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chercheur indépendant, écrivain, inspecteur de l'Education nationale honoraire, ancien chargé de cours à l'Université de Poitiers

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Billet de blog 18 août 2025

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Gaza le bal des faux culs et des lâches

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Alors que tout cela : l’envie de dénoncer ces atrocités, d’en confronter la genèse avec l’inhumanité présente, comprendre et mettre face à face l’attitude et les prises de position des uns et des autres (intellectuels, politiques, « religieux » …) m’envahissait me vint, à travers l’histoire de ces peuples, notamment depuis 1947, la question de comment les historiens des années futures parleront de cette période horrible pour les peuples de ce lamentable lambeau de terre (les territoires palestiniens et israéliens). Quels mots emploieront-ils ? En histoire, Jacques Rancière l’a magistralement écrit, le mot est sinon primordial du moins essentiel, voire fondateur de la pensée historique. Dans son livre[1], Rancière écrit : « Depuis plus d’un siècle, ceux qui s’intéressent à l’histoire, et ils sont nombreux, se sont battus avec le mot[2]. » Déjà, dit-il, il a fallu se battre avec le mot « histoire » : série d’évènements qui arrivent à des sujets, ou récit de ces séries … une longue analyse permet d’arriver à une cruelle homonymie entre histoire « qui désigne d’un même nom l’expérience vécue, son récit fidèle, sa fiction menteuse, et son explication savante. » Heureux les Anglais qui distinguent story et history. « Question de mots » dit Jacques Rancière.

Laissons là la discussion savante et académique au sujet de la constitution de la science historique ; les historiens, bien mieux que les journalistes, sauront faire leur miel de cette dispute (au sens académique et universitaire) pour décrire et analyser la situation des Gazaouis durant la période du 8 octobre 2023 au …. Une période dont personne ne voit la fin se profiler et à propos de laquelle personne ne veut reconnaître qu’au-delà des causes menteuses de sa genèse, elle est une série d’histoires de mots !

L’histoire qui nous intéresse aujourd’hui a commencé le 7 octobre 2023 quand le Hamas a sauvagement attaqué Israël faisant 1188 morts[3] dont des enfants, de très nombreux blessés et enlève 251 otages. Le choc a été d’autant plus terrible car au-delà de l’aspect inattendu de l’attaque celle-ci mettait en échec l’armée, le système de défense réputé inviolable ainsi que les services de renseignements israéliens connus pour être les meilleurs du monde. Autant (sinon plus) que les morts ce fut l’humiliation qui fit souffrir Israël et qui étendit son voile sur l’ensemble des pays occidentaux, eux qui avaient laissé, jadis, se mettre en place la Shoa quand ils n’y avaient pas contribué. N’y avait-il pas là une réminiscence de cette période abominable de l’histoire de l’Occident ? Certains ont voulu le croire et ont parlé de pogrom. Premier mot d’un collier de stupidités mis en place pour entraîner vers la culpabilisation notamment en instrumentalisant le serpent de mer qu’est l’antisémitisme qui, tellement utilisé, tellement brandi à chaque incident rencontré par un juif que le mot rejoint la catégorie des mots vertueux[4], ces mots qu’on met et qu’on trouve un peu partout sans qu’on puisse d’emblée à la lecture du texte leur attribuer une définition stricte et sans qu’apparaisse un sens « éclatant ». Le trop comme le mieux est l’ennemi du bien, ainsi en exagérant la cause de cet acte horrible on sommait chacun de prendre parti : soutenir les Palestiniens, notamment du Hamas, c’était ipso facto être antisémite ! Ce processus rhétorique et sémantique entraînait alors une réminiscence de la honte chez les gouvernants occidentaux même (voire surtout) s’ils n’avaient pas vécu cette époque[5] celle du nazisme et de la Shoa ; la prise de position et les actions de l’Allemagne et de l’Autriche sont exemplaires en ce domaine. Retenons que chacun s’est surtout retranché derrière un slogan : « Israël a le droit de se défendre », toutefois sans jamais poser de limite au droit de se défendre. J’ai discuté de cette absence de limites et de la confusion entre le droit de se défendre et la vengeance dans un billet de blog le 9 octobre 2024 : Palestine- Israël : aporie politique et humaine . Dès lors, pris dans ce magma émotionnel dans lequel l’histoire vieille de 80 ans prenait le pas sur le présent comment était-il possible de donner du sens au présent, de la raison aux analyses et d’envisager un quelconque traitement de l’affaire ?

