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Billet de blog 18 novembre 2014

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Quelques réflexions sur la période et sur nos tâches vis à vis de la société

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Prendre l'initiative

Nous vivons un moment singulier, où le temps semble suspendu dans l'attente d'une catastrophe annoncée, avec un gouvernement dépassé par les évènements, dont chaque décision amenuise la base sociale, et qui semble chercher une issue dans une fuite « à droite toutes ». Pendant ce temps, le « politiquement incorrect » fait fureur dans les médias, serinant ad nauseam son discours sur le déclin national, en attribuant la faute à mai 68, et ressortant les vieilles lunes réactionnaires. Chaque époque a, certes, les penseurs qu'elle mérite...

La société française semble dériver à droite de manière irrésistible, dans un sauve-qui-peut général, les partis de gauche sont pris dans des turbulences, à commencer par le parti socialiste, que la politique gouvernementale tend à conduire à l'éclatement.

Ce contexte, auquel notre parti n'échappe pas, oblige à prendre du recul et à chercher à comprendre la situation présente, à sortir de la vision gestionnaire qui a pris le pas sur l'objectif de transformation sociale, à clarifier notre projet et à définir la stratégie de l'écologie politique – en se posant la question: où va-t-on, avec qui, et pour quoi faire? On ne construira pas d'alternative, en effet, par de simples rapprochements partidaires.

La crise actuelle n'est pas l'une de ces crises conjoncturelles, dont le capitalisme a coutume. Nous l'avons qualifiée à juste titre de crise systémique, de crise de civilisation. Et nous arrivons dans un de ces moments instables, où la société va basculer selon le rapport des forces qui s'affrontent. C'est dire l'importance de l'enjeu, il faut en prendre la mesure.

Le texte qui suit, en prenant du recul, n'a d'autre objectif que de lancer un débat, de poser des questions, en risquant quelques propositions.

I - La singularité de la période actuelle ….

Pour situer la période actuelle, il est nécessaire de rappeler brièvement les formes prises par le capitalisme dans son histoire récente. Si celui-ci a manifesté, dès ses premiers stades, sa tendance à s'étendre à l'échelle internationale, souvent en s'appuyant sur la force des Etats, il l'a fait dans un premier temps principalement par le pillage des ressources naturelles des colonies et l'ouverture de marchés pour écouler les produits de a grande industrie, ainsi que par le financement de grands travaux nécessaires à cette expansion.

Ce n'est que beaucoup plus tard que ce mode de production s'est étendu à l'ensemble de la planète, la transformant en une gigantesque usine, mobilisant et mettant en concurrence la force de travail dans les différents pays, tirant ainsi vers le bas le prix de cette dernière dans les vieilles métropoles. Les délocalisations et la désindustrialisation des puissances européennes en sont l'une des manifestations. Cette évolution a été permise par la libéralisation des mouvements de capitaux et la disparition des barrières douanières.

Les gouvernements, de plus en plus dépendants du capital financier, se sont peu à peu dessaisis des moyens de contrôle et de régulation de l'économie, ainsi que d'importantes ressources fiscales, puisque les groupes internationalisés ont toute latitude pour réduire leur impôts, en toute légalité et par le biais des paradis fiscaux.

Cette situation entraîne plusieurs conséquences: d'un côté, la déconnection de l'emploi des profits, avec l'apparition d'un chômage structurel croissant et de plus en plus coûteux pour la collectivité; de l'autre, une baisse des recettes des Etats, en grande partie à l'origine de la hausse de la dette publique, dont on peut dire qu'elle a été organisée par toute une série de décisions politiques, depuis les années 1980.

Les années des « 30 glorieuses » font figure d'exception, de parenthèse, dans notre histoire. Sur le plan économique, après la crise de surproduction de la fin de années 20, le capitalisme, encore peu internationalisé, avait besoin du marché intérieur pour écouler ce qu'il produisait à grande échelle. Sur le plan politique, la force de la classe ouvrière et du parti communiste au lendemain de la Libération obligeait à des concessions pour assurer la paix sociale. C'est ainsi que s'est mis en place le compromis « fordiste », dans un capitalisme encore largement national, où l'État disposait de moyens d'assurer une régulation.

Cette période des « 30 glorieuses » peut apparaître avec le recul comme un « âge d'or » du capitalisme en France, marqué par une élévation quasi continue du niveau de vie, avec une baisse des inégalités et le fonctionnement de l'ascenseur social, l'expansion de la société de consommation et de loisirs, la montée de l'individualisme et d'une demande de libération des moeurs portée par les classes moyennes.

