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Jean-Jacques LATOUILLE

chercheur indépendant, écrivain, inspecteur de l'Education nationale honoraire, ancien chargé de cours à l'Université de Poitiers

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Billet de blog 29 janvier 2019

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Gilets Jaunes : ils ont perdu.

Le défilé des Foulards Rouges a-t-il sonné la fin de la partie et l'extinction du mouvement des Gilets Jaunes ? De quoi les Foulards Rouges sont-ils le signe ?

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Dans une chronique parue le 4 décembre 2018 dans £e Monde Edgar Morin écrivait : « Mais il manque totalement une pensée directrice et une telle pensée conduirait à un éclatement entre les composantes hétérogènes d’un mouvement [des gilets jaunes] où les colères unies contre le pouvoir sont en fait antagonistes entre elles. Donc tout ce qui fait la réussite du mouvement à risque de le conduire un échec final. » Le mouvement des Gilets Jaunes serait-il arrivé à ce point de rupture suggérée par Edgar Morin, à ce point où l'hétérogénéité des revendications et l’organisation protéiforme du mouvement devant montrer, sous la force des pressions gouvernementales et médiatiques, un front uni se disloque notamment parce qu’il est confronté à une nouvelle pression : celle des ambitions personnelles ?

Comme dans tout mouvement social chacun y vient avec ses envies, ses besoins et ses ambitions. On aurait pu penser que la solidarité et la fraternité nées sur les ronds points auraient pu sinon effacer du moins contenir les ambitions personnelles. Nenni, ici comme ailleurs les ambitieux, sous des prétextes plus ou moins sincères mais le plus souvent fallacieux, tracent leur chemin personnel. Le cas le plus marquant est celui de cette dame et de ses quelques colistiers qui souhaitent se présenter aux élections européennes. Outre qu’ils ne peuvent pas se revendiquer des Gilets Jaunes n’en ayant reçu aucun mandat (comment cela pourrait-il se faire dans un tel mouvement), cette participation électorale n’apportera rien à un mouvement pour lequel la politique européenne n’est pas la préoccupation, d’autant moins qu’elle n’a que peu d’incidence sur les objets de leurs revendications. Le discours suivant lequel ces personnes se présentent aux élections européennes pour intégrer le système politique est antagoniste à un des fondements structurels des Gilets Jaunes qui rejette en masse le système politique et les partis, en y mêlant les corps intermédiaires et notamment les syndicats. Alors faut-il, comme le réclame certains comme cette dame avide de mandat électif, que le mouvement se structure ?

A mon avis la force du mouvement des « Gilets Jaunes » est dans son apparente désorganisation ; ici il n’y a désorganisation que si on s’en tient aux paradigmes classiques d’analyse des mouvements sociaux et des organisations, mais si on regarde l’intérieur du mouvement avec un autre paradigme on y voit une organisation en réseaux dynamiques structurés autour des échanges in situ sur le ronds-points relayés et augmentés par la communication sur les “réseaux sociaux” comme Facebook. Il ressort que les “réseaux sociaux” ont une remarquable capacité à organiser un groupe social actif et qu’ils sont désormais incontournables comme lieu de l’analyse des mouvements sociaux ; les journalistes et plus généralement les “sachants” semblent ne pas l’avoir compris ni seulement vu. Les « Gilets Jaunes » n’ont pas vocation à devenir un élément politique au sens d’une organisation comme un parti ou un syndicat, le mouvement est un lanceur d’alerte. Je ne résiste pas à citer Edgar Morin : « Les “gilets jaunes” sont le signe d’une crise de foi. » Les « Gilets Jaunes » ont montré combien une grande partie de la population (notamment les abstentionnistes de l’élection de 2017) ne croit plus ni dans les institutions ni dans les gouvernants ; ils ont montré ce mal qui ronge la société plus particulièrement celle des « moins favorisés » à travers quelques symptômes illustrés par leurs revendications. Ce mal c’est le pouvoir hégémonique et étouffant voire délétère de la “Finance”, des institutions désormais désincarnées et surtout le pouvoir des gouvernants, technocrates et “petits comptables”, aujourd’hui aussi éloignés des gens modestes que pouvait l’être Louis XIV. Mais, le mouvement saura-t-il continuer et permettre une évolution de la société en gardant sa spontanéité et son caractère de « révélateur » des maux de la société ?

