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Billet de blog 26 octobre 2024

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ONU, Israël, Palestine : encore un effort Monsieur Macron !

Les multiples réactions hostiles aux déclarations de Macron rappelant que la création de l’État d’Israël était consécutive à une décision de ONU illustrent l’état de pourrissement notre classe politico-médiatique. La palme revient sans aucun doute au député RN Julien Odoul qui a déclaré : « « Il y a 3000 ans, les rois David et Salomon n’ont jamais reçu de mandat de l’ONU pour régner sur Israël ».

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Obscurantisme, révisionnisme et manichéisme, terreaux de la barbarie

Cette évocation des rois Salomon et David pour attester l’existence plusieurs fois millénaire de l’état d’Israël sur la terre de Palestine est d’autant plus stupide que la très grande majorité des historiens et des archéologues s’accordent à affirmer que les rédacteurs de la Bible juive auraient enjolivé postérieurement voie même inventé leur existence « dans une perspective pan-israélite.

 Il s’agissait de démontrer l’unification de la monarchie d’Israël, composée du royaume d'Israël au nord, et du royaume de Judée au sud », à côté des autres royaumes et états présents dans la région du Levant que certains revendiquent comme étant le « Grand Israël » : cités de Phénicie, États Philistins, royaumes d’Aram-Damas, d’Ammon, de Moab et d’Edom, à proximité de l’empire assyrien et des tribus nomades environnantes.

Illustration 1

carte du Levant à la fin du VIIème siècle avant JC

De fait, cette unité a bien existé, mais elle n’a guère résisté aux diverses invasions et occupations que la Palestine a connues au fil des siècles .
Ainsi, en 722 av. J.-C., le royaume d'Israël disparaît après la prise de sa capitale Samarie par les Assyriens, et ses habitants se réfugient au sud vers la capitale du royaume de Judée, Jérusalem, qui n’était jusqu’alors qu’une petite bourgade.
Puis les occupations par les empires qui ont dominé successivement cette région du Monde - babylonien, perse, grec, romain, byzantin, arabe, ottoman - ont eu raison de l’indépendance de ce royaume.

Ainsi, se référer à ces règnes légendaires pour justifier un raisonnement géopolitique au 21ème siècle relève de l’obscurantisme le plus avéré.
Comme le recours, maintes fois entendu, à des figures largement mythologiques, comme Abraham et de Moïse, ou encore l’évocation péremptoire de la promesse divine faite au peuple juif, il y a 4000 ans, de lui donner la terre de Palestine en héritage.

Cet obscurantisme n’a rien à envier à celui d’autres fondamentalistes, chrétiens ou musulmans, quand ils font appel à leurs textes « sacrés » révélés pour engager leurs actes privés comme publics, et les imposer aux autres.
Il s’y ajoute une forme particulière de révisionnisme, la réécriture de l’histoire, même récente.

N’a-t-on pas entendu, y compris certains hauts responsables de la République, nier effrontément que la création de l’État d’Israël résulte d’une décision de l’ONU en 1947, comme si l’existence de cet État était antérieure à cette date, à moins qu’elle lui en soit postérieure.
Sans remonter à Salomon, certains ont tenté, à tort, de faire de la déclaration Balfour de 1917 le point de départ de l’État d’Israël, sans prendre en compte le contexte particulier de l’époque, à savoir l’affrontement, au moyen orient, entre le Royaume Uni et l’empire Ottoman, et surtout le fait que si Balfour envisage favorablement la création d’un foyer national pour les juifs en Palestine, il ne s’agit pas à proprement parle un État, loin sans faut, puisque la couronne d’Angleterre souhaite faire de la Palestine une de ses colonies.
Sans compter que dans cette région du monde différentes communautés ethniques ou religieuses coexistent traditionnellement au sein d’une même entité nationale, et que l’idée d’un État juif homogène est à cette époque loin d’être majoritairement partagée

D’autres veulent remonter plus loin dans le temps en accréditant la thèse que la création du mouvement sioniste à la fin du 19ème siècle (avec ses diverses tendances et chapelles), serait le fait générateur de cette création.
Certes, ce mouvement est à l’initiative de l’existence d’une revendication nationaliste juive, même si de nombreux juifs, en Europe occidentale et aux USA n’en étaient pas partie prenante, voire y étaient hostiles.
elle s’appuyait en effet surtout sur la volonté d’échapper aux pogroms don les juifs étaient victimes en Europe centrale et orientale, notamment dans l’empire tsariste et en Pologne
Mais l’existence d’un sentiment national, voire même nationaliste, de signifie pas l’existence concrète d’un État.

D’autres encore veulent faire admettre que la création de l’État d’Israël daterait en réalité de sa déclaration d’indépendance en 1948, et de ses conséquences, la Nakba et la première guerre israélo-arabe.
Comme si la déclaration d’indépendance, suivie par la reconnaissance internationale du nouvel État n’avait pas été rendue possible par la décision de l’ONU qui la légitimait !

Illustration 2


plan de partage de la Palestine proposé par l’ONU le 29 novembre 1947

Tout cela montre bien que la prétention à nier le rôle déterminant de l’ONU dans la création de l’État d’Israël relève de la réécriture de l’histoire, et donc du révisionnisme.

Obscurantisme et révisionnisme ne seraient cependant que des éléments de propagande s’ils ne s’inscrivaient pas dans un manichéisme absolu.