Toute médaille ayant son revers, ce modèle de développement productiviste, croyant à la toute puissance de la technique, très dépendant du pétrole, peu soucieux des ressources naturelles et de la préservation des écosystèmes naturels, s'est vite révélé non durable, et à l'évidence non généralisable à l'ensemble de la planète.

La sortie en 1972 du rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance, et l'irruption des questions environnementales dans le débat public traduisent ce début de prise de conscience.

Il n'empêche, cette période reste dans l'imaginaire collectif synonyme d'une réelle prospérité, de rapports sociaux plus faciles, où il était possible de se projeter dans un avenir qui promettait d'être toujours meilleur. Elle inspire aujourd'hui les politiques de « retour à la croissance – que ce soit par des politiques keynesiennes de relance ou par une politique de l' « offre ».

Mais ce rêve est illusoire, car le capitalisme a changé depuis les années 1980. A supposer même une convergence – fort improbable – des politiques au niveau mondial, la croissance à court terme se heurterait vite à la disponibilité des ressources naturelles et des matières premières, avec une inflation quasi instantanée des prix, ainsi qu'à l'accélération des changements climatiques avec leurs conséquences dramatiques à l'échelle planétaire.

Quant aux politiques redistributives, elles se heurtent aujourd'hui à la paupérisation des Etats et à la crise des systèmes d'assurance sociale, sauf à attaquer de front le capital financier, ce dont la social-démocratie n'est plus capable depuis longtemps – si tant est qu'elle l'ait jamais été.

… dans une société transformée en profondeur par le capitalisme mondialisé

La mutation du capitalisme à partir de la fin des années 70 s'est traduite par des transformations en profondeur de la société française, avec des conséquences importantes pour la classe ouvrière et pour les classes moyennes.

On a assisté, en effet, dans toute cette période, à la remise en cause d'un modèle de société dans lequel l'exigence d'autonomie allait de pair avec une demande de protection sociale et de services publics.

D'un côté, la demande d'autonomie et d'épanouissement personnel a été « récupérée » par la mise en oeuvre de nouvelles méthodes de management dans les entreprises fondées sur la performance, la concurrence et l'individualisation du rapport salarial. Ces méthodes se sont étendues aux entreprises publiques et aux services de l'État.

De l'autre, l'État providence issu du programme du Conseil National de la Résistance n'a cessé de se réduire, transférant les risques vers les individus invités à se prendre en charge, et limitant de plus en plus ses interventions à des catégories ciblées. A une demande croissante de sécurité face à la multiplication des risques produits par notre modèle de développement (insécurité sociale, environnement, alimentation, santé publique, etc.), il a répondu par des politiques sécuritaires criminalisant les étrangers et les jeunes des banlieues, et réprimant les mouvements écologistes.

Ces politiques ont pu être mises en oeuvre malgré les résistances qu'elles ont suscitées, car celles-ci se sont révélées trop faibles.

La classe ouvrière était, en effet, affaiblie par la disparition de ses bastions industriels et le mouvement de désindustrialisation, la montée constante du chômage et l'effet délétère du nouveau management, la disparition des solidarités de voisinage, ainsi que la perte des espérances historiques qui donnaient par le passé du sens à son combat.

Quant aux classes moyennes, qui avaient fortement contribué à la diffusion des valeurs de la société de consommation, elles ont été déstabilisées par la fin de l'ascenseur social et la menace de déclassement de ses fractions inférieures. Leur foi dans le progrès s'est transformée en doute et en crainte de l'avenir. Elles ont en outre, pour une partie d'entre elles, le sentiment de supporter seules le fardeau de la solidarité nationale, ce qui les rend sensibles aux discours désignant les étrangers et les chômeurs comme les responsables de leur malheur.

Ce scénario n'était pas inéluctable. Les partis politiques de gauche portent, en effet, une lourde responsabilité dans ces défaites successives, faute d'avoir su ou voulu donner des perspectives aux résistances, ou même, pire, pour avoir contribué à promouvoir cette mondialisation capitaliste.

