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De mon point d'écoute, le bon niveau sonore pour un disque est celui qui correspond à celui imaginé par ses musiciens ou, plus justement, au type de musique. Je fais hurler Rudel, le nouveau disque de Jü, et j'écoute les quatuors à cordes de Mieczysław Weinberg comme s'ils étaient dans mon salon. Pas question de les jouer en sourdine ou de pousser le volume au delà. Pour les symphonies je rajoute quelques décibels. Il y a des musiques qui doivent faire vibrer les murs (je n'ai aucune mitoyenneté de voisinage !) et d'autres dont il faut presque deviner la présence. C'est pareil pour les concerts, encore faut-il que la salle soit adaptée. Il en existe où la musique acoustique sonne merveilleusement comme la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris qui convient mal aux musiques amplifiées. La musique de chambre devrait toujours être jouée dans une proximité avec le public, ce qui pose le problème de la rentabilité, mais cela c'est une autre histoire. Je déteste évidemment les salles immenses et les stades où les artistes sont minuscules, quasi invisibles, retransmis sur des écrans géants avec une sonorisation tonitruante obligeant à porter des boules Quiès. De toute manière, même si cela donne un sentiment de puissance, ô cruelle vanité, on ne devrait jamais risquer ses oreilles. Trop de camarades finissent leur vie avec des acouphènes (depuis quelques années fleurissent des "parasons" derrière les cordes des orchestres symphoniques qui ont les cuivres assis derrière eux).
Quant aux fêtes domestiques je ne comprends toujours pas pourquoi on fait hurler les systèmes au point de distordre monstrueusement le son. Pour diffuser fort il est indispensable d'avoir des amplificateurs et des enceintes adéquates. C'est presque toujours de la bouillie avec des suraigus criards qui empêchent de faire connaissance et que l'on ne me dise pas que la danse y pourvoie, ce n'est plus de la musique, c'est un champ de bataille procurant certes une certaine ivresse, mais à quel prix ? J'aime trop la musique pour subir ces massacres ou pour me la coltiner pendant les repas. La plupart des musiciens détestent les restaurants où l'on en diffuse, soi-disant pour préserver l'intimité des convives. Quel intérêt si l'on est obligés de crier ? En constatant sur quel système les auditeurs écoutent ma musique, je me demande parfois combien l'ont vraiment entendue. J'ai tant de sympathie pour le diable qui est dans les détails.
J'attends donc d'être seul à la maison pour profiter de Jü, un groupe hongrois de free-rock mêlant la liberté du free-jazz à des rythmiques répétitives chaotiques avec des sonorités très personnelles pour un power trio. Ádám Mészáros à la guitare, Ernő Hock à la basse et le nouveau batteur, Szilveszter Miklós, délivrent un rock inventif où la variété de timbres de la percussion est déterminante. Il y a un petit côté beefheartien qui me plaît bien, comme si le chaos créait l'équilibre.
Lorsque ma compagne rentre du boulot, je préfère lui faire découvrir la musique de chambre et symphonique de Mieczysław Weinberg (1919-1996), découverte grâce à un article de Télérama. Polonais émigré en URSS à l'âge de vingt ans, grand ami de Chostakovitch qui l'a soutenu et énormément influencé, il y a souffert de l'antisémitisme stalinien. Je n'ai pas fini d'en faire le tour avec ses 7 opéras, un requiem profane, 26 symphonies dont 4 de chambre, 2 sinfoniettas, plusieurs concertos (violon, violoncelle, flûte, trompette, clarinette), 17 quatuors à cordes, sonates pour violon et piano, 4 sonates pour violoncelle et piano, etc. Il avait aussi composé la partition du film Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov (Palme d'or à Cannes en 1958). C'est un romantique moderne qui plaira aux amateurs de Mahler, Schnittke ou Chostakovitch.
→ Jü, Rudel, CD BMC 11€, dist. Socadisc