Est-ce pour éviter d’être prisonnier de cette émotion sclérosante que Jean-Luc Mélenchon désigna les gens du Hamas comme des « résistants » plutôt que comme des « terroristes » ? Était-ce pour éviter que les discours et les analyses ne tombent dans les niaiseries habituelles qui ne règlent rien, ne font pas avancer les problèmes vers une solution mais qui, au contraire, fige la pensée dans une exaltation des haines, des rancœurs, des ressentiments ? Mélenchon et l’ensemble des membres de son parti (LFI) devenaient antisémites aux yeux du microcosme politique ; voilà que naissait une posture bien pratique pour éviter de réfléchir et s’engager politiquement. Comme nous l’avait déclaré une étudiante en présentant son mémoire pour le concours d’enseignant : pendant la Seconde Guerre mondiale en France il y avait deux catégories de gens : les résistants et les collaborateurs. Désormais, en France il y aurait les pros israéliens et les autres, forcément antisémites, ces derniers étant proscrits et interdits d’expression de leurs idées. Encore fallait-il faire admettre que cette entrave à la liberté d’expression était dans la normalité et endormir les foules.

Comme à son habitude le président Macron nous offrit un exemplaire de ces niaiseries destinées à endormir les foules dans un Hommage aux victimes franco-israéliennes : « De Montpellier à Tel Aviv, de Bordeaux au Néguev, les morts français du 7 octobre n’étaient pas tous nés sur le sol de France. Ils ne sont pas tombés sous le ciel de France, mais ils étaient de France. De France, parce qu’ils la portaient en eux et que notre pays était partout où ils étaient. De France, parce qu’ils avaient l’exigence de l’idéal, le goût de l’universel. De France, parce qu’ils aimaient notre pays avec la force ardente de ceux qui, en apprenant sa langue, se plongeant dans sa culture, ne le quittent jamais. » Un discours « littéraire », creux, dépourvu de sens politique[6], qui n’est destiné qu’à faire pleurer dans les chaumières. S’il pouvait faire siens ces deux proverbes chinois : « trop de paroles tuent l’action », « à trop parler on finit par se tromper ». Tout d’un coup nous voilà acteurs du drame puisque ces morts-là sont de chez-nous même si certains étaient en Israël parce qu’engagés dans l’armée de ce pays ; alors suivre la sémantique de Mélenchon, en reconnaissant le Hamas comme « résistant », pouvait être vu (et fut vu dans bien des cas) comme une excuse plus que comme une explication à ce que non seulement des Israéliens mais aussi des Français aient pu être assassinés par le Hamas. Suivre Mélenchon c’était accréditer qu’il était entendable que le Hamas pût légitimement attaquer Israël.  Dès lors que pouvait-il se passer autre qu’une division de la France en deux : pro israéliens, pro palestiniens ? D’autant que tout pro palestinien était réputé être antisémite, or la chose est bien moins vraie que la proposition suivant laquelle tout pro israélien est islamophobe voire anti‑arabe. Tout d’un coup de nombreux politiciens (une large majorité) prenaient fait et cause pour Israël comme le Rassemblement National pourtant naît d’un parti particulièrement antisémite, ou des ministres comme celui de l’Intérieur dont chacun connaît les positions xénophobes et souvent racistes. Désormais toute manifestation, aussi insignifiante soit-elle, en faveur des Palestiniens et notamment des Gazaouis était réprimée. N'a-t-on pas vu des gendarmes interpeller au cours d’un festival de Musique des participants au seul fait qu’ils portaient un foulard ou un drapeau aux couleurs de la Palestine[7]… rappelons les incidents tendant à empêcher la tenue de conférences, les mensonges de certains groupuscules comme à Sciences Po Paris pour dénigrer les étudiants pros palestiniens… Au bout on s’aperçoit que qualifier les gens du Hamas de « résistants » c’est impliquer Israël dans la cause et la responsabilité du conflit : on résiste à l’envahisseur, au colonisateur, alors qu’être terroriste c’est essentiellement être mû par une idéologie et vouloir agresser l’autre au seul fait de sa non-adhésion à cette idéologie sans même qu’il ait manifesté une quelconque velléité d’agression.

