Cher François Ruffin
Je suis vos actions et vos interventions depuis plusieurs années, notamment après votre participation au mouvement « Nuit debout », auquel le nom du micro-parti que vous avez créé fait référence.
J’apprécie énormément votre souci constant de faire connaître les problèmes que rencontrent celles et ceux de nos concitoyen·nes qui ont la vie la plus dure (ouvrier·es, femmes de service, assistantes maternelles, salarié·es sans papiers, employé·es de l’hôtellerie -restauration…) et d’agir pour leur trouver des solutions.
Vous le faites à votre manière toute personnelle, à l’Assemblée nationale et dans les médias, ce qui met en évidence votre parfaite sincérité dans ces interventions.
Même si, personnellement, excusez ma propre sincérité, j’en trouve la tonalité parfois un peu populiste, voire paternaliste ; d’autant que certains de vos propos où vous rappelez vos origines me font inévitablement penser au titre de « fils du peuple » attribué autrefois à Maurice Thorez.
Comme ce que vous faites m’intéresse toujours, je viens de prendre connaissance de la lettre ouverte que vous venez d’adresser à Raphaël Glucksmann, le chef de file autodésigné de la liste social-démocrate pour l’élection européenne.
https://francoisruffin.fr/cher-raphael-glucksmann/
Je pensais y trouver du neuf, mais je vous avoue que je suis très déçu par ce que j’y ai lu et surtout par ce que je n’y ai pas lu.
Commençons par la question de l’union.
Vous dites, je vous cite, ne pas vouloir le retour des « deux gauches irréconciliables »
Mais ne voyez-vous pas que la désignation de Glucksmann comme chef de file de la liste PS signifie que ce retour est la choix stratégique de la social-démocratie ?
Raphaël Glucksmann l’assume ouvertement, et il s’en glorifie.
Si vous pouviez en douter, il vous suffirait de prendre connaissance de ses propos publics lors du meeting qu’il a tenu à Bordeaux samedi 20 janvier
https://www.mediapart.fr/journal/politique/210124/raphael-glucksmann-assume-un-clivage-gauche-pour-les-elections-europeennes
Au lieu de craindre le retour de la guerre des gauches », il faudrait plutôt combattre ceux qui en sont les promoteurs, et en premier lieu Raphael Glucksmann .
Je n’ai pas vu cette volonté en vous lisant.
Comme je n’ai pas vu votre rappel du fait que ce n’est pas la France Insoumise qui a sabordé la Nupes, mais bien, chacun à sa manière, les autres partis qui la composaient avec elle, et notamment le PS.
Sur l’Europe, à présent.
Les divergences que vous pointez restent plutôt classiques par rapport des conceptions différentes du fonctionnement « démocratique » de l’Union européenne.
Quant à un éventuel élargissement à l’Ukraine vous ne formulez de réticence que par rapport à ses conséquences sociales et économiques (cheval de bataille de Glucksmann) en fonction de l’expérience des élargissements antérieurs.
Argument certes tout à fait légitime mais qui ignore le fond des intentions affichées par votre interlocuteur : la constitution d’une Europe puissance, la création dotée de ses propres forces de défense, et le maintien de la conception atlantiste des relations internationales, c’est-à-dire dans la logique de la guerre froide vis-à-vis de la Russie et de la Chine notamment.
Avouez que, dans le cadre d’un dialogue politique sur l’avenir de l’Europe, soutenir la contradiction sur la dimension géopolitique de son positionnement est, pour le moins, loin d’être secondaire !
Aussi je m’étonne de votre silence sur ce sujet.
Comme je m’en étonne également à propos des actuels événements tragiques du Proche Orient.
Je peux concevoir que, dans votre lettre, vous ayez préféré ne pas évoquer le fond de la question palestinienne, ainsi que les causes et les responsabilités des uns et des autres dans les massacres du 7 octobre et ceux des mois suivant.
Mais chacun sait que Glucksmann, ayant milité pour le soutien inconditionnel à Israël, est un des plus farouches détracteurs de la France Insoumise à propos des positions que ce mouvement a pris.
Quant à Jean-Luc Mélenchon il le traite à présent quasiment en ennemi, en tenant ces dernières semaines à son encontre des propos injurieux voire calomnieux.
Votre silence sur ce qui est devenu, de l’unique responsabilité de votre interlocuteur, une situation hautement conflictuelle, me trouble très sérieusement.
Ces trois exemples me rendent vraiment sceptique sur la portée réelle de ce dialogue, si ce n’est la tentative grossière de la part de Raphaël Glucksmann, en vous choisissant comme partenaire privilégié (« il faudra que l’on parle avec Monsieur Ruffin »), de tenter d’introduire des ferments de division au sein de la France insoumise.
Excusez-moi de vous dire les choses sincèrement et peut-être un peu crûment
Si les places n'étaient pas déjà prises, vous feriez certainement un excellent secrétaire général d'une centrale syndicale
Mais pour ce qui est d'être candidat à l'élection présidentielle, vu vos silences ou vos approximations sur certaines questions clefs de la fonction, pour l’instant, vous n'êtes pas du tout convaincant à mes yeux .
Si telle était votre ambition, comme certains l’entrevoient, il ne vous suffirait pas d’être en bons termes avec le centre gauche après lui avoir donné des gages de « respectabilité » selon ses propres critères.
Aussi je ne saurais trop vous inciter, s’il a été interrompu, à renouer le dialogue avec votre ancien partenaire de « Nuit debout », Frédéric Lordon, ou à tout le moins lire le texte qu’il vient de publier dans le blog qu’il anime sur le site du Monde diplomatique, « Clarification »
https://blog.mondediplo.net/clarification
Ce serait à mon avis bien plus fécond que de le poursuivre avec Raphaël Glucksmann.
Sincèrement
Jean-François PIN
altermondialiste insoumis
21 janvier 2024
Agrandissement : Illustration 1