Lorsque l'on compare aujourd'hui la politique du gouvernement socialiste à celle de la droite, ce sont les propos de feu Jacques Duclos « blanc bonnet, bonnet blanc » qui viennent à l'esprit. Le glissement à droite du débat politique ces dix dernières années, autour des thèmes de l'identité nationale et du prétendu déclin, dont les idées permissives de mai 68 seraient responsables, fait de l'arrivée au pouvoir du Front National une perspective possible dans les années qui viennent.

Mais nous avons aussi, nous écologistes, des responsabilités dans cette situation

. … nous oblige à revenir à nos fondamentaux et à sortir de la logique gestionnaire dans laquelle nous nous enfermons trop souvent

Ce n'est pas sombrer dans l'autoflagellation que de dire que notre parti n'est pas à la hauteur de la gravité de la situation, et que nous n'avons pas su profiter du discrédit du gouvernement de gauche et du parti socialiste pour nous ériger en alternative.

Pourquoi? Pour plusieurs raisons, sans doute.

L'épisode des législatives et de la participation au gouvernement n'a pas démontré, bien au contraire, que nous étions un parti différent des autres. Notre refus de siéger dans le gouvernement Valls, n'a pas apporté la clarification attendue, en raison des divergences entre une partie importante de nos parlementaires et les positions du Parti.

Nous jouons au grand écart, entretenant la fiction de faire toujours partie de la majorité gouvernementale alors que nous sommes en désaccord avec ses orientations fondamentales. Les déclarations de nos nombreux/ses porte-paroles se contredisent souvent, même sur des textes aussi importants que la loi sur la transition énergétique et sur le budget 2015.

Peut-on alors s'étonner de ne pas susciter la confiance? Qui sait ce que nous ferions si nous avions aujourd'hui la responsabilité de diriger le gouvernement?

Quel est vraiment notre projet, derrière nos programmes qui se succèdent au rythme des élections, et sur quelle analyse de la société est-il fondé? Pour quelle société, et contre quoi nous battons-nous? Quelle est notre stratégie pour le changement? On conviendra aisément que l'invocation de la « transition écologique » n'est pas une réponse suffisante.

Ce sont des questions d'autant plus complexes que nous ne les avons jamais vraiment posées avec netteté, encore moins popularisées, comme si nous appliquions à nous même la formule de Bernstein « le mouvement est tout, le but n'est rien ».

Nous venons de fêter les 40 ans de l'écologie politique, nous avons rendu hommage aux grands penseurs qu'ont été André Gorz, Ivan Illich, René Dumont, et aujourd'hui Edgar Morin. Mais quelles conséquences en tirons-nous pour notre action?

II - Quel projet?

Notre investissement, nécessaire, dans les institutions, c'est-à-dire dans une gestion de plus en plus influencée par le poids de la technocratie, nous a fait remiser au second plan le projet de société dont l'écologie politique était porteuse, à ses débuts, comme le respect de la nature et de la vie, le partage d'un travail centré sur la valeur d'usage, la sobriété choisie10 au lieu de la course effrénée à la consommation, la promotion de technologies et d'outils conviviaux, appropriables par chacun/e et favorisant l'autonomie de l'individu, au lieu de l'aliéner – en cantonnant le travail « hétéronome », selon les termes d'André Gorz, dans les seuls domaines où il est strictement nécessaire, en raison de sa grande productivité, qui permet d'épargner le travail humain et de libérer du temps libre qui serait consacré à des activités permettant l'épanouissement personnel et le développement des relations sociales; la mise en place d'un revenu universel d'existence; l'extension de la démocratie et toutes les valeurs d'égalité et de non-violence.

Cette utopie rejoint sur plusieurs points celle du communisme à ses débuts, si ce n'est qu'aujourd'hui les rapports de l'espèce humaine à la nature ont pris une importance déterminante, car notre espèce est désormais en mesure, et pour la première fois, d'agir sur la Terre globale.

Il serait illusoire de croire que les rapports des êtres humains avec la nature pourraient changer, sans que changent en même temps les rapports des humains entre eux, car les deux font système. Il ne faut pas avoir peur de dire que l'utopie écologiste est incompatible avec les rapports capitalistes comme avec toute société productiviste, le social fait partie de l'écologie. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu'il serait vain de se battre pour des avancées partielles dans le cadre de la société actuelle.

On voit bien aujourd'hui ce que signifie « décroissance » dans une société intrinsèquement inégalitaire: un retour de la misère avec son cortège de maladies pour le un/es, les retraites-chapeau pour les autres.

