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Lorsque je suis seul, fatigué et paresseux, il m'arrive de regarder des films qui ne plairaient pas à ma compagne. Sous prétexte de m'intéresser à tous les genres j'opte de temps en temps pour ceux que j'appelle des daubes. Il s'avère parfois que mes a priori dépréciatifs soient erronés comme récemment avec La Passion selon Béatrice ou Rich Flu ; alors je mets en pause pour repartir du début et en profiter à deux ou à plusieurs. Ce sont le plus souvent des films d'action, des documentaires musicaux ou des comédies françaises dont je ne verrai jamais le bout. Les deux découvertes précitées sont néanmoins un documentaire de création et une dystopie. Or, s'il est un genre qui m'est désormais insupportable, ce sont les films de guerre ou d'espionnage américains.
Grand fan de Samuel Fuller, j'ai aimé ses J'ai vécu l'enfer de Corée (The Steel Helmet), Baïonnette au canon (Fixed Bayonets), Ordres secrets aux espions nazis (Verboten), Les maraudeurs attaquent (Merrill's Marauders) et Au-delà de la gloire (The Big Red One), même si ce ne se sont pas mes préférés de celui qu'à tort Georges Sadoul fustigeait en se trompant sur leur sens idéologique. Comme plus tard Robert Altman, Dalton Trumbo, Francis Ford Coppola ou Oliver Stone, son propos n'a jamais été de glorifier la guerre, mais d'en montrer l'horreur et l'absurdité. Je sais bien qu'y réside une forte ambiguïté. Mais les productions dont je parle et qui me donnent aujourd'hui envie de vomir ne sont évidemment pas de cet acabit. Les réalisations de Spielberg ou Nolan me font pourtant cet effet. Où se situe la limite ? Dans la complaisance de la violence ? Dans l'apologie de l'héroïsme ? Dans la glorification du nationalisme ? Dans le manque évident de recul dont j'ai besoin pour satisfaire ma non-violence critique en évoquant la logique du profit ?
L'actualité au Moyen-Orient a brutalement suscité cette réaction épidermique. En découvrant les ruines de Gaza ou en imaginant les bombardements israéliens et américains qui tuent aveuglément des populations civiles je ne peux plus supporter l'ambiguïté du spectacle cinématographique. J'aurais pu réagir plus tôt. Au Vietnam, en Angola, en Afghanistan, en Irak, en Somalie, au Rwanda, en Tchétchénie, en Ukraine, partout sur le globe, depuis des temps immémoriaux. Lorsqu'il m'a été donné la possibilité d'intervenir j'y suis allé comme à Sarajevo pendant le siège fin 1993, et avant cela en Algérie et en Afrique du Sud. J'ai toujours été non-violent, prenant ma carte de citoyen du monde quand j'avais onze ans, me faisant réformer pour ne pas porter une arme, me servant d'une caméra, du son ou de ma plume pour dénoncer l'ignominie de l'espèce humaine, criminelle et suicidaire. S'il n'y a rien de nouveau depuis des siècles, la puissance de destruction est devenue définitive. Il suffit d'appuyer sur un bouton et d'en admirer cyniquement l'efficacité à distance.
Ma sensibilité à fleur de peau est évidemment décuplée par le génocide en cours en Palestine. Combien de décennies faudra-t-il aux Israéliens pour assumer l'horreur dont ils sont les auteurs (et ce depuis plus de 70 ans !) ? De quelle société hériteront-ils lorsque les assassins aux ordres rentreront chez eux ?... L'Amérique s'est bâtie sur la violence et un génocide, enfermant les rescapés dans des camps appelés réserves. Pour ne l'avoir jamais reconnu, elle est condamnée à répéter sans fin son besoin de suprématie en l'imposant par la violence. Son cinéma en est le reflet, avec ses westerns et ses films de gangsters dont elle s'est fait une spécialité. La paranoïa guide les criminels. Ainsi Israël détruit le mythe sur lequel il s'est construit. Le storytelling aura fait long feu.