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Billet de blog 17 février 2015

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La sécurité dans les transports s'invite au Conseil régional d'Ile-de-France

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Présentation devant le Conseil régional du rapport sur la prévention et la sécurité dans les transports en commun franciliens par Jean Lafont, président et rapporteur du CSE

En décidant en avril 2011 de créer le Comité de suivi et d'évaluation (CSE) de la politique de prévention et de sécurité dans les transports et de confier dans le même temps à l'IAU une étude sur la sécurisation des transports publics franciliens, le Conseil régional d'IDF a voulu examiner le bon usage des moyens très importants que la Région et le STIF consacrent à cette politique, tant en investissements – 500 M€ depuis 1998 - qu'en moyens humains - 2000 agents de sûreté à la SNCF et à la RATP et environ 500 médiateurs. C'est tout à l'honneur de notre institution d'avoir lancé cette évaluation, qui n'a pas d'autre but que d'améliorer le service rendu aux usagers, mais aussi le bien-être au travail des agents qui, sur le terrain, sont exposés aux incivilités comme aux actes malveillants.

I – La méthode

Ce travail a duré à peu près deux ans. Je dois dire que j'ai trouvé un grand intérêt à le conduire et à rédiger le présent rapport, car il s'agit d'un sujet majeur qui mérite un regard objectif, appuyé sur une analyse de la réalité. Ce travail a amené le CSE à auditionner un grand nombre d'acteurs à travers 6 séances, deux visites de terrain – l'une au PC sécurité de la RATP (après la visite de celui de la SNCF, quelques mois auparavant), l'autre à l'invitation des Courriers d'Ile-de-France. Un séminaire en novembre 2013 réunissant une soixantaine de participants, que le vice-président Pierre Serne a bien voulu ouvrir, a apporté des contributions particulièrement riches et nous lui devons une bonne partie des préconisations du rapport. Celui-ci a été adopté par le CSE le 3 octobre 2014.

Je tiens ici à remercier tous les acteurs que nous avons rencontrés et qui ont manifesté un intérêt marqué pour nos travaux, tout particulièrement les transporteurs, la sous-direction régionale de la police des transports, les représentants syndicaux des salariés, l'Observatoire national de la délinquance dans les transports – et bien sûr le STIF, l'IAU et les services de la région qui nous ont accompagnés tout au long de nos travaux. Une mention spéciale à l'IAU, dont l'expertise est bien connue et reconnue dans le domaine de la sécurité, et à sa remarquable étude sur la sécurisation des transports qui a été accueillie de manière très positive par les transporteurs et la Sous-direction régionale de la police des transports (SDRP lors de sa présentation devant le CSE.

L'ensemble de ces échanges s'est traduit par plus de 200 pages de verbatim qui constituent une mine d'informations et qui, j'espère, seront mises à la disposition de tous les membres de notre assemblée et au-delà. J'insiste sur cette méthode de travail, que nous avons voulue très ouverte, objective et sans a priori – dans un domaine où la démagogie et l'idéologie prennent trop souvent le pas sur l'analyse de la réalité. Une ombre néanmoins au tableau, l'implication trop faible des élus, avec heureusement des exceptions notables. A cet égard, je remercie tout particulièrement mes collègues Jacques Picard, Jérôme Impellizzieri et Jean-François Pellissier, qui ont beaucoup apporté à nos réflexions collectives – ainsi que Laurence Bonzani, Laurent Dumont et Djeneba Keita. Je tiens enfin à remercier Véronique Estève, qui a assuré efficacement le secrétariat général du Comité, ainsi que Laurence Selin, ma collaboratrice, qui m'a apporté un concours précieux. Si le CSE a eu, à plusieurs reprises, avec les représentants de la police nationale, des échanges très éclairants pour comprendre le fonctionnement de la chaîne humaine de sécurité dans les territoires – ses propositions sont restées dans le cadre du mandat qui lui avait été fixé – l'action de la Région et celle du STIF.

II - Que ressort-il de l'investigation menée par la CSE?

Tout d'abord, les transports franciliens ne sont pas le coupe-gorge que certains nous décrivent avec envie, à coup de chiffres fantaisistes et sélectionnés pour les besoins de la démonstration. C'est ce que disent les acteurs. Les données les plus fiables en ce domaine – les enquêtes de victimation de l'IAU qui couvrent la période de 2001 à 2013, montrent que la délinquance dans les transports suit le mouvement général – sa part relativement importante dans l'ensemble traduisant l'intensité des déplacements en transports en commun en IDF. L'évolution des violences est plutôt en légère baisse, contrairement aux vols sans violence, beaucoup plus fluctuants et qui ont connu une remontée ces dernières années avec le vol de portables. Il faut mettre ce résultat au crédit des politiques poursuivies jusqu'ici et des hommes et des femmes qui agissent sur le terrain, souvent dans des conditions difficiles.

