I – La terrible actualité des attentats de Paris donne un relief particulier à votre rencontre à l 'occasion du 20ème anniversaire de Promévil, au cours de laquelle vous avez débattu des leçons à tirer de l'expérience d'un projet exemplaire construit par des filles et des fils de l'immigration. Cette expérience, et d'autres qui se sont développées en France comme en Europe, éclaire l'apport de la médiation à l'inclusion et au « vivre ensemble », dont on voit combien ils sont nécessaires à notre vie commune.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les assassins commandités par Daech se sont attaqués, le 13 novembre, à une jeunesse éprise de liberté de vivre, dans des lieux symboliques de mixité et de rencontre entre citoyens de toutes origines.
Je ne suis pas, pour ma part, un expert de la médiation sociale. Je n'ai vraiment découvert son champ et sa richesse qu'à travers mon mandat de conseiller régional, président de la commission politique de la ville et de la sécurité.
La médiation sociale m'a très vite intéressé, car elle rejoignait un peu mon expérience professionnelle au ministère de l'Environnement, qui m'avait conduit à interroger les processus de décision en matière de grands aménagements, au vu des conflits qui tendaient à se multiplier entre les maîtres d'ouvrage et des riverains, souvent appuyés par les grandes associations environnementales. Les processus de concertation habituels et les enquêtes publiques ne suffisaient plus, en effet, pour légitimer les projets, car il intervenaient une fois que les choix étaient déjà faits. Cela a débouché sur la « charte de la concertation » en 1996, qui proposait un cahier des charges pour une bonne concertation, dans lequel figurait la proposition d'un « garant ». Ce garant était une personnalité tierce, indépendante et n'ayant aucun intérêt dans le projet, dont la fonction consistait à veiller à l'application de la charte et à intervenir auprès du maître d'ouvrage pour rectifier le tir, si nécessaire.
Je ne pousserai pas plus loin la comparaison, mais je crois que ce n'est pas totalement un hasard si ces figures du « médiateur » et du « garant » ont émergé à des périodes voisines.
II - La médiation sociale est relativement récente en France. Elle apparaît à un moment où les régulations mises en place au lendemain de la Libération commencent à s'effriter, sous l'effet de la crise économique et de la montée de l'individualisme, avec le recul de l'Etat-providence. Ce mouvement n'a fait que s'accentuer avec la mondialisation de l'économie et la pénétration des logiques financières dans la gestion du secteur public.
La population des quartiers populaires, et notamment la jeunesse, a subi de plein fouet le chômage structurel et la précarisation de l'emploi, aggravées pour une partie d'entre elle par des discriminations en raison de l'origine, avec pour conséquence l'exclusion, remettant en cause la cohésion sociale.
C'est à ce moment que la figure de la médiation apparaît, lorsque les régulations anciennes ne fonctionnent plus et que les services publics, dans leur logique sectorielle, peinent à répondre aux besoins des populations les plus en difficulté.
III – C'est dans ce contexte que s'inscrit l'histoire de Promévil, une histoire qui témoigne des grandes richesses humaines qui existent dans les quartiers populaires, contrairement aux images trop souvent véhiculées.
Autour de cette expérience, ces journées ont confirmé la place croissante qu'a prise la médiation sociale dans notre pays, la reconnaissance de son utilité sociale étayée par les évaluations, ainsi que les attentes de ses partenaires.
La région Ile-de-France – le lieu d'où je parle encore aujourd'hui – est l'un de ces partenaires, à travers son appui aux structures de médiation, le financement de diagnostics territoriaux de sécurité, associant les acteurs et les habitants et permettant de mettre en place des politiques globales centrées sur la prévention.
Elle intervient plus particulièrement dans le domaine des transports, à travers le financement d'environ 500 médiateurs par le STIF qui sont présents sur plusieurs ligne SNCF par l’intermédiaire de Promévil, ainsi que dans les bus du réseau OPTILE, sur la base d'un cadre établi par le STIF qui définit les missions des médiateurs et les obligations de formation fixées à l'employeur.
Elle finance également des ateliers de sensibilisation à la médiation sociale à l'attention de bénévoles associatifs.
