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Billet de blog 26 février 2024

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Mayotte, laboratoire du macro-lepénisme

En annonçant le 12 février l’abrogation du droit du sol à Mayotte, le ministre Darmanin répondait selon lui à la colère des collectifs de citoyens qui paralysaient l’île, excédés par l’insécurité chronique et l’immigration irrégulière. Depuis, plusieurs voix ont critiqué tant la faisabilité constitutionnelle de ce projet que son efficacité vis-à-vis des problèmes qu’il est censé résoudre.

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En annonçant le 12 février l’abrogation du droit du sol à Mayotte, le ministre Darmanin répondait selon lui à la colère des collectifs de citoyens qui paralysaient l’île, excédés par l’insécurité chronique et l’immigration irrégulière.

Depuis, plusieurs voix ont critiqué tant la faisabilité constitutionnelle de ce projet que son efficacité vis-à-vis des problèmes qu’il est censé résoudre.

Cette décision a été totalement validée – si ce n’est suscitée - par le président Macron.
Celui-ci a déclaré dans un entretien au quotidien L’Humanité : « Mayotte est la première maternité de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire des petits Français. Objectivement, il faut pouvoir répondre à cette situation ».

Au-delà du caractère assez méprisant (voire méprisable) de l’expression, le président semble entériner ainsi l’analyse selon laquelle la raison majeure de la volonté s’introduire clandestinement à Mayotte pour les habitants des autres iles de l’archipel de Comores serait que leurs futurs enfants disposent automatiquement de la nationalité française.
Sa tonalité néocolonialiste est malheureusement cohérente à la plaisanterie douteuse qu’il avait proférée en juin 2017 à propos des kwass-kwassa, ces bateaux utilisés par les comoriens pour accoster à Mayotte : « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien ».
Ces propos avaient provoqué une vague d’indignation.

Tout d’abord, les experts qui connaissent un peu la situation locale s’accordent à affirmer que la pression migratoire que subit Mayotte n’est pas due à l’espoir que pourraient avoir les migrants que leurs enfants nés sur place deviennent français.
D’autant plus que l’accès à la nationalité française est soumis à Mayotte à plusieurs conditions particulièrement restrictives, par dérogation au droit applicable sur le reste du territoire national.

Le premier « attrait » de Mayotte pour les migrants, c’est en réalité le différentiel de niveau de vie abyssal avec les îles comoriennes voisines, différentiel qui alimente une migration de survie et d’espoir.

La situation explosive que connaît Mayotte a trois causes majeures.

Tout d’abord la décision de séparer Mayotte de l’archipel des Comores.
Le gouvernement Giscard-Chirac a décidé en 1975, de manière très contestable au regard de ses engagements antérieurs, de décompter le résultat de la consultation pour l’indépendance de l’archipel des Comores ile par ile, et non globalement comme l’exige le droit international.
Alors que sur les 3 autres iles de l’archipel le « oui à l’indépendance » l’avait emporté par plus de 95%, il n’avait obtenu que 37% à Mayotte, dont le corps électoral ne représentait que 10% du corps électoral total.
Le gouvernement français et les Mahorais avançaient comme principal argument que cette île était colonie française depuis bien plus longtemps que les 3 autres îles de l’archipel (en réalité elle a été vendue à la France en 1841 par le « sultan » d’origine asiatique qui la dirigeait).
Cette antériorité créait ainsi, selon eux, un droit particulier pour les Mahorais à rester français, indépendamment du choix des autres comoriens.
En réalité, derrière cet argument, on trouve la persistance d’une lourde rivalité ancestrale entre les Mahorais et les habitants de l’ile principale , la Grande Comore, dont l’importance démographique leur faisait craindre qu’elle exerce une domination sans partage sur leur avenir.

La deuxième cause est l’échec du processus de décolonisation des Comores.
Depuis son indépendance, l’histoire de la nouvelle République des Comores a été ponctuée par de nombreuses tentatives de coups d’État, suscitées souvent à l’instigation de la France, via le fameux mercenaire Bob Denard, sans que l’ancienne puissance coloniale ne soutienne efficacement ses efforts de développement.
L’archipel est ainsi devenu, avec l’ile toute proche de Madagascar, un des États les plus pauvres du monde, accumulant les handicaps en matière de développement économique et touristique, de services publics et d’infrastructures, d’éducation et par voie de conséquence, de pauvreté, de misère.
Comment ne pas comprendre que les Comoriens cherchent à fuir vers le lieu qui leur apparaît plus vivable que celui où ils sont nés ?
D’autant plus que, pour eux, Mayotte est une ile comorienne, dans laquelle leurs ancêtres n’ont jamais été considérés comme des étrangers avant 1975.
Et que les gouvernements successifs de la République des Comores n’ont pas renoncé à obtenir le rattachement de Mayotte.

