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J'ai toujours aimé les instruments qui sortent de l'ordinaire. Dans les années 80 j'ai eu la chance de voir Christian Marclay en concert solo à Würzburg en Allemagne. Nous avions le même producteur de disques, Jürgen Königer, du label Recommended Records/No Man's Land. C'était la première fois que je voyais quelqu'un scratcher des disques, avec des pédales d'effets sur les platines et des bricolages inattendus comme les disques qu'il avait découpés et réassemblés, et ce bien avant la plupart des DJ. Il utilisait aussi deux bras de tourne-disques sur le même vinyle. Lorsque, grâce à Benoît Delbecq j'ai appris que DJ Nem scratchait Ligeti et Miles, nous lui avons demandé de rejoindre Un Drame Musical Instantané ; il est présent sur l'album Machiavel dont le concept est justement autour du vinyle et sur Tchak enregistré en 2000 mais sorti récemment sur le label autrichien KlangGalerie. En 2010 le violoncelliste Vincent Segal est venu me voir pour que nous organisions une visite musicale de l'exposition Vinyl à la Maison Rouge où Françoise Romand nous filma. Depuis 2016 où nous avons fondé le duo Harpon je joue de temps en temps avec Amandine Casadamont dont un des talents est d'être platiniste ; nous avons, entre autres, enregistré trois albums : Harpon, Live at Silencio Club et Paradis. Alors, à Lille comme je sortais de ma conférence sur 200 Motels de Frank Zappa, mes oreilles se sont dressées et mes yeux n'ont fait que trente-trois tours lorsque Falter Bramnk m'a remis son CD tout frais.
Vinyland Odyssee est une sorte de collage. Il me rappelle ceux de Max Ernst ou Jacques Prévert, les affiches déchirées de Raymond Hains ou Jacques Villeglé, ou encore mes propres radiophonies telles qu'on les entend dans Crimes parfaits (1981) ou L'ai-je bien descendu (1989). Certaines pièces sont drôles ou spirituelles, d'autres grinçantes et corrosives. Je pense aussi aux premiers dessins animés de Walt Disney avant qu'ils deviennent politiquement corrects. Falter Bramnk ne s'endort pas sur sa platine, il joue aussi du piano, des synthés, des percussions, de la trompette, etc., et il a convoqué ici ou là les voix de Patrick Guionnet et Xuan Mai Dang, l'accordéon ou la basse de Dave Willey, le sax ou la clarinette de Laurent Rigault, la guitare de Sébastien Beaumont... Sur le disque Vinyland Odyssee les morceaux s'enchaînent, j'aurais peut-être suggéré quelques silences entre, pour mieux apprécier la qualité de chaque tableau. Il me semble qu'un cadre permet de mieux cerner le sujet. Le chaos de l'ensemble, néanmoins parfaitement maîtrisé, produit un vertige comme si nous étions dans la centrifugeuse de la Foire du Trône quand le sol se dérobe sous nos pieds, ou plutôt si nous étions parmi les spectateurs-voyeurs perchés en haut du cylindre. C'est un disque que je dois réécouter plusieurs fois pour profiter de toutes ses synapses sonores ; à la troisième et prochaine écoute je ferai probablement une pause entre chacune des 19 pièces en en vérifiant le titre. Discophile, je fais toujours grand cas de la présentation graphique, des textes lorsqu'il y en a, et des titres.
→ Falter Bramnk, Vinyland Odyssee, CD Attenuation Circuit (940 albums au compteur !) 10€ et en numérique 5€ sur Bandcamp