Elle a entrepris enfin la réalisation d'un état des lieux de la médiation et de ses partenaires en Ile-de-France. Les échanges auxquels a donné lieu ce travail ont confirmé la forte attente des acteurs pour une implication plus forte de la région, question qui reste naturellement posée pour la prochaine mandature.
Les questions de la reconnaissance des métiers de la médiation et de sa professionnalisation structurent les débats actuels.
La création l'année dernière du diplôme d'encadrants par le CNAM constitue un pas important vers la constitution d'une filière professionnelle, et la Région a là un rôle à jouer, en proposant des parcours divers aux personnes qui s'inscrivent dans un métier de médiation, qu'ils ne feront pas toute leur vie.
La labellisation des structures de médiation portée par l'association « Villes correspondants de nuit et de médiation sociale » en liaison avec l'ANVAR et avec le soutien de l'État, marque aussi une avancée notable, avec la coopérative de compétences et la Maison du partenariat.
Cette professionnalisation est essentielle pour garantir la qualité du processus de médiation. Elle doit se faire cependant – chacun en est, je crois, bien conscient - en évitant l'écueil de la normalisation, en respectant la spécificité de la médiation, une spécificité qui constitue sa force : sa transversalité, sa position dans les interstices, sa capacité à construire des partenariats avec les autres acteurs selon les contextes locaux, et son cadre déontologique exigeant. Elle doit embrasser tous les champs de la médiation sociale, qui s'est surtout imposée aujourd’hui dans le domaine de la tranquillité publique dans le cadre partenarial des contrats locaux de sécurité.
L'enjeu maintenant est d'ouvrir un nouveau droit aux franciliennes et aux franciliens, par la construction d'un véritable service public de la médiation mis en œuvre au niveau local, dans lequel la Région doit prendre toute sa place, aux côtés de l'État et des autres collectivités, en mobilisant notamment ses outils en matière de formation professionnelle et de développement économique.
La médiation répond, en effet, à un intérêt général : elle permet de créer ou de reconstruire le lien social, d'assurer la tranquillité publique, elle renforce le pouvoir d'agir des habitants au niveau individuel et collectif, elle contribue à transformer les pratiques des services publics pour les rapprocher de la population.
Reconnaître la médiation sociale comme un service public, c'est aussi assurer à ses agents un statut et sortir la médiation de son image d'emplois aidés et lui trouver un financement pérenne. Cela n'induit pas pour autant un modèle unique pour les structures qui sont amenées à intervenir, qu'il s'agisse d'opérateurs prestataires, d'associations porteuses de projets de cohésion sociale, de services intégrés des communes, de GIP ou autres structures de portage mutualisé associant plusieurs partenaires publics et privés sur un même territoire autour d'un projet.
Je voudrais aussi souligner que la médiation ne s'exerce pas seulement dans un cadre professionnel, et c'est une bonne chose. C'est vrai historiquement, puisqu'elle est au départ issue de la société civile. La médiation relève souvent d'engagements citoyens, ainsi la médiation entre pairs dans les collèges ou les lycées, l'action de bénévoles dans les associations ou auprès de services communaux de médiation.
Mais dans tous les cas, la formation des médiateurs est essentielle, une formation qui apporte non seulement une technique, mais aussi une culture. « Franciliens, tous médiateurs ! », c'était d'ailleurs le titre du projet lancé en 2009 par le Forum Français pour la Sécurité Urbaine, qui souligne bien le lien entre médiation et réappropriation par chacune et par chacun des règles du vivre ensemble.
IV – Quelques réflexions enfin sur des enjeux que doit affronter aujourd’hui la médiation sociale, dans une « société en tension », avec les fractures sociales, ethniques et religieuses qui traversent notre vivre ensemble et qui interpellent notre modèle républicain.
Les attentats de Paris montrent de manière tragique la gravité de la situation. Les assassins, en effet, sont des enfants de la République ; des jeunes français ont tué d'autres jeunes. Ces crimes n'ont pas d'excuse, mais on ne peut manquer de se demander comment on en est arrivé là, dans un pays qui a pour devise « liberté, égalité, fraternité » et de s'interroger sur les causes sociales sous-jacentes, sur les défaillances de nos institutions.