A - En ce qui concerne les usagers, la préoccupation sécuritaire vient loin derrière la qualité de service, la régularité, le confort et la qualité des informations en cas d'incident – et ce sont les incivilités qui sont alors mises en avant. Pour autant, les espaces de transport sont des lieux où le sentiment d'insécurité est élevé – plus de 40% des personnes interrogées – 60% des femmes - déclarent avoir peur au moins de temps en temps dans les transports et surtout, aucun mouvement de baisse ne se dessine sur toute la période.

En revanche, nous avons ressenti une réelle tension chez les personnels, sous l'effet de plusieurs facteurs qui peuvent se cumuler: dégradation des rapports avec les usagers, qui peut aller jusqu'à l'agression; sentiment de solitude de conducteurs de bus, face à des incidents pouvant survenir dans la traversée de territoires difficiles et du fait aussi de l'éloignement des postes de commandement locaux; silence sur les agressions de la part d'employeurs craignant de voir jouer le droit de retrait... Cette description est bien sûr à nuancer selon les lieux et l'employeur, mais elle reflète un malaise, dans un contexte où les objectifs de productivité reposent souvent sur la réduction des dépenses salariales. L'attention croissante que portent depuis plusieurs années la SNCF et la RATP aux questions d'incivilités, et à la formation à la gestion des conflits des agents en contact avec le public, montre que le sujet est pris au sérieux.

Les organisations syndicales se font le relais de ce malaise et demandent à être considérées comme des partenaires à part entière dans les politiques de prévention et dans leur mise en oeuvre. Cette demande est fortement ressortie dans les conclusions du séminaire de novembre 2013. Le CSE la reprend à son compte, en préconisant que les représentants des personnels des entreprises de transport soient associés, à tous les niveaux, aux politiques de prévention et de sécurité et, en particulier, que la Région et le STIF organisent une rencontre annuelle avec les syndicats.

La question de la présence humaine est revenue constamment tout au long des travaux et est plébiscitée comme facteur n°1 de prévention. Celle des agents en charge de la sécurité, bien sûr. Celle aussi des médiateurs – dont la professionnalisation soutenue à juste titre par le STIF reste encore un problème, et dont il convient de veiller à leur doctrine d'emploi. Mais, plus largement, celle des agents commerciaux dans les gares qui, par leur présence – lorsqu'elle est pro-active - concourent aussi à la tranquillité et au sentiment de sécurité.

Le CSE estime qu'on a été trop loin dans la recherche d'économies dans ce domaine, que le financement par le STIF de médiateurs ne saurait suppléer, et qu'il convient de revenir en arrière, en rétablissant une présence humaine là où elle a disparu, dans certaines gares de bout de ligne notamment. Pour le CSE, les politiques de prévention ne peuvent plus s'appuyer sur les seuls professionnels de la sécurité, elles requièrent une mobilisation multiforme des différentes catégories d'agents, avec certes des rôles différents et non interchangeables et qui devraient trouver une reconnaissance au niveau des qualifications, dans le cadre d'une stratégie globale de l'entreprise, se traduisant en plans d'actions coordonnés, auquel le STIF et la Région seraient amenés à apporter leur concours. Ce volet devrait trouver sa place dans les prochains contrats du STIF avec les transporteurs.

B - La décision de créer le CSE avait pour origine le débat sur la vidéosurveillance, et le souhait partagé – au moins par une partie de cette assemblée – d'y voir clair et, au-delà des postures idéologiques, d'établir son domaine d'efficacité en matière de sécurité. Cette question a beaucoup moins mobilisé le CSE que le volet humain dont je viens de parler, elle a été menée de manière pragmatique à travers plusieurs approches, que je crois utile de souligner : l'avis des acteurs; l'analyse des modalités concrètes d'utilisation de la vidéosurveillance; l'étude de l'IAU sur la sécurisation des transports publics franciliens; enfin, les données des enquêtes de victimation de l'IAU depuis 2001, une période très intéressante, puisqu'elle coïncide à peu près avec le démarrage et la quasi- généralisation de la vidéosurveillance sur les réseaux et par son implantation déjà avancée sur les matériels roulants.

Je n'ai pas le temps d'en donner le détail ici, j'invite celles et ceux d'entre vous qui feraient de la vidéosurveillance l'alpha et l'oméga de leur politique de sécurité à lire le rapport.