Le défi est de taille face aux attaques dont il est l'objet, auxquelles s’ajoutent les conséquences de ses égarements. Ces attaques viennent d’abord de certains médias comme BFMTV qui depuis le début du mouvement joue la carte du dénigrement en exacerbant la violence (en omettant les violences policières et l’analyse de la cause de la violence) comme si elle constituait l’âme du mouvement ; d'autres médias, notamment la presse écrite, sont plus modérés vis à vis de la violence mais ils peinent à s’extraire des chiffres du ministère de l’Intérieur alors que leurs propres images les contredisent et qu’ils sont extrêmement discordants avec ceux de la presse régionale. La deuxième attaque se situe dans les mesures dilatoires prises par le président de la République en décembre : distribuer quelques miettes pour accaparer la “masse molle” et la séparer des « Gilets Jaunes ». La “masse molle” c’est cette partie de la société à laquelle nous pouvons appliquer la définition qu’Emile Durkheim donnait de la société de masse ; « Une masse d’individus indifférenciés, semblables à des atomes. » Parmi ces atomes on trouve ceux qui râlent contre les désagréments dus aux manifestations mais qui au fort de l’action les soutiennent plus par conformisme que par conviction et qui dès qu’ils croient apercevoir que le vent tourne abandonnent ceux qu’ils soutenaient pour se ranger sous la bannière de premier qui distribue une becquée. Ceux-là se satisfont de peu et continuent à maugréer, envahissent la mangeoire et surtout oublient que cette becquée ils la doivent à ceux qu’ils abandonnent. Cette “masse molle” aime à se complaire dans le jus des becquets (petit papier écrit qu’on ajoute à une épreuve pour signaler une correction), aussi c’est elle précipité sur le « Grand Débat » comme si celui-ci devait corriger tant et tant d’erreurs faites par le gouvernement et laver les traces laissées par l’arrogance. Ils pataugent dans ce « débat » aux allures d’un enfumage où à la place des échanges et du dialogue entre citoyens promis par Emmanuel Macron on voit s’installer une tribune de propagande électorale : là le président de la République vient expliquer (en bras de chemise, demain en « bleu de chauffe »), combien sa politique est la bonne puisque c’est la sienne, ici le premier ministre évacue la question du RIC puisque « ça le hérisse »…, et E. Macron rencontre les maires faute d’être allé à leur rencontre lors de leur congrès mais alors pourquoi dans la Drôme n’en a-t-il convié que 60 triés sur le volet dans une région de 7 877 698 habitants résidant dans 4095 communs avec chacune un maire ? Qui dans cette “masse molle” a analysé la réalité de l’impact sur chaque individu concerné des mesures annoncées en décembre, qui s’est interrogé sur l'utilité et surtout l’efficacité de ce « Grand Débat » dirigé par l’exécutif et animé par ses députés et ses ministres afin d’en faire la tribune électorale prévue dès le départ par E. Macron [https://www.mediapart.fr/journal/france/260119/grand-debat-les-secrets-d-un-hall] ? Ce n’est pas leur problème à ces atomes, ils savent se contenter d’une miette de brioche (souvenez-vous de Marie-Antoinette qui disait : « s’il n’y a plus de pain qu’on leur donne de la brioche ») alors que la famine est à leur porte, ils s’en contentent tellement heureux d’être caressés par le Prince. Ils sont d’autant plus satisfaits que, dans la société de consommation et du spectacle, les médias et les “sachants” leur ont expliqué que c’est la solution : les « Gilets Jaunes » voulaient s’exprimer, alors qu’ils viennent parler maintenant !

Et voilà qu’arrive le défilé des « Foulards Rouges » : ni contre les « Gilets Jaunes » ni promacron même si les fondateurs du mouvement sont adhérents de LREM ou pour le moins sympathisants du mouvement macronien. C’est là une belle estocade qui vient prolonger l’action sécuritaire et répressive mise en place par le gouvernement. Le gouvernement s’est défendu, bien timidement à mon sens, de soutenir ce mouvement alors qu’une trentaine de parlementaires de LREM se sont joints au cortège du dimanche 27 janvier dont le président du groupe LREM au Sénat ; ils y étaient en tant que citoyens disent-ils. Ce sont les mêmes qui fustigeaient les députés du RN et de LFI qui avaient manifesté avec les « Gilets Jaunes », certains seraient-ils plus citoyens que les autres, la démocratie serait-elle à géométrie variable ? D’ailleurs comment se fait-il que le ministère de l’Intérieur n’ait pas organisé un cordon sanitaire et fait procéder à des fouilles comme dans le cas des manifestations des « Gilets Jaunes » ? La question est d’autant plus importante au regard de ce que déclare des policiers dans le journal £e Monde du 29 janvier : « Certains policiers faisaient en outre remarquer que c’est précisément l’établissement d’un tel dispositif [périmètre de sécurité] autour des Champs Elysées qui avaient provoqué les débordements du 1er décembre. » Bon, le discrédit des « Gilets Jaunes » est total : avec eux la chienlit, la casse et la violence, avec les « Foulards Rouges » ce n’est que calme et sérénité quasiment un défilé bucolique ; même les Back Boc ont favorisé ce calme puisque c’est bien connu le dimanche ils se reposent de leurs turpitudes de la semaine. On peut à cette occasion s’interroger de la possible connivence entre les services du ministère de l’Intérieur lorsqu’on questionne l’immixtion subreptice des Black Bloc le samedi provoquant la police (même si aucune image ne le montre) et conséquemment empêchant la tenue de la Nuit Jaune, la veille du défilé des « Foulards Rouges » alors qu’on n’entendait plus parler d’eux depuis des semaines, à l'occasion de cette question on lira l’article paru dans le Canard Enchainé de mercredi 23 janvier : « pour ficher les gilets jaunes, l’Intérieur ressuscite les RG. »

Face à ces adversités et à leurs propres erreurs, les « Gilets Jaunes » sauront-ils résister, vont ils disparaître brutalement ou s'étioler lentement ? Indéniablement E. Macron a gagné la deuxième manche après avoir perdu la première par forfait (ou défaut de présence). Pour autant ce n’est pas un match nul, la partie ne semble pas terminée, il reste les prolongations, voire les tirs au but.

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