Virer Guillaume Meurice à l’occasion d’une blague contre Netanyahou « une sorte de nazi sans prépuce » en invoquant l’antisémitisme comme motif est le pire qui pouvait arriver. Non pas pour Guillaume Meurice, il va devenir une légende et remplir les salles. C’est le pire pour les juifs.
Celles et ceux qui ont une connaissance réelle de l’antisémitisme contemporain, savent très bien de quoi je parle. Le spectre du complot juif, « ils dirigent les médias, les hommes politiques sont juifs, dans la finance il n’y a que des juifs, dans le cinéma c’est des juifs hypers communautaires, il y a trop de juifs » et j’en passe. Tous ces propos assez ordinaires et qu’on ne trouve pas que chez les banlieusards, contrairement à une idée raciste répandue aujourd’hui. Virer Guillaume Meurice quand il fait une blague sur Netanyahou, alors qu’il a fait de nombreuses blagues depuis des années, qu’il a insulté tout le monde, notamment les Français réac, les cols blancs et les Français des classes populaires, mais surtout alors qu’il n’a pas été condamné pour ces blagues et que Zemmour, lui, multi-condamné pour des propos à caractère raciste et islamophobe, est invité partout. C’est très grave parce que ça donne une apparence de preuve, un argument par les faits qu’il y a un complot juif qui dirige les médias et protège les juifs.
Je voudrais montrer dans cet article deux choses : il n’y a pas de complot juif. Je vais donc montrer pourquoi Guillaume Meurice a été viré, et que ça n’a rien à voir avec un complot juif. Et que cette décision produit de l’antisémitisme ; comme j’ai commencé à le faire apparaître : on donne un argument par les faits à tous ceux qui disent « les médias c’est les juifs ». Pire encore, Guillaume Meurice faisait une blague, non pas sur les juifs, mais sur Netanyahou, président d’Israël. Le virer pour antisémitisme c’est donc associer Israël, et la politique israëlienne aux juifs. Et ça c’est dangereux. Dans la tête de gens dangereux ça donne le viol d’une jeune juive par plusieurs jeunes antisémites, qui dans leur tête ont fait le chemin suivant : les Israëliens tuent des Palestiniens, les Palestiniens sont musulmans comme nous, les Israëliens c’est les Juifs, les Juifs nous tuent, on doit se venger, faire justice, donc on va punir les juifs qui sont autour de nous. Contrairement au discours médiatique ambiant, ce n’est pas dans les milieux pro-palestiniens militants qu’il y a de l’antisémitisme, car dans ces lieux les militants sont formés pour être efficaces : l’ennemi c’est ni les juifs, ni les Israëliens, c’est le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou ; si on confond tout, on lutte contre de potentiels alliés, on ruine notre réputation, et on ne peut pas se le permettre dans une lutte qui a si peu de chance d’aboutir. Mais dans la mouvance populaire pro-palestinienne non formée intellectuellement, il y a un antisémitisme virulent. Donc les milieux militants ne sont pas le problème mais la solution en réalité.
J’en arrive donc à mon point central : pourquoi Guillaume Meurice est viré si ce n’est pas par un complot juif au sommet des instances de pouvoir ? Pour ça il faut analyser sociologiquement la matrice intellectuelle de la bourgeoisie qui l’a renvoyé. C’est ici un sujet que je connais bien, la bourgeoisie intellectuelle, humaniste, cultivée.
