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La phrase affichée à l'entrée de l'exposition Orson Welles à la Cinémathèque tombe à point nommé. La veille, une amie compositrice à qui j'expliquais que j'étais multi-tâches m'avait répondu que ce genre d'artistes ne produisait jamais rien de bien. Leonardo et tous les hommes de la Renaissance ? Aristote ? Goethe ? Hugo ? Cocteau ? Lynch ? Ou Colette !... Comme j'ai l'habitude d'être considéré depuis toujours comme un touche-à-tout, je ne me suis pas vexé, sachant que ce qualificatif est accompagné par "de génie" lorsque les journalistes qui l'emploient désirent transformer le péjoratif en compliment ! Évidemment je ne suis pas Orson Welles, et c'est probablement une chance si j'en juge par l'amertume que ses échecs successifs ont provoqué chez lui et surtout sur le massacre dont ses films ont été les victimes sous le pouvoir des producteurs. Après Citizen Kane, plus aucun de ses films n'est tel qu'il l'a voulu. La tristesse entrevue chez nombreux des plus grands réalisateurs m'avait, à ma sortie de l'IDHEC, fait choisir la musique plutôt que le cinéma. Plus le budget est important, plus sont fortes les pressions des financiers. Même si les restes de Welles sont sublimes, malgré les coupes, les dépossessions, les inachèvements, il en a pâti toute sa vie, condamné à jouer dans des navets pour vivre, et racontant que ce qu'il avait gagné avec son premier long métrage, il avait passé ensuite sa vie à le perdre. Je me souviens aussi que devant les étudiants venus l'écouter à la Cinémathèque Française, du temps du Trocadéro, lui demandant quel était le meilleur moment d'un film, il avait répondu "When the money is in the bank !". Comme la salle riait, Welles avait insisté très sérieusement, sans cynisme, par crainte qu'on ait pris cela pour un bon mot, répétant "vous ne m'avez pas compris, c'est quand l'argent est à la banque !". Quelle tristesse de penser à tous ces grands artistes qui n'auront connu le succès que post mortem. Je l'évoquais lundi avec La nuit du chasseur, mais je pense souvent à Mozart, Van Gogh, Rimbaud, Varèse ou Bartók, et à celles et ceux que l'on découvrira demain longtemps après leur mort. C'est le sentiment le plus fort que je tire de la belle exposition My Name Is Orson Welles à la Cinémathèque (jusqu'au 18 janvier 2026).
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Comme je possède tous ses films, y compris ses émissions télévisées, ses tours de magie, ses créations radiophoniques, ses romans, ses participations à d'autres chefs d'œuvre comme La ricotta de Pasolini, et je ne sais combien d'interviews et documentaires, j'ai été passionné par les documents graphiques, extraits de films inachevés où Welles a un petit rôle, les lettres, ses dessins sur les fonds de ses boîtes de cigares Romeo y Julieta (en cadeau à son compositeur préféré Angelo Francesco Lavagnino), les esquisses de décors, l'évocation des pièces de théâtre invisibles comme le Macbeth vaudou ou son Jules César en chemises noires, son implication politique, etc. Beaucoup de documents proviennent de Croatie, patrie de sa dernière compagne, Oja Kodar, que l'on voit dans F for Fake (Vérités et mensonges), mais c'est Beatrice Welles (aperçue dans Falstaff), la fille qu'il a eue avec l'actrice italienne Paola Mori, qui semble la plus active. Si vous n'avez pas le temps ni la possibilité de voir l'exposition, le catalogue de 464 pages est absolument remarquable, pour moi même plus riche.