Jean-Jacques Birgé (avatar)

Jean-Jacques Birgé

Compositeur de musique, cinéaste, écrivain, etc.

Abonné·e de Mediapart

3905 Billets

2 Éditions

Billet de blog 19 décembre 2025

Jean-Jacques Birgé (avatar)

Jean-Jacques Birgé

Compositeur de musique, cinéaste, écrivain, etc.

Abonné·e de Mediapart

Le testament de Frank Zappa

Je redécouvre le premier disque posthume de Frank Zappa après une trentaine d'années sans l'avoir réécouté. Civilization, Phaze III est de la trempe de mes préférés, soit les débuts des Mothers (1968 - We're Only In It, Lumpy Gravy et Uncle Meat) et la fin avec l'Ensemble Modern (1993), avec l'utilisation du Synclavier, donc sa "serious music"... Son testament musical !

Jean-Jacques Birgé (avatar)

Jean-Jacques Birgé

Compositeur de musique, cinéaste, écrivain, etc.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Je redécouvre le premier disque posthume de Frank Zappa après une trentaine d'années sans l'avoir réécouté. Civilization, Phaze III est de la trempe de mes préférés, soit les débuts des Mothers (1968 - particulièrement We're Only In It, Lumpy Gravy et Uncle Meat) et la fin avec l'Ensemble Modern (1993), avec l'utilisation du Synclavier, donc sa "serious music". Comme c'est le dernier qu'il a achevé et qu'il correspond à son rêve de toujours, on peut le considérer comme son testament.


Zappa alterne des parties dialoguées enregistrées en 1967 puis 1991, et des musiques réalisées avec l'Ensemble Modern l'année suivante, surtout des samples de l'orchestre allemand injectés dans le Synclavier. L'œuvre représente une maîtrise de la technique d'échantillonnage, sans que l'on sache ce qui est interprété en direct ou recomposé. Zappa gardait tout, montait, mixait sans cesse. En 1967, ayant découvert les propriétés des cordes du piano vibrant en sympathie, il avait imaginé le "piano people" en demandant à Eric Clapton, Rod Stewart, Tim Buckley, Motorhead Sherwood, Roy Estrada, Spider Barbour (leader des Chrysalis), All-Night John (le manager du Studio Apostolic), Louis Cuneo (pour son rire qui sonnait "comme un dindon psychotique") et d'autres de s'y pencher. De nombreux invités célèbres venaient lui rendre visite et il en profitait pour les intégrer à son œuvre expansive. On se souvient du concert avec John Lennon et Yoko Ono ou de Jimi Hendrix sur la pochette de We're Only In It For The Money, mais il y eut aussi des jazzmen comme Archie Shepp, Don Cherry ou Roland Kirk, sans parler de tous les musiciens passés par son orchestre, et les groupes avec qui il improvisa au Festival d'Amougies. Zappa reprend l'idée du piano en 1991 avec sa fille Moon Unit, Michael Rappaport, Ali N. Askin, Todd Yvega et la section complète des cuivres de l'Ensemble Modern, cette fois dans le Bösendorfer Imperial (mon piano préféré évidemment !) du studio UMRK, l'Utility Muffin Research Kitchen au sous-sol de sa maison sur les hauteurs de Hollywood.

Frank Zappa - Civilization Phaze III Minus Talking © Tim Worth


La particularité de sa musique "sérieuse" (sérieuse en opposition au rock, pas la même audience) est qu'elle fut majoritairement conçue et enregistrée pour des disques, car rarement jouée en public. Inspiré par Varèse, Webern et Stravinski, c'est probablement ce qu'il a réalisé de plus personnel. La musique est à la fois très physique avec des changements de rythmes brusques, mélodique (Zappa ne craint pas plus la tonalité que l'atonalité), timbrale (la variété de sons est incroyable), dramatique (il a souvent une idée derrière la tête), bruitiste (comme les bulles), fondamentalement symphonique. Il y use des ressources du studio, effets et ciseaux, comme il l'a toujours fait.


Le double CD porte le chiffre III, car Zappa imaginait cet "opéra-pantomime en deux actes" comme un troisième chapitre après We're Only In It et Lumpy Gravy qui datent de vingt-cinq ans plus tôt. Il en rêvait accompagné de chorégraphies inexplicables, sur des sujets comme les moteurs, les cochons, les poneys, l'eau noire, le nationalisme, la fumée, la musique, la bière et diverses formes d'isolement, avec un décor mobile automatisé. Son livret, montage "à la Burroughs", en précise d'ailleurs la scénographie tout le long. Zappa réussit à boucler ce 63ème album avant de mourir à 52 ans d'un cancer de la prostate le 4 décembre 1993, il sortira le 31 octobre 1994, suivi d'innombrables inédits.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.