Après la rhétorique de l’axe du mal utilisée par l’ex-président des USA Georges W Bush, qui coule des jours paisibles après avoir mis le Moyen Orient à feu et à sang par ses interventions militaires scélérates, c’est à présent la doctrine du choc des civilisations qui est utilisée pour justifier les pires crimes contre des populations civiles innocentes.
Celles-ci sont en effet « coupables » de ne pas être dans la camp du Bien, mais dans celui qui a été désigné par leurs bourreaux comme étant celui du Mal.

Plus généralement, nous sommes tous convoqués à choisir notre camp, selon le principe déjà énoncé par le même Bush : « celui qui n’est pas avec moi est contre moi ».

Aucune nuance n’est tolérée, aucune critique n’est admise, aucun silence n’est pardonné, qui pourrait entamer la véracité du narratif officiel du camp du Bien
Chaque parole est disséquée, chaque réunion est scrutée, chaque entente est radiographiée, qui pourrait condamner les alliés potentiels du camp du Mal.

Ainsi, quiconque n’épouse pas en intégralité le point de vue du gouvernement israélien se retrouve définitivement dénoncé non seulement comme antisémite, mais aussi comme traitre au camp du Bien (c’est à dire de l’Occident), puisque Netanyahou prétend, sans être contredit par qui que ce soit, défendre les valeurs de cet Occident contre les puissances des ténèbres, c’est à dire les Arabes, les Musulmans, les Iraniens, ...

Illustration 3

Cette diabolisation de l’ennemi accompagnée de l’injonction à rejoindre le « bon » camp sous peine d’être traité comme un ennemi nous rappelle les temps funestes des guerres faites (du moins en apparence) au nom des religions, et des chasses aux hérétiques ou aux sorcières, où la torture et la mort étaient promises aux vaincus et aux plus faibles.

On retrouve l’expression la plus significative de cette idéologie chez le baron Simon de Montfort, le chef sanguinaire de la croisade contre les Albigeois (les Cathares condamnés comme hérétiques par l’église de Rome au début du 13ème siècle)
Ne sachant pas comment différencier les bons des méchants lors du siège de Béziers, il ordonna à ses soldats : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »[i]

Cette conception est appliquée à leur manière par celles et ceux qui considèrent normal, voire moral, de tuer les enfants à Gaza puisqu’ils sont, au moins indirectement par leurs parents, complices de fait des crimes commis par le Hamas

Elle conduit inévitablement à la déshumanisation de l’ennemi, de l’adversaire, de l’étranger, de l’autre, et de tous ceux qui apparaissent comme différents.
C’est une régression de l’universalisme, une négation de l’humanisme.

Il est fort possible qu’un partie au moins de ceux qui ont dénoncé les propos d’Emmanuel Macron n’aient pas conscience de la réelle portée de leurs critiques dans ce qu’elles sont sous-tendues par l’obscurantisme, le révisionnisme et le manichéisme.
Et qu’ils soient motivés essentiellement par leur volonté d’apparaître comme des soutiens inconditionnels de la politique du gouvernement israélien actuel.

Sans voir que celui-ci cherche par tous les moyens à saper la légitimité de toutes les instances internationales, et tout particulièrement celle de l’ONU.
Il est vrai que les décisions de l’ONU ne lui sont guère favorables et on comprend qu’il veuille s’en affranchir.
Mais le plus inadmissible pour lui, c’est la résolution de 1947 à laquelle Macron a fait référence à juste titre, parce qu’elle a décidé la partition de la Palestine (auparavant sous mandat britannique) en 2 états : un état juif et un état arabe.

On le sait, les sionistes et leurs alliés de tout poil refusent obstinément la création de l’État de Palestine, même amputé d’une partie du territoire défini en 1948, et lala colonisation des zones occupées depuis 1967 est poursuivie de manière à empêcher cette création.
C’est pourquoi à leurs yeux, toute référence à la résolution de 1947 de l’ONU est considérée comme une hérésie.
Puisqu’elle rappelle que la création de l’État de Palestine est légitimée par la communauté internationale, non seulement par cette résolution, mais aussi par les 147 pays (sur les 193 membres de l’ONU) qui le reconnaissent en 2024, après sa déclaration d’indépendance de 1988.

Illustration 4

Tous ceux qui ont condamné les propos d’Emmanuel Macron concernant Israël et l’ONU ont-ils conscience que, dans leur passion pro-israélienne, voire pro-sioniste, ils apportent leur concours à l’entreprise de destruction du droit international à laquelle se livre Netanyahou ?
Et que, sans droit international, ce serait le retour à l’impossibilité du dialogue, à l’absence de régulation et d’arbitrage, bref à la loi du plus fort ?

Le retour à la barbarie ?
N’est-ce pas déjà le cas au Proche Orient, où le droit international est bafoué depuis des décennies, et encore plus ces derniers mois.

S’il veut vraiment mettre un terme à cette boucherie, Emmanuel Macron doit être beaucoup plus ferme sur l’exigence de respecter en tous temps et en tous lieux le droit international.
Même si cela est utile, il ne suffit pas de rappeler que c’est une décision de l’ONU qu a permis la création de l’État d’Israël, il faut se souvenir que cette décision a aussi proposé la création de l’État de Palestine, et il est indispensable d'en tirer les conséquences.

Il est plus que temps que la France le reconnaisse, comme l’on fait récemment en Europe, l’Irlande, la Norvège, la Slovénie et l’Espagne.

Encore un effort Monsieur Macron !

[i] Il est vrai que tous ses crimes ne lui ont pas évité quelque temps après une mort peu glorieuse puisqu’il est mort devant Toulouse par un jet de pierre lancé par les assiégés.
Ceux-ci, sans être forcément cathares, refusaient, avec le comte de Toulouse, la domination du roi de France Philippe Auguste sur l’Occitanie, but caché de la croisade.

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