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En mai 2023 j'avais assisté à la création de Septembre ardent au Comptoir de Fontenay. Difficile d'en rajouter, après la forte impression d'alors, à l'écoute du vinyle et de la cassette qui sortent deux ans et demi plus tard. Je reproduis donc ci-dessous l'article que les quatre musiciens m'avaient inspiré. Mais comme je suis saisi à nouveau (j'oublie facilement le passé pour vivre pleinement le présent), d'autres images me viennent. Même si c'est une courte nouvelle de William Faulkner parue en 1931 qui est à l'origine de leur livret original, comment ne pas penser à Dune, le roman de science-fiction de Frank Herbert paru en 1965 et ses adaptations à l'écran par David Lynch ou Denis Villeneuve ? Nous nous envolons au Maghreb, son sud désertique, pour cette évocation mystérieuse où des fantômes hantent les deux protagonistes interprétés par les chanteurs Nosfell et Donia Berriri, accompagnés par Jean-Brice Godet aux clarinettes et Valentin Mussou au violoncelle. Chacun/e double son jeu (dans l'ordre) au synthétiseur modulaire, au clavier, au cassettophone ou à l'échantillonneur.
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Si le superbe vinyle attire avec ses sept chansons (mais sans les passages parlés et instrumentés), l'ampleur du projet ne prend sa dimension que par l'intégralité enregistrée sur cassette ou téléchargeable avec un code sur Internet livré avec le disque. Septembre ardent est bien un (petit) opéra. Le récit donne à la musique sa profondeur. En français et en arabe, il s'articule entre chaque chanson, produisant des images abstraites. Les matières sonores dressent des décors aux perspectives infinies. Le voyage initiatique nous entraîne si loin que l'on ne s'en aperçoit que lorsque tout est véritablement fini, dans la nuit mauve que porte le graphisme de Jérémy Barrault.
Le clip est réalisé par Jean-Pascal Retel. Le son est enregistré par Julien Taillefer et mixé par Édouard Bonan.
→ Septembre ardent, LP 24,60€ / K7 15€ / numérique sur Bandcamp 12€ LpLp Rec, dist. Inouïe
SEPTEMBRE ARDENT, UN OPÉRA DE CHAMBRE
"Septembre Ardent est le récit onirique d'un personnage en quête de sa propre histoire, dialogue entre un homme à la mémoire défaillante et une femme sibylline, miroir déformé d'une figure familière." Vendredi dernier j'ai surtout assisté à un merveilleux petit opéra, oratorio gesticulé, œuvre collective où toutes les pièces du puzzle instrumental et vocal sont en place. S'il en manquait une, ce serait à propos, à propos de cette fin du monde où le progrès est une arnaque mortifère. Mais les instruments acoustiques et électriques, clarinettes et cassettes de Jean-Brice Godet, violoncelle et échantillonneur de Valentin Mussou, claviers de Donia Berriri, machines de Nosfell se fondent parfaitement avec les voix de Donia, qui a écrit les textes, et Nosfell, dont le corps et la voix sont des lianes vivantes, ensemble soutenu par l'ingénieuse de son Céline Grangey. Spectacle de science-fiction philosophique, Septembre ardent diffuse une énergie incroyable, sorte de rock électronique où les impros jazz filent comme des bolides à la Mad Max, et une poésie légère qu'apportent le dialogue en chansons du couple qui se renvoie la balle à cour et jardin, en français et en arabe.
Jean-Brice Godet, en plus de la clarinette et de sa déclinaison basse, avait apporté une clarinette contrebasse dont le son m'a scotché, par la variété de ses timbres et une dynamique que je n'avais jamais entendue jusqu'ici sur cet instrument. Il n'est d'autre part pas surprenant que j'ai écrit en 2006 un article sur les débuts de Nosfell. Si Jean-Brice avait malicieusement évoqué Un drame musical instantané pour m'attirer au Comptoir de Fontenay, Septembre ardent m'a rappelé un autre opéra, très bizarrement méconnu, que j'avais chroniqué l'année suivante. Il s'agit de Welcome To The Voice de Steve Nieve et Muriel Teodori, qu'interprètent Sting, Robert Wyatt, Elvis Costello, Barbara Bonney, Sara Fulgoni, Nathalie Manfrino, Amanda Roocroft, The London Voices et Le Chœur des Amis Français, accompagnés par le Brodsky Quartet, Ned Rothenberg, Marc Ribot et Antoine Quesada. Je citai alors également Escalator Over The Hill de Carla Bley, Paul Haines et Michael Mantler, dont la distribution est aussi épatante, et No Answer du même Mantler. Opéras modernes, j'aurais pu encore citer d'autres œuvres de ce compositeur qui m'est très cher, ou Sing Me a Song of Songmy de Freddie Hubbard avec Ilhan Mimaroğlu, Delusion of the Fury de Harry Partch, 200 Motels de Frank Zappa, Le trésor de la langue de René Lussier, Jericho Sinfonia de Christophe Monniot, Lady M de Marc Ducret, Constantine de Théo & Valentin Ceccaldi, etc., tous des projets ambitieux qui ont fait des miracles malgré des budgets qui n'étaient pas à la hauteur de la réussite finale.
Et Septembre ardent n'a rien à leur envier, transportant la salle sur une autre planète qui ressemblait furieusement à la Terre.