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Billet de blog 14 juin 2023

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Guerre préemptive versus guerre préventive

Finalement, Poutine & Co. aura lancé une guerre préventive... vite préemptée par Biden & Co.

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Finalement, Poutine & Co. aura lancé une guerre préventive... vite préemptée(1) par Biden & Co.

La prévention poutinienne obéissait à une logique opérative visant à neutraliser une menace estimée, étudiée empiriquement : ici et maintenant, l'Otan à la porte Sud-Ouest de la Russie, dans ces Indes brumeuses, l'Ukraine. La cause de cette menace étant trop célèbre pour être rapportée, Poutine & Co. aura donc cherché une méthode curative pour éviter la réalisation de "l'otanité" de l'Ukraine.

L'épistémologie préventive de Poutine & Co. n'opérait que dans un monde objectivement connaissable. Si incertitude il y avait dans son estimation, c'était seulement par manque ou défaut de renseignement. Les événements à venir étaient censés suivre un chemin pour le coup méthodique, prévisible et linéaire, de cause à effet. Last but not least, cette prévention n'avait pas d'ontologie propre : elle collait à un être menaçant (l'Otan en Ukraine).

Ainsi, sans être propre, sans opérativité propre, sans logique propre, la prévention poutinienne ne pouvait affirmer que sa dérivée guerrière: juste un moyen terrible en vue d'une fin "heureuse" (l'Ukraine désotanisée). N'étant pas autonome ou sans force proprement organisatrice, la guerre préventive de Poutine & Co. aura pris des mesures d'application rusées, empruntées à la guerre-éclair. Mais voilà, à rusé, rusé et demi. Oui, une certaine préemption fut "la ruse et demie" de Biden & Co.

Inutile d'explorer plus avant la vraie-fausse dissuasion nucléaire : en la matière, Poutine & Co. savait bien qui est le Préempteur: https://blogs.mediapart.fr/jean-guinard/blog/160322/le-preempteur-biden-ne-specule-pas, en sorte que ses apocalyptiques menaces n'étaient et ne sont crédibles qu'à usage interne. Se doutait-il que la préemption US jouerait également dans une guerre dite conventionnelle ? En tous cas, Poutine & Co. aura tenté et tente encore sa chance. Ne parlons pas du prix final, ce serait immoral.

La ruse et demie de Biden & Co. fut la préemption ukrainotanienne. Ukrainotan est plus qu'un mot-collé (Lucbert) insultant, c'est un état de forces qui opère dans le présent sur une menace future: « la terreur en Ukraine ». Or, cette préemption "conventionnelle" est (par définition réelle) inapte à dissuader un attaquant potentiel de l'Ukraine. D'où l'incertitude de Biden & Co. devant une menace qui n'avait pas encore pleinement pris forme en Ukraine, qui n'avait pas même encore émergé: de l'inconnu inconnu. Voilà purement une menace en potentiel, dont la nature ne pouvait être spécifiée, pas plus d'ailleurs que les ennemis: Poutine & Co., les Wagnériens, les Donbassiens, les Anarchistes ukrainiens, etc., oui, pourquoi pas les Chinois ? La menace était donc protéiforme et tendait à proliférer, imprévisiblement.

Pour Biden & Co. dont l'air-de-famille (Wittgenstein) avec Obama & Bush n'est pas un mystère, la seule certitude était que la menace émergera là où elle est le moins attendue. Pour autant, « ils » ne furent pas du tout ce qu'ils parurent : surpris. Comme la menace en Ukraine semblait ressortir à un environnement, une ambiance ou une généralité, Biden & Co. ne pouvait pas se permettre d'attendre l'émergence complète de la menace, mais devait l'attraper dans son émergence potentielle même. La meilleure manière de capter son potentiel, c'est de faire surgir la menace hors de son potentiel. La faire ainsi émerger et prendre une forme déterminée. Oui, Biden & Co. aura produit la menace dont « ils »voulaient se protéger, là-bas en Ukraine.

Comment Biden & Co. a-t-il pu capter ce qui n'avait pas encore émergé, le potentiel de la menace ? D'abord, en percevant le potentiel menaçant avant que l'ennemi censé être non identifié ne les perçoive le percevant. Ensuite, en produisant l'Ukrainotan en Ukraine. Enfin, en s'emparant de la guerre avec des "pincettes". En 2002, Rumsfeld disait plus rudement : Prendre la guerre à l'ennemi.

Comme l'ennemi en 22-Ukraine était trop indéterminé, il restait indétectable... jusqu'à ce qu'il opère un mouvement. Une posture défensive de l'Ukraine seule, même soutenue par la meilleure technologie de surveillance, aurait été insuffisante pour contrer l'attaque-éclair de Poutine & Co. L'Ukrainotan est donc passé à l'offensive, non pas fin mars 22 mais fin février : bouger le premier pour faire mouvoir... Poutine & Co. ! Oui, il fallait les débusquer et les identifier en montant suffisamment près pour provoquer une réponse.

Manifestement, l'Ukrainotan est passé à la soft-attack afin de faire émerger l'ennemi de son état potentiel et lui faire prendre un état défini, voire définitif (l'Agresseur). Bingo ! Préventivement, Poutine & Co. est sorti du bois sous une forme agressive, et en prenant cette forme, « ils » sont devenus détectables mais aussi contrables. Il est donc clair que Biden & Co. a exercé un pouvoir incitatif, pour ne pas dire provocateur avec cet Ukrainotan.

Parce que la menace en Ukraine était proliférante mais non spécifiée, la meilleure option pour l'Ukrainotan fut d'aider à la faire proliférer davantage... selon ses propres conditions. On l'aura compris : la manière la plus efficace de combattre ce type de menace est de contribuer activement à la produire.

Biden & Co. peuvent ainsi reprendre une antienne bushienne : Nous sommes un empire, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et tandis que vous étudiez cette réalité - judicieusement, à votre guise - nous agirons à nouveau, créant d'autres nouvelles réalités, que vous pouvez également étudier, et c'est comme cela que les choses s'organiseront. Nous sommes les acteurs de l'histoire, et vous, vous tous, resterez à simplement étudier ce que nous faisons.

Au fond, Poutine & Co. n'est qu'un club de spectateurs agressifs.

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(1) https://shs.cairn.info/revue-multitudes-2017-2-page-165?lang=fr

ou mieux : Brian Massumi, Ontopouvoir. Guerre, pouvoirs, perception (traduction française 2021)

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