On s’emmerde à gauche. C’est ce que tu dis à Laïreche, non? Quand je me retrouve au milieu des gens de gauche, souvent je m’emmerde. Elle ne sait plus parler au peuple cette gauche, ma gauche. Elle a peur des petites gens. (1) Ladite gauche a surtout peur de toi - et de te parler. Elle ne veut pas d’un Ruffin candidat commun (pour ne pas dire unique) à gauche. Certes, tu ne peux vouloir ce que la gauche veut et notamment ce que Mélenchon veut, mais tu ne veux pas comme la gauche et Mélenchon veulent. Chez toi, pas de Volonté infinie et obligée à la fois, il y va plutôt d’un Vouloir aveugle et populiste qui fait peur à notre gauche. Une peur surjouée puisque ton "vouloir-vivre-peuple" reste tributaire du "bon vouloir" de Mélenchon et de la gauche. D’où cet emmerdement pour le fameux bâton merdeux !
Porteur sans volonté et sans voix de la Vox plebeia, tu dois donc attendre la Décision. Or, décider maintenant d’une candidature commune à gauche paraît aussi impossible que décider Mélenchon à la Dormition.(2) Impossible impossibilité… nous sommes là sous une modalité ontique passablement retorse, sauf que nous pouvons toujours passer (Gardies vs. Hume) à une modalité déontique - la bonne évidemment. Oui, pourquoi pas la surérogation ? Nos classiques parleraient de grâce, à la fois au-delà et en deçà de l’obligation, car elle seule implique la dynamique, l’engouement et la victoire. Alors, pourquoi Mélenchon ne serait-il pas sujet à ce Passage ? Partant, toute la gauche deviendrait gracieuse, non?
Ici, point d’injonction, pas même de recommandation, juste une évaluation éthique et pragmatique de l’option Ruffin pour un Mélenchon à "13 reste raide" et une gauche à la ramasse. Donc, pas de fanatisme du "commun" (peuple, candidat, bien) par appel enthousiaste à dépasser les obligations partidaires. Ce double acte gracieux ne serait pas un sacrifice de soi programmé par une idéologie ou une instititution : il interviendrait dans le feu même de la campagne et dans la continuité des actions personnelles.
On dit volontiers que Mélenchon ne s’est jamais ménagé physiquement, n’a jamais calculé la dépense psychique et qu’il dispose d’une autonomie de jugement suffisante pour ne pas se conformer (même inconsciemment) à un programme d’action élaboré par ses proches et… la FI! De Mélenchon himself un acte gracieux serait donc possible : accompli volontairement pour le salut de la plèbe, de la gauche et de toi - notre vrai faux prétendant à la présidentielle. Toutefois, cet acte extraordinaire qui vise des conséquences moralement positives ne serait pas vraiment héroïque. Si Dormition il y avait maintenant, Mélenchon n’aurait pas à se qualifier de héros ou de "grand homme" : c’est la plèbe, la gauche et toi-même qui ont ce besoin pressant d’attribuer au méritant sa médaille. Cette distorsion entre le Je de Mélenchon et le point de vue de tout observateur moral extérieur ne paraît pas réductible. L’acte gracieux est à ce point singulier qu’il semble irréductible à une loi morale, ce qui le rend parfaitement exemplaire à nos yeux de spectateurs. Oui, n’est-ce pas une ouverture durable de possibilités nouvelles ?
Bien sûr, Mélenchon pourrait te dire qu’il ne fait que son devoir destinal - le devoir politique surpassant son devoir politicien. Pour autant, connait-il la suite de ta destinée ? Pour ta députation 2017, on sait bien que l’envie ne venait pas de toi, mais de gens "extrêmement de gauche" qui t’ont soufflé l’idée de t’emmerder la vie. Ces mêmes gens (qui ne sont pas d’extrême gauche) voient maintenant que tu pourrais te résoudre à la débâcle de toute la gauche, prise dans des postures tactiques et par l’indétermination stratégique. Or, dis-toi bien que 2027 n’aura pas lieu, si 2022 n’est pas ton présent - notre présent commun !
D’aucuns te reprochent d’arriver trop tard, quand les diversions tactiques et les atermoiements stratégiques sont le fait de Mélenchon et de toute la gauche - dont toi ! Si le tard-venu (que tu ne fais pas) trouble nos politiciens, c’est que ta députation a encore la réputation d’un histrion populiste - littéraire et si peu laclauien… Oui, tu peux t’afficher "dissident démocratique" et être considéré de haut par la facilité gauchisante. Mais factuellement, qui a privé les populaires de parole par peur d’une contre-représentation et pour le seul bénéfice de sa petite entreprise ?
Alors, que peux-tu faire en attendant la Décision gracieuse ou pas ? Te dépolitiser en t’entourant de gens "extrêmement de gauche" capables de délibérer en toute neutralité devant des faits qui servent le bien commun ! Évidemment, il n’est pas facile de trouver des juges distanciés de tous les biais connus, mais pour empêcher le Commun (toi) de devenir un cadavre sur le ventre, suite à un coup de poignard dans le dos, je n’entrevois que ça. Tu n’es pas dos au mur de la gauche, tu fais front sans même l’affronter, tu tiens tête sans vouloir des têtes. Pour les couper, c’est l’histoire qui s’en chargera : rouleront-elles dans le sable de la colère ou la mer de la résignation ?
Cela dit, pourquoi t’ai-je emmerdé ? Un bras d’honneur à "la gauche" serait finalement plus commun.
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(1) Rachid Laïreche, François Ruffin, Les Arènes, 2021, p. 175
(2) https://blogs.mediapart.fr/jean-guinard/blog/170122/melenchon-au-ciel-des-idees-qui-sauvent