C’est sur cette base sémantique où les mots viennent autant brouiller qu’organiser la pensée politique que les gouvernants des pays occidentaux ont construit leur politique vis-à-vis du conflit israélo-palestinien. Les Israéliens ont raison, les Palestiniens ont tort ne serait-ce que parce qu’ils ont donné vie au Hamas. Alors Israël pouvait envahir la Palestine (une invasion commencée il y a déjà de longues années) et massacrer au nom du principe du droit à se défendre des milliers de gens. Puis au fil des jours apparurent les images des écoles, des hôpitaux détruits par l’armée israélienne, accompagnées de celles des enfants tués ou, pire, mutilés par les soldats de la même armée. Les images reçues au fil des jours rappellent d’autres d’il y a 80 ans en France avec entre autres Oradour-sur-Glane et au Japon sous les bombes atomiques, d’il y a 60 ans au Vietnam avec le défoliant et le napalm américain…Par une sorte de mimétisme à ses exactions anciennes l’Occident acceptait celles actuelles commises par Israël ; toutefois les images horribles en provenance de Gaza étant là, devant les yeux des citoyens occidentaux, la monétisation politique de la Shoa ou de l’Affaire Dreyfus devenait moins facile à avancer pour soumettre les foules à l’idée dominante suivant laquelle Israël aurait toujours raison ! Au vu des massacres un soutien inconditionnel à Israël devenait de moins en moins crédible auprès des foules occidentales (dans ce cas les USA étant à traiter à part tant les liens entre les USA et Israël sont forts[8]&[9]). Les gouvernants se mirent à réprouver les livraisons d’armes à Israël mais sans pour autant les interdire ; on se souvient à ce sujet la tirade de l’inénarrable Macron critiquant la livraison d’armes : « Si on appelle à un cessez-le-feu, la cohérence, c’est de ne pas fournir les armes de la guerre[10] » ainsi au 19e sommet de la Francophonie E. Macron déclarait, en visant vraisemblablement les USA et plus particulièrement le président Biden qu’il n’est pas possible d’appeler « chaque jour à nos côtés au cessez-le-feu et de continuer d’approvisionner Israël », « en même temps » il n’est pas certain que les fabricants d’armes français aient interrompu leurs exportations vers Israël. La lecture d’articles relatifs à la vente d’armes à Israël montre au moins une chose : la France n’a pas été pionnière en matière d’interdiction de fourniture d’armes à l’État hébreu[11]. En outre la France accorde un statut privilégié à Israël : la célébration le 8 décembre 2023 d’une cérémonie religieuse juive[12] à l’Élysée en présence du Chef de l’État, la précipitation avec laquelle le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale se sont précipités en Israël où ils ont notamment accordé une interview au Times Off Israël[13], la visite de Jordan Bardella en Israël en mars 2025 ‑ alors que la famine se fait de plus en plus dure à Gaza – est aussi réelle qu’incongrue de la part de quelqu’un qui soutient que le Front Nation ne fut pas antisémite… l’histoire avance et les temps changent offrant une vaste scène d’expression aux faux culs de toutes obédiences. Nous aurions pu espérer qu’une fois passé l’émoi des premières heures la France, héritière (de moins en moins digne) des Lumières eût le courage de prononcer des sanctions à l’encontre d’Israël comme elle le fit vis-à-vis de la Russie de Poutine. Las les Lumières comme la richesse économique ont ruisselé jusqu’à s’éteindre.

À bien regarder ce qui se passe et surtout à bien analyser la stratégie (plus de communication et de marketing politique que de politique “profonde”) du président Macron nous sommes obligés de reconnaître qu’il est cohérent avec lui-même : c’est du « en même temps », je dis une chose de nature à flatter l’opinion publique et en même temps je fais autre chose voire le contraire pour satisfaire mes intérêts auprès des lobbies… Alors on laisse les mots gouverner et masquer la réalité ce qui amène à prendre parti sans s’interroger sur la ou les disproportions en jeu dans ce conflit, à ne pas sortir d’un processus vain de recherche du coupable et à vouloir confondre défense et vengeance on entraîne ce vieux conflit au rythme des résurgences de haine qui attaquent « les racines mêmes de l’hominité : non pas seulement le temps de l’histoire, mais celui de l’hominisation[14]. »