L'utopie écologiste existe déjà, sous des formes embryonnaires et dominées, dans notre société, qui les empêche de s'épanouir, qu'il s'agisse de la gratuité, de l'économie sociale et solidaire, des expériences autogestionnaires, de la création de circuits courts entre producteurs et consommateurs, des services publics (en les sortant de leur logique de rentabilité financière et en transformant leur gouvernance par l'intervention des citoyen/nes).

Ces formes économiques peinent à se développer, à cause de la concurrence de l'économie capitaliste, favorisée par tout un arsenal de lois et de règles à l'échelle nationale et mondiale. Elles représentent pourtant l'avenir et le deviendront, pour peu que notre société prenne conscience de la nécessité de ce changement. Les écologistes doivent participer à cette prise de conscience, à travers un travail idéologique et en aidant ces formes de production à se développer par leur action dans les institutions, chaque fois qu'ils sont en mesure de le faire. C'est l'un des enjeux des prochaines élections régionales.

Rendre désirable l'utopie écologiste

La période actuelle se caractérise par une contradiction croissante:

- entre la promesse de bonheur dont était porteuse la société de consommation et de loisirs, censée être en marche vers un avenir radieux grâce au progrès continu de la science et de la technique, la victoire sur la maladie, et dans laquelle chaque génération était censée s'élever par rapport à la génération précédente,

- et la réalité, lourde de menaces en raison de la montée des inégalités, de la double face de la technoscience porteuse de nouveaux risques et des limites physiques de la planète dans laquelle s'inscrit l'histoire de l'humanité.

Cette contradiction touche en premier les classes populaires, y compris une partie des classes moyennes, et tout particulièrement la jeunesse qui, pour le première fois depuis la Libération, se voit interdire l'entrée de plain-pied dans la société. Et pourtant, il existe parmi elle des trésors de générosité, comme on peut le voir dans l'engagement humanitaire, de grandes capacités d'initiatives, que notre société ne laisse pas s'exprimer. Elle ressent plus que les autres les frustrations suscitées par une société d'abondance qui les tient à l'écart.

Pourtant, face à cette contradiction flagrante entre les potentialités de la société et ce monde dont l'horizon semble bouché, les mouvements de résistance restent relativement faibles et ne parviennent pas à converger.

A cela, plusieurs raisons:

- la peur que ressent l'individu dans une société où les réseaux de solidarité se sont affaiblis, où le « tout-marchandise » tend à devenir la forme exclusive du rapport social, rendant plus difficile les actions collectives;

- l'absence de projet collectif qui puisse agréger et donner sens aux luttes dispersées mais le plus souvent défensives, l'impression qu'il n'y a pas d'autre société possible, depuis l'échec du « socialisme réel », un discours martelé par les médias et leurs économistes « officiels » et qui conduit à la résignation, ou qui pousse à se précipiter vers des solutions extrêmes.

Notre discours doit à la fois expliquer l'impossibilité d'un retour en arrière du capitalisme et montrer qu'une autre société est possible et la rendre désirable. Il doit aider les classes populaires à réaliser qu'on ne reviendra pas à cet « âge d'or » mythique, que ce soit en abaissant les barrières sociales pour être plus compétitif que les concurrents – comme ne cessent de le faire tous les gouvernements qui se succèdent - ou en se repliant à l'intérieur des frontières nationales - comme le prône le FN – les deux voies étant incompatibles avec la démocratie et conduisant à des sociétés sécuritaires . Il doit montrer que seul le projet écologiste peut satisfaire les besoins d'épanouissement personnel, de sécurité et reconnaît à chacun/e un rôle d'acteur de la vie collective.

Les pistes esquissées plus haut peuvent fournir le contenu d'un projet émancipateur pour notre époque. Ce projet devra être étayé par des histoires racontant des réussites concrètes, illustrant le fait que transformation des rapport sociaux par la coopération et respect de la nature marchent souvent de pair. Ce sera une manière de révèler l'ampleur de ces innovations sociales, de montrer qu'un autre monde est possible et qu'il est à portée de la main.

III - Quelle transition écologique?

Comment passer de l'ancien au nouveau? C'est toute la question, difficile, de la stratégie de transformation sociale et écologique. Disons tout de suite que ce n'est pas seulement en isolant les logements ou en développant des énergies alternatives qu'on transformera la société – même si cela, il faut le faire aussi. L'écologie politique vise en réalité un changement de système, qui concerne non seulement la base économique de la société, mais aussi l'ensemble de ses superstructures et notamment de l'appareil d'Etat, et dont on ne peut pas prévoir le cheminement concret.