La troisième raison, c’est l’échec de la départementalisation de Mayotte.
Après être passé par le statut de collectivité territoriale de la République, puis de collectivité d'outre-mer, l’île de Mayotte est devenue en 2011 le 100 unième département français.
Mais cette départementalisation rapide, mal préparés, mal pilotée, a été mise en œuvre dans un contexte social,-économique et politique très tendu.
Les gouvernements successifs, qu’ils soient socialistes ou de droite, n'ont rien fait pour que Mayotte se développe vraiment.
En réalité, ils ont concédé aux Mahorais, parce qu’ils l’exigeaient depuis longtemps, le statut de département pour leur garantir définitivement le rattachement à la France, mais ils les ont toujours considérés comme des français de seconde zone.
Ainsi, le smic est inférieur de 25% au smic national et celui du RSA est inférieur de moitié au RSA national, quant au montant moyen des retraites, il n’est même pas de 280€ mensuel.
Le taux de chômage atteint ici 35%, la moitié des chômeurs ayant à moins de 25 ans.
C’est le territoire le plus pauvre de France : alors que 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté, le niveau de vie est 7 fois inférieur à celui de l’hexagone, avec un coût de la vie plus de 1,5 fois plus important.
De fait, si on y ajoute notamment les dérogations au droit du travail, au droit de la nationalité et à l’état civil, pourrait dire que, malgré la départementalisation, la situation de Mayotte est presque équivalente à celle d’une colonie.

La pression migratoire irrégulière ne vient qu’aggraver une situation déjà catastrophique en raison de la misère, de croissance démographique, de l’absence de perspective, du confinement dans un ile éloignée de tout et isolée dans son environnement de proximité.
Tout cela ne peut qu’accentuer les graves problèmes de sécurité et l’exacerbation des conflits entre les différentes composantes de la population.

Avec les règles actuelles en matière de droit du sol, c’est seulement 800 mineurs qui ont obtenu la nationalité française à ce titre en 2022, sur une population totale d’environ 310 000 habitants.
On voit mal dans ces conditions comment la suppression du droit du sol pourrait apporter rapidement de solutions à cette situation qui est devenue explosive.
Il n’est du reste pas inutile de noter que cette mesure ne fait pas partie des revendications du collectif « forces vives » qui participe au blocage de l’ile.

Alors, pour quelles raisons l’exécutif avance cette proposition, quelques semaines après l’adoption hasardeuse de la loi « immigration » ?

Cette question parait d’autant plus légitime que cette mesure nécessite une modification de la constitution, laquelle impose un parcours législatif très balisé avec l’accord de la majorité du Sénat.

On ne peut pas faire l’injure ni au Président de la République, ni au Premier ministre, ni au ministre de l’Intérieur de n’avoir pas anticipé que la droite et l’extrême droite exigeraient que la suppression du droit du sol intervienne pour la totalité du territoire national, et pas seulement pour le département de Mayotte.

Les sénateurs de droite l’avaient votée lors de leur examen de la loi « immigration », et les députés LR et RN avaient voulu maintenir dans l’examen par l’assemblée nationale.

Sans surprise, on a vu, dès le lendemain de l’annonce par le ministre Darmanin, le président du Sénat Larché, le Président du parti LR Ciotti, la présidente du groupe parlementaire RN Le Pen s’engouffrer dans la brèche en réclamant la généralisation de la suppression du droit du sol.

De deux choses l’une.

Soit Macron n’a fait qu’un de ces effets d’annonce dont il est coutumier, et il attend que le processus législatif préalable à une modification de la constitution s’enlise par défaut de texte commun entre les deux assemblées.

Soit il tient vraiment à sa mesure, et il est prêt, pour la faire adopter, à accepter de se rallier la suppression totale du droit du sol, disposition qui figure depuis longtemps dans le programme du Front national puis du RN.
Voire pire, il a anticipé cette situation pour parce, sans la proposer lui-même, il souhaite la suppression du droit su sol.

On peut craindre d’avoir plutôt à connaître la seconde hypothèse, tant ce Président, qui s’est fait élire en promettant de faire barrage à l’extrême droite, ne cesse de mettre en œuvre des dispositions que celle-ci ne renierait pas.

Et en d’autres termes : Le Pen l’a rêvé, Macron l’a fait.

Cela semble d’autant plus vraisemblable que Le Pen a fait de Mayotte un laboratoire idéologique des idées de l’extrême droite : l’idéal pour une telle convergence …

Si cette perspective n’était pas aussi tragique, on serait tenté de le compare à Gribouille, ce jeune personnage de la comtesse de Ségur, écervelé et un peu attardé qui, voulant éviter qu son nouveau costume soit mouillé par la pluie, a décidé de plonger tout habillé dans la rivière.

Illustration 2

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