par Jean-François PIN
avec le concours amical de Cathy PINHEIRO
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Il y a quelques jours, en croisade contre les lapins qui prolifèrent sur sa commune, le maire de Baillargues (Hérault) a scandalisé le parti Animaliste en utilisant les panneaux municipaux d’information pour diffuser la recette du civet.
Personne ne sait s’il s’est inspiré la célèbre « taxe lapin » de Gabriel Attal, sensée lutter contre la multiplication des lapins dans les cabinets médicaux.
Toujours est-il que les « lapins », posés par des patients prétendument indélicats à leurs médecins traitants sont devenus, à l’instigation de notre cher « arriviste arrivé » de premier ministre, les symboles de nombreuses difficultés que rencontre depuis de nombreuses années notre système de santé.
En réalité, derrière ces sympathiques léporidés se trouvent les vraies cibles visées par le couple Macron-Attal : les patients, accusés d’être opportunistes et irresponsables, profiteurs, voire fraudeurs.
Ce sont eux qui sont ainsi désignés comme étant les véritables responsables, donc coupables, des difficultés organisationnelles et financières que connaissent aussi bien les hôpitaux, des services d’urgence, la médecine de ville, …
Cette idéologie réactionnaire, accusatrice et punitive vis-à-vis des patients, sous-tend les discours de tout ce que compte l’échiquier politique, syndical et professionnel de réactionnaire et de conservateur
Elle accompagne l’histoire de la Sécurité sociale presque depuis sa création.
Elle a comme finalité et comme conséquence de porter atteinte sournoisement aux droits des patients à l’accès aux soins
Elle permet aussi de masquer les carences des ceux qui sont les vrais responsables des difficultés du système et notamment le gouvernement et la direction de la CNAM.
Un recul des droits dans le domaine de la santé sera d’autant plus facile à faire accepter s'il est présenté comme une solution aux comportements abusifs ou immoraux des patients, responsables du « problème » à résoudre
On ne compte plus les mesures prises ou annoncées par le gouvernement pour, selon lui, « responsabiliser » les patients (c’est à dire les pénaliser, notamment financièrement)
La chasse aux fraudes fait l’objet fréquemment d’une large couverture médiatique.
Mais, la réalité, telle qu’elle ressort des rapports officiels de la CNAM, est loin de confirmer cet engouement.
Bien sûr, la fraude existe :
Elle est chiffrée à 466 millions d’euros en 2023, à comparer aux dépenses totales annuelles de santé, soit 313,6 milliards d’euros (chiffre de 2022).
La part de la fraude s’élève donc environ à 0,15 % des dépenses de santé.
De plus, la part de la fraude imputable aux patients ne représente que 91,1 millions d’euros,
soit 19,5% du total de la fraude et 0,03% du montant des dépenses de santé !
Autant dire qu’elle est totalement marginale …
La Cnam distingue trois types de fraude des patients : les fraudes aux droits (le patient obtient des prestations pour lesquelles il n’aurait pas dû avoir de droits, comme un accès à la complémentaire santé solidaire), les fraudes aux prestations en nature (le patient bénéficie de soins qu’il n’aurait pas dû obtenir) et les fraudes aux prestations en espèces (le patient reçoit de l’argent qu’il n’aurait pas dû obtenir comme des indemnités journalières ou une pension d’invalidité).
De fait, l’essentiel de la fraude provient des professionnels de santé eux-mêmes (80,4% des montants en euros).
Il s’agit notamment des pharmaciens (80 millions €), des centres de santé (58 millions €), des infirmiers (50 millions €), des transporteurs (34 millions €), des médecins spécialistes (23 millions €), des audioprothésistes (21 millions €), des médecins généralistes (18 millions €), …
Quant aux abus dont se rendraient coupables les patients, les chiffres disponibles ne semblent pas significatifs, et les mesures prises pour y remédier en théorie ne sont guère probantes.
En matière d’arrêts maladies, qui sont souvent montrés du doigt par les médias, la responsabilité des abus est forcément partagée avec les médecins traitants qui les prescrivent.
Comme la réforme du « forfait patient urgence », le doublement des franchises médicales, présenté comme des mesures destinées à combattre les abus des patients, a eu pour principal effet de réduire l’accès aux soins à des gens qui en auraient besoin, ce qui dégrade leur état de santé et entraînera probablement des surcoûts ultérieurs.
La hausse du nombre de jours de carence pour obtenir les indemnités journalières entraîne presque systématiquement la transformation des arrêts de courte durée en arrêts de longue durée, et elle ne réduit nullement le nombre d’arrêts.
La volonté de réduire la prise en charge des soins des patients titulaires du dispositif ALD (affection de longue durée) pour « soi-disant » les responsabiliser oublie le fait que leur accès à ce dispositif repose sur l’existence d’affections importantes et durables dont ils ne sont évidemment pas responsables, et sur la proposition de leur médecin référent, sous le contrôle de la CNAM !
Quant à l’idée de la fameuse « taxe lapin » pour pénaliser les patients qui n’honoreraient pas leurs rendez-vous médicaux, elle semble difficilement applicable tant sur le plan juridique (qui va attester l’absence au rendez-vous ?) que sur le plan organisationnel (comment prélever l’amende ? et par qui ?).
Le patron de Doctolib, la principale plate-forme de rendez-vous, refuse que le dispositif transite par sa société, même s’il est favorable au principe de cette « taxe lapin ».
Quoi qu’il en soit, on voit mal comment cette mesure pourrait sérieusement pallier les grandes difficultés d’accès à la médecine de ville , même en dehors des « déserts médicaux », et surtout la réduction programmée de la durée moyenne des consultations à 10 mn au lieu de 15mn à ce jour.
De fait, l’argument principal mis en avant par certains syndicats de médecins, c’est le manque à gagner dont leurs confrères seraient victimes en raison de ces défections, correspondant à 27 millions de consultations prétendument « perdues » par an (sans que personne ne puisse vérifier un tel chiffrage bien sûr)
Cette approche marchande, voire mercantile, illustre une fois de plus la dérive néolibérale et réactionnaire qu’ont emprunté depuis plusieurs années les dirigeants politiques, syndicaux et professionnels dans leur approche du système de santé, tel qu’il a été conçu initialement lors de la création de la Sécurité sociale.
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Le mythe qu’ils entretiennent du patient, consommateur de soins, opportuniste, abusif, voire fraudeur, qu’il faudrait « responsabiliser » par des mesures punitives notamment au plan financier permet de masquer cette dérive, de détourner l’attention de la volonté du gouvernement de réduire les financements de la santé, et surtout de légitimer ce qui ne serait pas défendable autrement.
C’est cette propagande rétrograde et antisociale qu’il est devenu indispensable de combattre.