Cette question est suffisamment importante pour que le parti, avec l'appui peut-être de la Fondation, décide de s'en emparer. Il ne s'agit pas de bâtir des scénarios, mais de contruire une stratégie et un plan de travail dans et avec la société, pour éclairer les conditions pour que s'engage un tel processus. Evidemment, cette stratégie devra veiller à articuler réponses aux problèmes immédiats de la majorité de la population et avant tout des milieux populaires, et engagement de réformes s'inscrivant dans la transition. Les développements qui suivent ne constituent en rien une réponse, tout au plus quelques réflexions préliminaires.

1 - Il n'y a jamais eu de changement de société – c'est bien ce cela qu'il s'agit – sans que la nécessité de ce changement ne soit apparu préalablement, et que les idées nouvelles n'aient touché une part suffisamment large de la société pour que celle-ci se mette en mouvement. Donner envie d'une autre société est une première chose.

Mais il faut aussi déconstruire l'idéologie dominante, et ce n'est pas une mince affaire, car celle-ci est véhiculée, non seulement par les médias qui, pour la plupart, nous assènent tous les jours, cette idéologie16, mais aussi par tous les objets qui font notre quotidien, par la publicité, par l'éducation dès le plus jeune âge, par les mots utilisés pour détourner la réalité (vidéoprotection pour vidéosurveillance, charges sociales pour cotisations sociales, etc.). Cette bataille idéologique est essentielle, c'est un travail de chaque instant, que la gauche a abandonné depuis longtemps.

2 - Un changement de modèle de civilisation ne peux pas se réaliser à l'échelle un seul pays. Mais il ne se fera pas non plus partout en même temps ni au même rythme.

S'il convient de développer à une échelle incomparable à celle d'aujourd'hui les circuits d'une économie locale – ce sera un axe fort de la nouvelle politique, il est en effet illusoire de penser que la France pourrait se retirer du monde et mener toute seule son expérience à l'intérieur de ses frontières. Mais, inversement, nous ne sommes pas démunis pour agir, tant à l'échelle locale qu'au niveau national, qui demeure un niveau d'action important.

Sortir l'État des griffes du capital financier est un impératif, sans quoi aucune politique volontariste ne sera possible, notamment pour réduire les inégalités. Quand on voit comment le gouvernement socialiste depuis 2012 s'est ingénié à ne pas séparer banques d'affaires et banques de dépôts, ainsi qu'à torpiller l'instauration d'une taxe Tobin européenne sur les transactions financières à un niveau qui aurait permis à l'UE de se doter de moyens d'investissement, on se dit qu'il doit être possible de faire mieux dans le cadre actuel, tout en agissant au sein de l'UE pour changer les règles du jeu.

L'internationalisation avancée des économies et du capital financier, le poids croissant des politiques communautaires, nécessitent une stratégie et un plan d'actions à ces niveaux et donc la recherche d'alliés. Rechercher des alliés nécessite en particulier de renforcer les liens et le débat politique avec les autres partis écologistes, mener la bataille au sein de l'UE contre sa politique libérale en recherchant des alliances, même conjoncturelles, avec certains Etats, en s'adressant aux peuples d'Europe, qui souffrent aujourd'hui de la domination du capital financier et des politiques d'austérité – dont on voit les résultats sur la montée des populismes.

Quel rôle les partis verts peuvent-il jouer pour empêcher l'Europe de sombrer dans des replis nationalistes qui portent en eux la guerre, de s'ériger en forteresse fermant ses portes aux peuples du monde entier, alors qu'elle représentait à l'origine l'espoir d'un monde meilleur et de coopération entre des peuples qui s'étaient longtemps combattus?

3 - Cela pose la question des priorités de l'action du Parti dans la période actuelle. Il faut reconnaître que nos forces sont aujourd'hui principalement orientées vers le travail dans les institutions, le fonctionnement interne, la lutte pour les places, au détriment du travail dans la société.

Or, pour agir efficacement, il faut comprendre ce qui se passe dans la société, les rapports de force entre les groupes sociaux, l'état d'esprit des milieux auxquels on s'adresse pour la transformation sociale. Cette analyse est à faire, EELV devrait s'y employer en urgence, dans une conjoncture où l'on voit une partie importante des milieux populaires prêts à céder aux sirènes de l'extrême-droite, excédés par les promesses non tenues des partis qui se sont succédés au pouvoir depuis de années.

