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Billet de blog 11 mars 2017

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Passé et avenir de l'écologie politique

Dans cette élection présidentielle où rien ne se passe comme prévu et où se manifestent au grand jour les tendances à la décomposition des partis en place et le rejet des sortants, la direction d'EELV a décidé de retirer le candidat écologiste à l'élection présidentielle au profit du vainqueur de la primaire socialiste.

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 L'argument de la recherche d'une alliance à trois pouvait s'entendre et il y avait sur ce point un large accord. Mais alors, pourquoi toutes ces manœuvres de la majorité du bureau exécutif pour mettre le parti devant le fait accompli ? Et pourquoi avoir signé finalement un accord à 2, renonçant ainsi à imposer un rapport de forces ?

Je sais que certain.e.s camarades pensent encore, de bonne foi, que cet accord à 3 reste possible. Mais l'obstacle à un tel accord n'est pas principalement une question d'« égos », il traduit surtout les profondes divisions au sein de la gauche, et il n'y a pas aujourd'hui comme en 1936 un mouvement de masse puissant dans la société qui obligerait les partis à trouver une solution. Au contraire, l'appareil du PS renforce son emprise sur Benoît Hamon et se réserve le droit de remettre en cause l'accord pour les législatives signé avec EELV . Je dois dire que, dans cette affaire, l'Imprévu a été presque le seul à affirmer une position cohérente et à défendre la ligne adoptée à notre Congrès de Pantin.

Cet accord, et la méthode utilisée pour y parvenir, créent inévitablement la suspicion et un profond malaise dans EELV, ainsi que les conditions d'un éclatement. On n'avait pas besoin de cela, après toutes les crises que nous avons traversées depuis 2011.

Mais au delà de ce qui pourrait apparaître comme une simple erreur de tactique, se pose la question de la construction de l'écologie politique en France, de l'analyse que nous faisons de la société et de notre stratégie pour la transformation écologique et sociale de la société. Je veux surtout, dans les lignes qui suivent, proposer quelques repères et poser des questions.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Ce qui frappe au premier abord, c'est la grande diversité des partis écologistes dans le monde, en fonction de l'histoire propre de chaque pays. Au-delà d'un fond de doctrine commun, ils recouvrent un large arc-en-ciel de nuances sur l'échiquier du centre et de la gauche, voire de la droite, entre ceux qui veulent dépasser le système capitaliste et ceux qui s'accommodent d'un capitalisme « vert », voire réduisent l'écologie à une approche purement environnementaliste. Souvent, cette diversité existe au sein de chaque parti. Nous l'avons nous-même vue à l'œuvre dans notre groupe parlementaire depuis 2012, avec la cacophonie dans les votes qui nous a largement desservis. Nous le voyons aujourd'hui encore, dans les choix pour la prochaine présidentielle entre Hamon, Mélenchon ou Macron.

Le fait est que le développement de notre mouvement semble se heurter durablement à un plafond de verre, qu'il s'agisse du nombre de militant.e.s ou de nos résultats électoraux, qui s'appuient en réalité sur un socle social étroit, principalement celui de la petite bourgeoisie urbaine diplômée. Nous n'avons, en effet, jamais su, et jamais vraiment voulu, nous adresser aux classes populaires, qui seules auraient pu nous apporter un ancrage social solide et peut-être plus de stabilité dans nos résultats, qui varient souvent en raison inverse de ceux du parti socialiste.

Nous pensions que notre projet, portant sur l'avenir de l'humanité et de l'écosystème-terre, transcendait de ce fait les rapports de classes et les partis existants. Nous nous adressions donc à toute la population, misant sur la force de conviction de nos idées et de réalisations concrètes pour emporter l'adhésion. En quelque sorte, une « écologie pour tous », avec pour seuls adversaires les lobbies, sans voir derrière eux toute la structure d'une organisation sociale constituée et faisant système !

Un manque de vision globale, sans doute, qui se traduisait par un désintérêt pour l'analyse de la société et des forces sociales capables de porter un projet de transformation aussi ambitieux.

Une écologie interclassiste, forte de ses grands combats symboliques comme celui de Plogoff, mais en même temps peu soucieuse de faire le lien avec les mouvements d'émancipation qui l'avaient précédé, ceux du mouvement ouvrier révolutionnaire des XIXè et XXè siècle, avec ses victoires et ses échecs. Elle avait, certes, des excuses, puisque la gauche elle-même, qui se posait comme l'héritière de ces mouvements et qui continuait à fêter leurs anniversaires, avait perdu la mémoire de leurs buts et de leurs enseignements.

C'est donc assez naturellement que notre parti a adopté la stratégie dominante, celle de la conquête des institutions afin d'y porter des réformes, avec – en raison de ses origines - une forte attirance pour le niveau local et l'action concrète sur le terrain, où il a rencontré ses principaux succès.

Nous avons donc commencé à nous développer comme courant politique autonome en occupant la place vide laissée par les partis traditionnels, dont la vision du monde focalisée sur la recherche de la croissance à tout prix faisait peu de cas de l'écologie. Issue au départ de milieux associatifs tournés vers la défense de l'environnement , avec une forte connotation scientifique, notre composition sociale s'est diversifiée avec l'arrivée de militant.e.s issu.e.s du PSU puis de l'extrême-gauche après les mouvements de 1968. Cette diversité a fait l'originalité et la richesse de notre parti, aussi longtemps que celui-ci a su encourager le débat entre ces diverses sensibilités, reconnaître l'apport des commissions ouvertes sur la société – une sorte d'auberge espagnole vivante, avec sans doute ses défauts, mais aussi une vitalité qu'on ne peut que regretter aujourd'hui. Cette évolution sociale explique sans doute pour une bonne part le passage du « ni-ni » à l'alliance privilégiée avec le parti socialiste, le plus proche idéologiquement de la majorité des membres du parti et que nous pensions écologiser à notre contact.

