LA CHINE SE REBIFFE
Même s’ils savent jouer du symbole lorsqu’ils l’estiment nécessaire, les dirigeants chinois ne pratiquent pas la politique spectacle à la mode trumpiste ou macroniste.
Jusqu’ici ils ont enregistré sans trop broncher les agressions économiques ou politiques provenant, sous diverses formes, des USA et de l’Europe.
Mais certaines de leurs récentes décisions font penser que ce temps serait révolu.
Dans le film de Gilles Grangier de 1961 « Le cave se rebiffe », une équipe de truands tentent d’escroquer un nouvel associé, surnommé « le cave », c’est à dire, dans l’argot des malfrats, une personne crédule, qui ne connaît les pratiques et les codes de leur « milieu ». Au final c’est lui qui, ayant déjoué leurs manœuvres, partira avec le butin.
Depuis trop longtemps, les Occidentaux ont estimé que la Chine, malgré ses succès économiques indéniables, restait une puissance de second rang, et qu’il était toujours possible de la contraindre à se comporter selon leurs propres intérêts.
Elle a ainsi fait l’objet de sanctions américaines croissantes depuis ces dernières années et les tensions entre les deux pays se sont intensifiées progressivement.
Notamment au prétexte que la Chine aiderait la Russie dans sa guerre en Ukraine malgré les sanctions décidées par Biden et par Trump.
Chacun voit bien néanmoins que ce harcèlement d’apparence économique cache mal, en réalité, la volonté de la direction américaine, qu’elle soit démocrate ou républicaine, de maintenir coûte que coûte l’hégémonie que les USA exercent au niveau mondial depuis 1945.
Devenue de fait la principale puissance économique, technologique et commerciale (notamment pour le commerce maritime), dont l’appareil militaire balistique et naval est en forte expansion, la Chine leur apparaît de plus en plus, même si elle se défend, comme un concurrent redoutable.
Ce sentiment est renforcé par la participation très active de la Chine au groupe des BRICS+ (avec la Russie, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et les Émirats arabes unis) qui vise à rivaliser avec le G7 (les 7 pays occidentaux réputés être les plus grandes puissances économiques : USA, Canada, Royaume Uni, Allemagne, France, Italie, Japon), notamment
Les dix pays des BRICS+ représentent en 2025 près de la moitié de la population mondial et 35 % du produit intérieur brut mondial, contre 44 % pour les pays du G7.
En renforçant leur coopération financière, ils cherchent surtout à échapper à l’emprise du système dollar.
Agrandissement : Illustration 2
Leurs transactions bilatérales se multiplient en monnaies locales à la place du dollar, tendance devenue une priorité stratégique.
C’est pourquoi les États-Unis, conscients de l’enjeu, multiplient les avertissements, les menaces et les sanctions, notamment vis-à-vis de la Chine qui joue manifestement un rôle majeur dans le développement des BRICS+.
Tous les prétextes sont utilisés pour chercher à endiguer son développement, à contester son rôle géopolitique, en particulier dans la zone indopacifique et à propos de l’avenir de l’ile de Taïwan, autour de laquelle les provocations se multiplient.
Parallèlement, l’Union européenne, fidèle à son comportement de concurrente vassalisée vis-à-vis des USA, mais aussi par une application sélective de sa nouvelle politique protectionniste, a multiplié également les mesures coercitives antichinoises.
Il serait fastidieux (et au demeurant assez peu utile) d’énumérer toutes les mesures antichinoises édictées unilatéralement par les USA et par l’UE tant elles sont nombreuses et foisonnantes, souvent fluctuantes et parfois contradictoires.
Ce qu’il convient d’en retenir c’est qu’à chaque étape de leur accumulation, les dirigeants chinois ont évité le plus possible jusqu’ici de s’engager dans une quelconque escalade.
Ils ont répondu le plus souvent par la recherche de solutions par la voie diplomatique, contrairement à la pratique du chantage et de la menace que manient à leur encontre les dirigeants occidentaux et notamment Donald Trump.
Agrandissement : Illustration 3
Il est évident pour les Chinois (et pas seulement pour leurs dirigeants) que les comportements des « occidentaux » à l’égard de leur pays relèvent en réalité d’une attitude arrogante, néocolonialiste, voire raciste.