Pendant que des femmes, des enfants, des hommes meurent sous les bombes et à cause de la famine nos gouvernants, pour masquer leur inaction volontaire, parlent et parlent encore en dénonçant les exactions mais sans jamais agir : que n’y a-t-il pas de sanctions contre Israël alors qu’on fut si prompt, à juste titre, pour en infliger à la Russie ? Cette attitude marque l’impuissance des gouvernants et derrière eux des populations d’Occident à prendre en compte l’humanité de l’Autre. L’humanité des Gazaouis relève, aujourd’hui en Occident, d’un « impensé » après avoir été invisibilisée notamment par les médias. Hannah Arendt[15] dans sa définition de l’Homme indiquait à quel point un homme se définit par l’action et que la pensée est au service de l’action ; dès lors que la pensée des politiciens s’arrête au Hamas, que les martyrs de Gaza n’existent pas il n’y a pas de « pensée » les concernant donc pas d’action. Même si depuis quelques semaines on s’apitoie sur les conséquences de la famine que fait-on pour obliger Israël à ouvrir la frontière aux ONG et à les laisser travailler ? Les politiciens occidentaux déploient fort justement beaucoup (enfin apparemment) en faveur de l’Ukraine, en feraient-ils seulement la moitié pour les Gazaouis que leurs discours ne seraient plus une toile qui masque leur manque de volonté et leur lâcheté vis-à-vis du gouvernement israélien. Un jour viendra où les enfants de Gaza devenus adultes se retourneront vers eux tendant, au bout des moignons de leurs membres, les photos de leurs parents, de leurs frères et de leurs sœurs morts sous les bombes et les balles israéliennes fournies par l’Occident, et ils clameront, paraphrasant Victor Hugo[16] : « Il vient une heure où les paroles ne suffisent plus : après la philosophie, il faut l’action » !

Souhaitons que les gouvernants cessent de se cacher derrière les mots et qu’ils agissent afin que l’avertissement lancé par Elie Barnavi et Vincent Lemire[17] ne se transforme pas en triste réalité.

[1] Jacques Rancière, les mots de l’histoire, Seuil, 1992.

[2] Citation d’un maître de la discipline, précise Jacques Rancière.

[3] Dont 350 soldats et policiers.

[4] Voir Michel Cattla, action public régionale et nouveau management public : le cas de la rhétorique de l’innovation, in sociologies pratiques, 2005, 10, numéro Hors-Série.

[5] Comme E. Macron qui aime tant se servir de l’Histoire… à travers les commémorations et autres festivités mémorielles.

[6] On attend d’un discours politique qu’il organise la vie sociale, qu’il apporte des solutions à un problème social (ou/et économique), qu’il apporte une perspective de mieux vivre… Notons toutefois qu’en matière de gouvernement d’un pays les discours « littéraires et creux » n’ont rien d’inhabituel bien au contraire ; ne serait-ce pas ça qui serait à l’origine du désintérêt des citoyens pour la politique et leur manque de confiance croissant dans les politiciens ?

[7] Au Festival Interceltique, des festivaliers contrôlés pour « un simple drapeau » de la Palestine

[8] Dans la série (sur Netflix) Mad Men dans un épisode un des personnages dit : « entre les USA et les Juifs il y a une véritable histoire d’amour ».

[9] Dominique Schnapper, Juifs américains : fin d’une success story, Juifs américains: fin d’une success story? - Telos

[10] Emmanuel Macron se prononce en faveur de l’arrêt des livraisons d’armes à Israël pour la guerre à Gaza : « honte », réplique Benyamin Nétanyahou

[11] Guerre à Gaza: ce que l'on sait des livraisons d'armes par les pays occidentaux à Israël

[12] Une célébration critiquée au nom du principe de laïcité par une instance représentative des Juifs en France : « Ce n’est pas la place, au sein de l’Élysée, d’allumer une bougie de Hanoukka, parce que l’ADN républicain, c’est de se tenir loin de tout ce qui est religieux », a réagi le président du CRIF.

La célébration de la fête juive de Hanoukka à l’Elysée suscite l’indignation du monde politique

[13] Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet s’expriment sur le 7 octobre et l’antisémitisme :

Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet s’expriment sur le 7 octobre et l’antisémitisme - The Times of Israël

[14] Michel Serres, Eclaircissements, Champs (n° 271) - Champs essais, 1994.

[15] Hubert Faes, Hannah Arendt et les définitions de l’homme, https://shs.cairn.info/revue-philosophique-2015-3-page-341?lang=fr

[16] Victor Hugo, 1851, « Il vient une heure où manifester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l’action. »

[17] Elie Barnavi et Vincent Lemire : « Monsieur le Président, si des sanctions immédiates ne sont pas imposées à Israël, vous finirez par reconnaître un cimetière », Elie Barnavi et Vincent Lemire : « Monsieur le Président, si des sanctions immédiates ne sont pas imposées à Israël, vous finirez par reconnaître un cimetière »

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