Je voudrais juste ici avancer des réflexions rapides que m'inspirent les mouvements actuels.

Du côté des luttes sociales, les grandes mobilisations de ces dernières années contre la réforme des retraites ont échoué, tant le privé que dans le public et, aujourd'hui, on observe surtout des combats défensifs contre des fermetures d'établissements, liées ou pas à des délocalisations. Avec plus de 3 millions de chômeurs, le rapport de forces est évidemment très défavorable aux salariés, le patronat est clairement à l'offensive et s'emploie à rétablir ses profits et à démanteler un à un tous les acquis sociaux, avec l'aide du gouvernement socialiste, qui a clairement choisi son camp.

Les mouvements altermondialistes, qui se déploient à l'échelle mondiale, mènent un combat constant contre le capital financier et les firmes multinationales – à travers les Forums mondiaux, les campagnes contre le remboursement de la dette indue des Etats et le projet de traité TAFTA qui, s'il était adopté, se traduirait par un abaissement des normes environnementales et sociales à l'échelle mondiale et réduirait encore le pouvoir des Etats. Ces mouvements, qui traitent aussi des questions de l'égalité entre les femmes et les hommes et des enjeux environnementaux, n'ont plus malheureusement aujourd'hui l'ampleur de leurs premières années.

Les luttes écologistes se développent elles aussi à l'échelle mondiale contre les agissements des firmes multinationales, contre le pillage de ressources et la destruction d'écosystèmes majeurs, la destruction de milieux humains à travers les dégâts sanitaires entraînés par leurs activités et la ruine d'économies locales. Ces luttes ont trouvé des points d'application en France, et se développent autour de la dénonciation de grands – ou de moins grands – projets, sans utilité sociale et destructeurs de leur environnement naturel et humain. Le projet de barrage de Sivens est à cet égard symbolique, comme l'écrit très justement Edgar Morin dans Le Monde du 5 novembre. D'un autre côté, des mouvements – Alternatiba, Collectif pour une transition citoyenne, etc...- s'efforcent de promouvoir des solutions alternatives, esquissant un autre projet de société. Le mouvement associatif lui aussi, durement touché par la réduction des financements publics et son instrumentalisation en service public « au rabais » par le biais des appels à projets, se mobilise et revendique à juste titre la reconnaissance de son rôle irremplaçable d'acteur de la société civile et de lien social.

Ces mouvements, malgrés leurs points communs, ne parviennent pourtant pas à converger. Cette situation devrait nous préoccuper.

Sans doute, une bonne partie des acteurs ont le sentiment d'affronter un adversaire particulier, sans percevoir derrière qu'il a affaire à un système qui domine la planète, non seulement par ses moyens financiers, mais aussi en s'appuyant sur les Etats.

Mais ces mouvements sont traversés aussi par des divisions, car ils ne vivent pas de la même manière la crise du capitalisme. Ainsi, les contradictions entre environnement et social. Ou encore, les approches différentes des questions de société.

On voit déjà se dessiner à l'occasion du projet de barrage de Sivens une campagne contre les écologistes, accusés de refuser le progrès, de tuer l'agriculture par des normes de plus en plus contraignantes, sans doute demain d'être les responsables du chômage, etc. Les moyens militaires mobilisés par le gouvernement tant pour NDDL que pour le barrage de Sivens montrent l'importance des enjeux. Attendons-nous à être encore plus attaqués à l'avenir!

Cette situation nous donne des responsabilités nouvelles vis à vis de la société. Elle nous appelle à renforcer les liens avec les mouvements où nous sommes peu présents, comme les grèves ouvrières, à travailler à surmonter les contradictions entre ces mouvements, en abordant clairement les problèmes avec les intéressés.

Le projet écologiste ne prendra corps et ne représentera une véritable force que lorsqu'il aura été capable de conforter sa base sociale, en l'élargissant aux milieux populaires. Nous voilà au pied du mur, ce travail doit devenir notre priorité. C'est de cette façon que se construira une alternative politique, avec les autres partis et organisations qui, comme nous, auront fait ce choix.

Plus que jamais, osons l'autonomie, et œuvrons pour faire de l'écologie l'alternative du XXIème siècle!

Jean Lafont – 8 novembre 2014

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