Laquelle se situe dans le prolongement de la mise sous tutelle de l’empire du Milieu par les puissances impérialistes, de la fin du 19ème siècle jusqu’à la fin de la 2ème guerre mondiale, dans le cadre des « traités inégaux ».
Les mêmes dirigeants occidentaux ont eu tort d’interpréter la patience dont ont fait preuve les dirigeants chinois face à toutes ces mauvaises manières comme une preuve de faiblesse et de soumission à leur hégémonie.
Ils ont oublié qu’il s’agit d’un pays à la civilisation multimillénaire, très sophistiquée, dotée d’une riche base philosophique et d’une importante tradition militaire.
Tout cela lui confère une forte capacité de résilience, comme on pu le constater lors de l’invasion et l’occupation de son territoire par l’empire japonais à partir de 1934.
Agrandissement : Illustration 4
Mais la patience n’a qu’un temps.
On constate depuis quelques mois que les dirigeants chinois modifient progressivement leur comportement dans leurs relations internationales tant sur le plan politique qu’économique.
Trois exemples en sont particulièrement significatifs.
Tout d’abord, la manière dont s’est conclue la participation de l’union européenne lors du sommet Chine-UE en juillet 2025.
Le président chinois a tout d’abord supporté avec beaucoup de flegme apparent la déclaration liminaire de la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, qui sommait la République populaire de Chine de se conformer aux normes européennes en matière de droites de l’homme et de démocratie pour pouvoir de développer des relations bilatérales.
Agrandissement : Illustration 5
La réaction ne se fit pas longtemps attendre.
Sans hausser le ton, le président Xi fit savoir aux représentants de la délégation européenne que leur présence n’était plus nécessaire au déroulement su sommet, et ils les fit raccompagner immédiatement à l’aéroport.
Pour ajouter à leur humiliation, ils ont tous été embarqués dans un minibus, y compris la présidente de la commission, en remplacement des limousines qui les attendaient à leur arrivée à l’aéroport de Pékin, et ils ont regagné leur avion par la porte normale qu’utilisent les passagers (et non par la sortie réservée aux VIP).
Dans le protocole officiel chinois, cette mesure constitue le comble de l’affront qu’il est possible de faire subir à une personne à qui l’on veut faire comprendre qu’on la méprise.
Pour autant, le sommet s’est poursuivi normalement avec les dirigeants des grandes entreprises européennes qui avaient fait le déplacement, mais en l’absence des responsables politiques de l’UE : le message semblait clair.
Cependant il n’est pas certain qu’il ait vraiment été entendu en Europe si on en juge par la récente « affaire Nexpéria ».
Il y a quelques semaines en effet, le gouvernement néerlandais activait une vieille loi (datée de 1952) lui permettant d’intervenir dans les décisions d’une entreprise, sorte d’ingérence de l’État dans le secteur privé.
L’entreprise visée s’appelle Nexperia. Elle fabrique des composants électroniques et a été rachetée au géant industriel Phillips par le chinois Wingtech.
En rachetant Nexperia en 2018 pour plus de 3,5 milliards de dollars, Wingtech s’offrait le savoir-faire et l’expérience de 12 500 travailleurs répartis dans le monde entier, renforçant ainsi un peu plus sa position dans le domaine stratégique de la microélectronique.
Ses semi-conducteurs assez simples (diodes, transistors, …) qui entrent dans la composition de composants notamment essentiels à la production de réfrigérateurs et d’automobiles de toutes marques.
Agrandissement : Illustration 7
Le gouvernement des Pays-Bas a justifié sa décision de prendre le contrôle de l’entreprise et de faire limoger son directeur général Zhang Xuezheng (qui est également le PDG de Wingtech !) et le faire remplacer par un administrateur local en raison de la « diffusion de signaux (…) indiquant que l’entreprise présente des lacunes majeures susceptibles de compromettre la sécurité d’approvisionnement ».
Il s’attendait peut-être à une réaction exclusivement diplomatique de Pékin, déplorant par exemple cette ingérence étatique dans une entreprise privée, le comble pour ce pays qui a été le précurseur du capitalisme moderne au 17ème siècle, son « siècle d’or ».
Au contraire, la réponse des autorités chinoises, pour une fois, a été cinglante.
En représailles, elles ont bloqué les exportations de toutes les usines Nexperia basées sur le territoire chinois. Rien que sur le site de Dongguan, Nexperia peut produire 50 milliards de puces électroniques par an !