Mon propos n'est pas de reprendre ici les analyses du phénomène de radicalisation, qui ont fait l'objet de plusieurs rapports ces dernières années et d'un plan d'action gouvernemental, ni d'en traiter les causes externes
Ce phénomène touche très spécifiquement des jeunes – quelques milliers – sans que l'on puisse définir un profil type. Il ne se limite pas à des personnes fragiles et marginalisées et tend à se diffuser dans toutes les catégories sociales. Contrairement à une idée répandue, il n'est pas l'apanage d'enfants de migrants et de familles musulmanes, puisque 30 à 40% d'entre eux sont des convertis, l'histoire personnelle, les rapports avec la famille, avec l'école et les autres institutions jouant un rôle important dans le processus de radicalisation. Dans tous les cas cependant, il traduit une quête identitaire non satisfaite par notre société et l’adhésion au projet radical et mortifère proposé par le djihadisme.
Je voudrais insister ici, car on en parle peu en ce moment dans l'assaut des discours sécuritaires, sur l'action préventive, qui va bien au-delà de la détection des individus qui ont franchi le pas, ou sont sur le point de le franchir. Cette action me paraît essentielle pour empêcher les processus de se développer, et je pense que la médiation sociale y a toute sa place.
Par ses valeurs et les pratiques qu'elle porte, elle est, en effet, une école de citoyenneté. Elle est facteur d'inclusion et de cohésion sociale, elle renforce le pouvoir d'agir des personnes et, comme le disait très justement Jean-Pierre Worms aux assises nationales de la médiation sociale organisées par France Médiation en décembre 2011, elle renforce aussi le pouvoir d'agir de la société, et de ce fait elle peut contribuer à régénérer le débat politique, aujourd'hui en crise, à intéresser le citoyen à la chose publique, à renouveler la démocratie à l'échelle locale, à donner du sens à notre vie commune .
Je voudrais souligner aussi l'enjeu que représente dans notre région Île-de-France la réussite de la nouvelle politique de la ville. Cette politique porte un discours nouveau et qui se veut positif sur les habitants des quartiers populaires, sur la richesse et l'esprit d'initiative de leur jeunesse ; ce discours reconnaît la place importante des habitants et des acteurs associatifs dans la co-construction des projets, à travers notamment les conseils citoyens, encore, il est vrai, embryonnaires dans la plupart des territoires concernés .
Il ne faut cependant pas se voiler la face sur le chemin qui reste à parcourir dans de nombreux domaines. L'effort consenti ces dernières années pour la rénovation urbaine ne s'est pas accompagné d'un effort équivalent – c'est le moins que l'on puisse dire - sur le volet social, sur la prévention, l'accompagnement de la jeunesse, l’éducation, l'appui aux services sociaux et aux associations de quartiers, vecteurs de lien social et promoteurs de vivre ensemble - dans un contexte de misère, de chômage de masse et d'aggravation des inégalités.
A cela s'ajoute le sentiment de rejet et d'humiliation ressenti par une partie de la jeunesse issue de l'immigration, les promesses non tenues depuis la marche pour l'égalité de 1983, la persistance des discriminations et la montée dans la société du racisme, et notamment de l'islamophobie, que certains mouvements politiques s'emploient à encourager en faisant l'amalgame entre « immigration, réfugiés et terroristes ». Cette situation, si elle se poursuit, peut avoir des conséquences extrêmement graves pour la cohésion de notre société.
A cette heure, la prévention de l'exclusion et la lutte contre les discriminations, la construction d'une société inclusive et juste, fière de sa diversité, une société non seulement du « vivre », mais aussi du « faire ensemble », fondée sur le respect des droits de l'homme, sur l'État de droit et la démocratie, doivent je pense constituer les principes de base de notre action.
L'exemple de Promévil, celui de l'AFPAD de Pierrefitte et les autres actions qui nous ont été présentées au cours de ces journées montrent que la médiation a un rôle important à jouer dans un tel projet de société, cela comme toujours à travers les nombreux partenariats qu'elle est capable de nouer avec les institutions, les professionnels – parmi lesquels médecins et psychologues - et les familles, au plus près des territoires. Un défi à relever pour nous tous.