous une « volonté commune ». Le rôle du parlement est dès lors minoré, voire purement et simplement supprimé.
14- Il parle la novlangue en appauvrissant le vocabulaire.
L’objectif est de restreindre ainsi la possibilité de raisonner, d’argumenter et de critiquer. La pratique du talk-show des chaines de TV constitue une nouvelle forme de novlangue.

Dans l’esprit d’Umberto Eco, ces attributs ne peuvent pas s’organiser en système, car beaucoup sont contradictoires entre eux et sont aussi typiques d’autres formes de despotisme ou de fanatisme.
Mais il suffit d’un seul d’entre eux pour que le fascisme puisse se concrétiser à partir de lui.
Aussi il nous met en garde : « L’Ur-fascisme est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes. Notre devoir est de le démasquer, de montrer du doigt chacune de ses nouvelles formes, partout et en tout temps ».
L’évolution de la situation politique au sein des différents pays d’Europe et en Amérique du Nord montre bien, en utilisant la grille proposée par Umberto Eco, que l’installation du fascisme y est en route.
Pour ne prendre que le cas de la France, on peut malheureusement constater que plus de la moitié des 14 attributs sont déjà vérifiés.
C’est pourquoi il est plus que temps de réagir pour endiguer cette peste noire et de convaincre nos concitoyen.nes à la fois du danger et de l’urgence de la riposte.
En combattant frontalement ses attributs les plus manifestes : le racisme, le sexisme, les discriminations, le virilisme, l’autoritarisme, le négationnisme, l’obscurantisme, le bellicisme, l’hégémonisme, le conservatisme, le complotisme, …