Agrandissement : Illustration 8
Résultat, c’est toute l’industrie automobile européenne qui risque à court terme de manquer des composants nécessaires à la production des véhicules, en particulier des véhicules électriques, et aussi moins de puces pour les robots qui les fabriquent.
Agrandissement : Illustration 9
Le ministre des Affaires étrangères néerlandais vient de se rendre en urgence à Pékin pour tenter d’obtenir un arrangement pour sortir de cette crise.
S’il ne s’agit pas totalement pour lui « d’aller à Canossa », on peut malgré tout remarquer, avec une certaine ironie, qu’à vouloir garantir la sécurité de l’approvisionnement en composants électroniques, le gouvernement des Pays-Bas vient de créer artificiellement, pour l’Europe et l’Allemagne notamment, un très important risque de pénurie sur un secteur industriel stratégique.
L’arroseur arrosé ?
Sur un plan plus général, il faut prendre en compte un changement radical du gouvernement chinois dans ses relations économiques tendues, voire conflictuelles, avec l’administration Trump.
Jusqu’à présent il se contentait de réagir de manière apparemment plutôt placide aux annonces de sanctions, de restrictions, de droits de douane, etc.
Or, il vient de prendre coup sur coup, unilatéralement, trois décisions majeures :
- Restreindre l’exportation des terres rares, dont la Chine est un des plus important producteur et surtout le principal raffineur mondial, sont indispensables pour l’économie numérique et la transition énergétique
- Conditionner l’exportation de composants électroniques à l’usage qu’en feraient les clients
- Cesser d’acheter du soja aux agriculteurs américains
Agrandissement : Illustration 11
Surpris par une telle démarche inédite de la part de la direction chinoise, qui visait essentiellement les intérêts états-uniens, Donald Trump n’a pu que répliquer par la menace d’augmenter les droits de douane sur les produits chinois, et d’appliquer des sanctions secondaires sur l’achat de pétrole russe par la Chine.
Mais comme cette réaction avait probablement pour objectif essentiel de ne pas perdre la face, il a mandaté son secrétaire au Trésor de négocier directement avec son homologue chinois afin d’obtenir un compromis.
Le compromis semble avoir été trouvé assez rapidement et sans trop de difficultés puisqu’un projet d’accord a été annoncé par la partie américaine sans être démenti par la Chine.
La Chine accepterait de continuer à acheter du soja américain et de suspendre pendant un an ses restrictions d’importation des terres rares en direction des USA.
Agrandissement : Illustration 12
Si ce préaccord était finalement confirmé par les deux parties, il représenterait une importante évolution dans les rapports bilatéraux Chine – USA : pour la première fois, les négociations ont été engagées non pas des exigences formulées par Washington, mais à partir des décisions prise unilatéralement par Pékin.
Il s’agit là d’un rééquilibrage significatif du rapport de forces au niveau international au bénéfice de la Chine.
Ce qui permet d’envisager de grands changements dans les rapports ente « l’Occident collectif » et « le Sud global », entre le G7 et les BRICS+.
Quoi qu’il en soit, c’est bien l’Europe qui est « le dindon de la farce » de cette séquence politico-économico-diplomatique.
Non seulement, il n’est pas certain que les restrictions à l’exportation de terres rares soient suspendues pour les pays européens, mais celles-ci comme les conditions mises à l’exportation de composants électroniques, pénalisent très fortement, non seulement l’industrie automobile, mais aussi et surtout les industries d’armement européennes.
Agrandissement : Illustration 13
La soumission volontaire de l’UE à sa vassalisation vis-à-vis des USA montre clairement l’impasse à laquelle elle conduit.
L’imperator négocie directement avec ses égaux sans tenir compte des intérêts de ses sujets, alors que ceux-ci pensaient pourtant naïvement s’attirer ses bonnes grâces en obéissant sans hésiter à ses injonctions.
Agrandissement : Illustration 14
Ils n’en seront que plus affaiblis, collectivement et individuellement, dans leurs relatons futures avec la Chine, mais aussi avec la Russie.
Les rodomontades des Macron, Merz et Starmer risquent de ne pas peser bien lourd à l’avenir face à la montée en puissance de la Chine et à sa volonté d’intervenir toujours plus dans la gestion multipolaire de la planète.