Si on part de la position psycho-sociale de la bourgeoisie, le licenciement de Guillaume Meurice est une évidence logique. La bourgeoisie et celles et ceux qui la composent se caractérisent par un fort sentiment d’illégitimité, car ce qu’ils sont, ils ne l’ont pas mérité, ils en ont hérité. Je reprends sur ce point la sociologie de Bourdieu. Héritage économique, culturel, et réseau social familial, tout ça permet aux dominants d’accéder à leurs postes de pouvoir, directeur ou producteur de radio par exemple. Une mauvaise conscience travaille la bourgeoisie, car ils savent qu’ils ne méritent pas ce qu’ils ont. Ils ont souvent le plus grand mal à être communistes, car cela supposerait une remise en cause totale de leurs privilèges (j’emploie ici la notion de privilège dans son sens véritable, un pouvoir injuste et arbitraire non partageable et parasitaire. Je me distingue donc de la tendance néo-libérale qui voit des privilèges dans la vie des gens ordinaires qui ont une vie normale, donc sans privilège). Comment cette mauvaise conscience va-t-elle se traduire ? Il s’agit de souscrire à une idéologie qui ne remette pas en cause nos privilèges mais qui vient justement justifier nos privilèges et notre supériorité. Il faut donc incarner le bien, l’humanisme, l’intelligence, par opposition aux autres, la populace qui elle est mauvaise et inculte. Mais cette incarnation du bien ne doit pas être trop coûteuse. En bons néo-libéraux, il s’agit d’en faire le moins possible pour un maximum de profit. Il faudra donc être de gauche bien sûr, au sens où François Bégaudeau décrit cette posture dans Histoire de ta bêtise : la gauche libérale. Mais être de gauche “responsable” bien sûr, donc une gauche qui se distingue toujours de la “gauche de gauche” pour se rapprocher de la “gauche de droite” (pour paraphraser Lordon). Donc en fait, une gauche qui n’aime pas Mélenchon, une gauche qui aime Hollande ou Glucksmann aujourd’hui. Et c’est là que la lutte contre l’antisémitisme intervient.
Il suffit de virer Guillaume Meurice pour une mauvaise blague (qui d’ailleurs était plus drôle par le fait qu’elle est outrancière précisément, qu’elle surprend par son rapprochement des contraires) pour devenir quelqu’un qui lutte contre l’antisémitisme. Pas seulement dans les mots, mais dans les actes. On rentre ici dans la même catégorie que les résistants, que Jean Moulin et De Gaulle. Ça coûte rien comme acte, mais ça rapporte beaucoup. Et on dira par exemple à ceux qui nous attaquent sur nos idées politiques qu’ils sont sexistes “parce qu’on est une femme”, et c’est tellement pratique de pouvoir se défendre comme ça plutôt que d’argumenter. On légitime et on justifie ainsi d’un même geste tous nos privilèges. On est responsable. On a lutté contre l’antisémitisme. Il faut bien comprendre ce ressort psychologique bourgeois, celui des dominants : une mauvaise conscience qui cherche à se racheter facilement par des moyens accessibles. Alors pourquoi c’est grave d’avoir fait ça ? Pas pour Meurice, qui de toute façon avait un ressort comique méprisant envers les classes populaires, et donc parfaitement compatible avec une radio bourgeoise, comme l'a bien montré Franck Lepage. Il commence une nouvelle carrière légendaire. On lui a déjà proposé d’être député.
C’est grave, car ce geste nourrit un antisémitisme profond dans la société. Déjà d’ailleurs Alain Soral et Dieudonné ont pu s’exprimer là-dessus « il arrive à Guillaume Meurice ce qui nous est arrivé ». Papacito et le Raptor ont aussi pu dire « on voit bien que derrière ce renvoi il y a une idéologie particulière à l’œuvre et qu’on n’est donc pas libre ». Merci donc à la direction de France Inter de leur avoir donné des arguments aussi facilement mobilisables. La mauvaise conscience bourgeoise produit par voie de conséquence de l’antisémitisme. C’est irresponsable dans les deux sens du terme. Déjà irresponsable parce qu’ils nourrissent une croyance dangereuse. Mais irresponsable parce qu’ils ne connaîtront nullement les conséquences néfastes dont ils sont la cause. Ces gens sont à l’abri de toute violence, contrairement à la jeune fille de Courbevoie. Avec le conflit israëlo-palestinien, la France est comme le lait sur le feu depuis des années, et avec le 7 Octobre et l’offensive israëlienne à Gaza, le lait déborde. La direction de France Inter s’est crue bien inspirée en virant Meurice. Mais elle a nourri un mal profond. Celui du soupçon contre les juifs, la croyance selon laquelle ils gouvernent, qu’ils sont privilégiés et qu’on devrait leur ôter ces privilèges et surtout l’idée qu’ils seraient associés à Israël.