Les conclusions sont claires: la vidéosurveillance est un outil très peu dissuasif et de peu d'intérêt du point de vue préventif - la surveillance en continu de plusieurs milliers de caméras étant impossible, sans compter les délais de réaction. La présence humaine reste aujourd'hui, de l'avis général des acteurs, la meilleure prévention en temps réel. Par ailleurs, le programme massif d'équipements dans ce domaine financé par la Région et le STIF n'a pas fait baisser le sentiment d'insécurité. L'effet principal des caméras dans le domaine qui nous préoccupe ici est d'aider la police à retrouver les coupables. C'est cela la réalité.

Eu égard au peu d'intérêt préventif des caméras, et constatant que l'équipement des réseaux est désormais achevé, et celle des matériels roulants déjà bien engagée, le CSE invite la Région et le STIF à réexaminer l'opportunité de financer de nouvelles demandes qui leur seraient adressées au motif de l'obsolescence des équipements de vidéosurveillance, ce qui risque de se révéler une course sans fin – et de conduire à sous-estimer l'importance de l'investissement dans l'humain.

C - Le dernier axe du rapport sur lequel je voudrais insister est celui de la coopération des acteurs sur le terrain et à un niveau plus stratégique. Premier constat, la coopération opérationnelle entre les entreprises de transport SNCF, RATP, Police Nationale est fortement organisée et on peut dire qu'elle fonctionne bien, à travers des réunions régulières et des évaluations. Les difficultés apparaissent en grande couronne, en particulier sur les réseaux de surface, en raison d'un réseau moins dense et d'une présence sur le terrain beaucoup plus difficile à assurer, ce qui rend d'autant plus nécessaire une implication forte des territoires et des élu/es, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.

Si SNCF et la RATP, ainsi qu'un certain nombre d'opérateurs du réseau OPTILE, s'impliquent beaucoup dans les CLSPD, il faut noter que les transports font très rarement l’objet d’un volet spécifique dans le cadre des stratégies territoriales de sécurité. C'est particulièrement problématique dans les territoires de grande couronne, où la coopération avec les élus locaux, les polices municipales, les autres acteurs de la prévention, devrait être importante, sans même parler d'une bonne articulation avec les politiques de prévention en amont. Le CSE préconise que la Région encourage ces démarches, à travers notamment l'aide qu'elle apporte aux diagnostics territoriaux de sécurité.

Il est apparu enfin au CSE que les politiques mises en oeuvre par la Région et le STIF étaient trop exclusivement inspirées par les opérateurs de transport, tenus dans le cadre des contrats avec le STIF d’établir des plans de prévention. Sans conteter l'intérêt de ces éléments, le CSE estime que les élus, que ce soit les élus du STIF ou les élus du Conseil régional, devaient disposer d’informations plus larges et issues de réflexions débattues avec l'ensemble des acteurs, afin de se forger une opinion propre et de pouvoir mieux orienter sur le fond leurs politiques. Cette réflexion rejoint la proposition de nombreux participants au séminaire de novembre 2013 de créer un Observatoire régional de la sécurité et de la tranquillité dans les transports, très largement ouvert aux acteurs, dont bien sûr les élus, les usagers et les représentants des salariés des entreprises de transport qui, outre ses missions classiques de recueil et d'analyse de données, serait un lieu de mutualisation des connaissances et de débat, contribuant à une vision partagée des problématiques de sécurité dans les transports franciliens. Il ne s’agit pas, pour le CSE, de créer un organisme associé. A titre personnel, je pense que l'IAU, compte tenu de ses compétences et de son image d'indépendance et de rigueur, pourrait jouer ce rôle. Cet outil, inutile de le souligner, serait très utile aux élus et conforterait le STIF dans son rôle de pilotage des opérateurs de transport dans leur politique de prévention, à travers les contrats.

En conclusion

Ces propos n'épuisent pas le contenu du rapport et de ses 21 propositions. Ce nombre ne signifie pas que rien n'a été fait jusqu'ici; d'ailleurs, nombre d'entre elles s'appuient sur des pratiques existantes, souvent à l'initiative des opérateurs, et qu'il s'agit de conforter. J'ai pris ici le parti d'en souligner les principales.

La Région IDF n'a pas à rougir de son action et ce rapport balaie, si c'était nécessaire, les faux procès qui lui sont faits périodiquement. Par ce rapport, le CSE propose d'ouvrir une nouvelle étape de l'action régionale en matière de prévention, fondée sur la mobilisation du facteur humain et le renforcement de l'intelligence collective, en mettant à profit l'heureuse conjonction avec le grand bond en avant que vont connaître des réseaux franciliens dans les années à venir, par la volonté de la Région et de l'Etat.

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