Ce tournant stratégique, accompagné très vite de la participation au gouvernement, a eu un impact important sur le parti, qui se considérait désormais comme un parti de gouvernement. L'entrée dans les institutions est devenue la préoccupation majeure, mobilisant la plus grande partie de ses forces et précipitant une évolution interne similaire à celle des partis traditionnels, dans lesquels règne la lutte pour le pouvoir, et où l'exécutif et les grands élu.e.s régentent tout. L'ouverture des Verts en 2009 et la création d'EELV ont pu donner l'illusion d'un changement. Mais le parti était déjà bureaucratisé, et on a assisté très vite à la dégénérescence d'EELV. L'année 2012 ne fut qu'une victoire à la Pyrrhus, elle précipita en fait le déclin. Le PS de Mitterrand avait contribué à tuer le Parti communiste, celui de Hollande aura fait de même avec EELV, l'histoire se répète !

C'est pourquoi le Congrès de 2016 revêtait une importance majeure. Ce fut une occasion ratée, un bal des dupes. La direction sortante, qui portait une large responsabilité dans la situation désastreuse du parti, a été reconduite et même confortée, sans qu'un bilan des erreurs ait été fait, malgré les tentatives de la minorité. Ce bilan a été mis d'autant plus facilement sous le tapis que la majorité des sensibilités ne pouvait que converger sur la critique de l'action du gouvernement. Cela donna une motion de synthèse décidant la rupture avec le PS au niveau national, un candidat écologiste à la présidentielle et des candidats écologistes dans chaque circonscription aux législatives. A quoi bon alors faire un bilan, puisque nous étions d'accord ? La suite allait montrer que cet engagement était lourd de sous-entendus.

La présidentielle, et après

La victoire du candidat le plus proche des positions d'EELV dans la primaire socialiste confirme la percée des idées écologistes dans les milieux sociaux proches de notre propre électorat. C'est évidemment une très bonne nouvelle, tout comme l'est au sein du PS l'apparition d'une sensibilité écologiste. Pour autant, comme je l'ai dit plus haut, le ralliement précipité à Benoît Hamon est une erreur, qui confirme notre tropisme vers le PS ; nous n'aurons ni le programme, ni les élus, et nous aurons perdu l'occasion d'apparaître dans la campagne nationale avec notre projet et notre candidat Yannick Jadot, qui aurait défendu nos idées beaucoup mieux que Benoît Hamon. Cette absence d'expression indépendante de l'écologie politique se fera aussi sentir sur notre audience aux législatives. Et Jean-Christophe Cambadélis plastronne déjà, se félicitant d'avoir rassemblé autour de son parti la famille écologiste recomposée !

Cela pose au-delà la question du poids qu'aura demain un EELV affaibli, marqué aux côtés du PS et ayant montré son incapacité à tenir sa ligne politique, dans la recomposition à venir. Car c'est bien de cela qu'il s'agit maintenant .

J'évoquais précédemment la grande diversité des partis écologistes, tant dans leur ligne que dans leur position dans l'échiquier politique. On peut effectivement imaginer plusieurs futurs pour EELV et cet avenir n'est pas écrit, mais en poursuivant la ligne qui domine EELV depuis plusieurs années, nous courons vers notre disparition, sous une forme ou sous une autre. Après tout, les idées écologistes progressent dans les partis de gauche, et il ne manquera pas de candidats pour nous absorber !

Ce serait un grand retour en arrière, non pas parce que nous sommes excellents, mais parce que l'écologie politique porte un projet de civilisation, avec ses valeurs et une vision du monde cohérente, qui fait sens lorsqu'on l'exprime dans sa globalité. EELV, avec toutes ses limites, est encore le parti politique le mieux à même de l'incarner. Mais pour combien de temps ?

La recomposition va se faire de toutes façons, les événements actuels la précipitent. Nous ne pèserons qu'à trois conditions : 1) en nous comportant comme un parti indépendant, et pas à la recherche permanente d'un tuteur ; 2) en clarifiant nos propres objectifs et notre ligne stratégique, car notre projet est incompatible avec le capitalisme comme avec tout système productiviste : il faut le dire ; 3) en repensant nos rapports avec la société, car les partis actuels n'ont plus de liens organiques avec la société.

 Ce travail se mène au niveau local, selon la diversité des situations et des partenaires avec lesquels nous pouvons engager un travail commun. Cela ne vaut pas seulement pour le temps des élections. Mais la construction d'une alternative ne se fera pas par une simple addition d'initiatives locales, elle suppose un travail intense de l'organisation dans son ensemble.

A celles et ceux qui aujourd'hui nous quittent sur la pointe des pieds ou qui se désespèrent de voir notre parti s'enfoncer, je voudrais rappeler la formule de Gramsci dans ses carnets de prison « il faut allier le pessimisme de la raison à l'optimisme de la volonté ». Il ne dépend que de nous de faire gagner l'écologie politique, telle que nous l'entendons, avec ses dimensions sociales et sa vision sociétale.

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