Le meilleur antidote contre l’antisémitisme n’est pas à trouver dans la conscience politique bourgeoise. On le trouvera davantage dans la parole responsable sur ce sujet de Rima Hassan, qui, lorsqu’on lui demande si elle a l’impression d’être censurée ou que c’est dur de parler de ces sujets dans les médias, a répondu « non, il y a une liberté d’expression, on peut s’exprimer, on peut critiquer Israël. » Et surtout dans la convivialité de la vie des gens ordinaires, qui, à l’image du film La Crise de Coline Serreau, permet à des racistes de ne plus l’être dans les faits. Sa version contemporaine, c’est Ragnar Le Breton "tout va bien entre nous" : quand vous vivez avec des juifs, des musulmans, des athées, des noirs, ce que vous voulez, quand vous travaillez avec eux, qu’on vit ensemble, qu’on sort ensemble, alors les idées racistes ou les divers préjugés vont - non pas disparaître - mais s’éteindre dans l’action au profit justement de la convivialité. C’est pourquoi les classes populaires, contrairement à la propagande actuelle, sont la meilleure barrière contre le racisme ou l’antisémitisme. Orwell l’avait bien observé, le mode de vie précis des classes populaires produit une convivialité indiscriminée, et indiscriminante. Dans 1984 (et c’est un point que personne n’a retenu), le totalitarisme vient de la bourgeoisie intellectuelle. Il ne faut pas oublier que les Français ont le plus haut taux de survie des juifs en Europe durant la 2nde guerre mondiale, comme le soulignait Emmanuel Todd, et ce n’est pas grâce à son gouvernement, contrairement à ce que défend Zemmour dans Le Suicide français, où finalement il s’efforce de défendre l’image du bon dirigeant de droite toujours bon, toujours supérieur, toujours légitime.
À mon avis le clivage politique doit être le suivant : il y a le peuple et les élites, ou les classes populaires et la bourgeoisie, si on préfère le dire comme ça. Les premiers sont dominés par les seconds. Il y a ceux qui défendent les premiers et ceux qui défendent les seconds. Avant, la gauche c’était ceux qui défendent inconditionnellement les premiers, toujours, tout le temps. Malheureusement, après un virage néo-libéral engagé dans les années 70, notamment par Foucault, qui voit le mal non pas chez les dominants mais dans la société elle-même, la gauche trahit le peuple. Et ensuite elle se plaint que ce même peuple qu’elle a diabolisé se réfugie dans les bras du RN, qui les accueille selon les mots de Bardella : « votez pour des gens qui vous aiment, qui vous respectent qui vous considèrent ». Et ça suffit. Avant d’insulter les électeurs du RN, il faut faire une petite généalogie : comme le dit bien Jean-Luc Mélenchon, « ce n’est pas le peuple qui abandonne la gauche, c’est la gauche qui abandonne le peuple ». Le logiciel néo-libéral, que ce soit son versant économique, politique ou culturel, conduit à la montée de l’extrême droite. C’est une impasse profonde dans la mesure où la masse de la militance de gauche n’a pas conscience d’en être imprégnée. Et finalement, l’arrivée au pouvoir de la droite radicale, après une alerte au fascisme généralisé, produit une gouvernance autoritaire à laquelle la militance de gauche néo-libérale trouverait un certain réconfort puisqu’elle pourrait dire « on avait raison ». On avait raison la société est raciste, on avait raison la droite dure arrive au pouvoir, mais surtout on peut dire qu’on avait raison parce que, dans les faits, cette droite dure n’est pas réellement fasciste. Pourtant cette dominance de la Raison avait été identifiée par Rousseau comme la source principale du mal chez l’être humain, et elle est l’apanage de la classe bourgeoise intellectuelle, quand les classes populaires vivent dans un ordre plus traditionnel. On peut rappeler à cet égard que dans les critères du totalitarisme chez Hannah Arendt, il y a la destruction de la Tradition. En toute logique.
Aujourd’hui on a un électorat des quartiers jugé antisémite, et un électorat des campagnes jugé raciste. Ils sont divisés dans un vote LFI / RN. Pour ma part je ne vois aucune émancipation possible tant qu’ils seront divisés. Todd l’a dit dans son dernier entretien sur la chaîne Elucid “le RN doit accepter qu’il y a des français musulmans qui sont français comme les autres, et LFI doit accepter que les frontières existent, qu’un peuple a le droit de les maîtriser comme il l’entend.” On peut ainsi mesurer l’impasse politique dans laquelle nous sommes à l’impensable de la construction d’un bloc anti-Macron, anti-libéral, composé de la droite et de la gauche. Le simple fait d’en énoncer la possibilité crée des révulsions profondes à gauche par exemple. Et si le RN arrive au pouvoir en menant une politique de droite dure sans limite comme il le promet, tous ceux qui auront conspiré à rendre impossible cette réunion des deux peuples et de leurs représentants auront une responsabilité.