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The Night of The Hunter fait partie de mes dix films préférés comme pour la plupart de mes amis, si ce n'est le premier. Je l'ai vu et revu un nombre incalculable de fois depuis plus d'un demi-siècle. C'est en découvrant le disque où Charles Laughton en lit le résumé dans la version de l'auteur, Davis Grubb, accompagné par la musique de Walter Schumann, que je me suis souvenu posséder le documentaire de 2h40 qu'en fit Robert Gitt en 2010 à partir des huit heures de rushes retrouvés dormant dans une école de cinéma. Pour le storyboard Laughton s'appuya aussi sur les dessins de Grubb qui avait abandonné ses études d'arts plastiques parce qu'il était aveugle aux couleurs. Le réalisateur Andrew V. McLaglen adapta plus tard un autre roman de Grubb, Fool's Parade, comme le fit Alfred Hitchcock pour sa série télévisée. Quant à Walter Schumann, connu préalablement pour le thème (controversé) de quatre notes de Dragnet, il mourut prématurément à 44 ans. Tout a commencé lorsque Paul Gregory, jeune acteur devenu agent, tomba sur une émission de télévision du « Ed Sullivan Show » où Charles Laughton lisait des extraits de la Bible comme il le faisait régulièrement, et qui produirait le film. En fait c'est Harold Matson, agent littéraire, qui envoya à Gregory le roman de Grubb publié en 1953, qui à son tour le fit passer à Laughton qui l'adora, celui-ci le décrivant comme un cauchemar digne des Contes de ma Mère l'Oye. Laughton réécrivit le scénario confié à James Agee qui était trop long, mais insista pour que celui-ci en soit le seul signataire. Agee, victime d'une crise cardiaque dans un taxi, ne vit jamais le film et Laughton ne connut jamais non plus le succès qui adviendra longtemps après sa mort.
La nuit du chasseur fait partie de l'école Southern Gothic, un genre plutôt glauque, typique du sud des États Unis. La Grande Dépression, suite à la crise de 1929, où se passe l'action n'arrange évidemment rien au côté sordide de l'histoire. Mais, d'une certaine manière, Laughton le transformera en un conte de fée, poussé par la production et les ligues de vertu de l'époque (on connaît pourtant la cruauté des contes de Perrault !). Le rôle tenu par Robert Mitchum ne pouvait être que celui d'un "faux" prêcheur et il était hors de question que le film finisse mal, du moins pour les deux enfants, John et Pearl.
Robert Gitt présente donc les rushes dans l'ordre chronologique du film. Laughton laissant tourner la caméra pour ne pas interrompre la concentration des comédiens, on l'entend les diriger hors-champ, tout comme le reste de l'équipe. Signalons encore l'extraordinaire lumière, quasi expressionniste, de Stanley Cortez à qui l'on doit également celle de La splendeur des Amberson d'Orson Welles, Shock Corridor et The Naked Kiss de Samuel Fuller...
Charles Laughton directs "The Night of The Hunter" est une véritable expérience cinématographique. Au delà de la leçon de direction d'acteurs ou des explications sur les effets spéciaux, il distord le temps par la répétition des scènes, l'intégralité des prises avant montage et évidemment la durée de cette exposition fascinante. Presque comme du Michael Snow. Gitt insère également au fur et à mesure le pédigrée de chaque intervenant jusqu'à la fin où il évoque leur futur.
Surprise de trouver le documentaire sur YouTube et de le partager avec vous, car souvent je suis obligé de vous laisser chercher seuls les films dont je parle, ce qui n'est pas forcément aussi simple que pour moi. Il manque évidemment les sous-titres français, mais le document est si éloquent qu'il mérite d'être découvert comme une variation du chef d'œuvre, unique film de Charles Laughton qui n'en tourna aucun autre, suite à l'échec cuisant au moment de sa sortie en 1955. Fabuleux comédien et metteur en scène de théâtre, né en 1899 en Grande Bretagne et naturalisé Américain en 1950, il continua sa carrière cinématographique en jouant encore dans Témoin à charge de Billy Wilder, Spartacus de Stanley Kubrick, et Tempête à Washington d'Otto Preminger l'année de sa mort en 1962.