Jean Lafont (avatar)

Jean Lafont

membre fondateur de Pour une écologie populaire et sociale (PEPS), ancien conseiller régional

Abonné·e de Mediapart

38 Billets

1 Éditions

Billet de blog 30 juin 2018

Jean Lafont (avatar)

Jean Lafont

membre fondateur de Pour une écologie populaire et sociale (PEPS), ancien conseiller régional

Abonné·e de Mediapart

L'Union Européenne, l'Aquarius, le Lifeline, et puis après ?

Ce texte, rédigé avec Elise Lowy à la veille du Conseil européen des 28 et 29 juin, souligne la responsabilité des classes dirigeantes dans la crise de l'Union européenne au sujet de l'accueil des migrant.e.s, L'accord de façade trouvé à ce Conseil ne fait que confirmer la transformation de l'Europe en forteresse.

Jean Lafont (avatar)

Jean Lafont

membre fondateur de Pour une écologie populaire et sociale (PEPS), ancien conseiller régional

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le drame des derniers jours autour de l'accueil de l'Aquarius en dit long sur l'impasse dans laquelle se trouve l'Union Européenne, construite par la volonté de ses dirigeant.e.s comme une grande puissance économique, mais sans projet politique commun permettant de dépasser la concurrence entre ses Etats et de susciter l'adhésion de ses peuples.

Le tournant libéral des années 1980 a creusé un fossé croissant entre les « gagnant.e.s » de cette mondialisation, dont les fameux « 1% », et les classes populaires grossies par une fraction croissante des classes moyennes, qui ont vu leur situation se dégrader, avec la peur du déclassement. De gauche comme de droite, les partis au pouvoir ont épousé cette politique, permettant à l'extrême droite de reprendre de la vigueur, avec leur fonds de commerce xénophobe et raciste. Cette tendance s'est accentuée avec la crise de 2008 et ses politiques d'austérité et l'extrême-droite s'est ancrée dans le paysage politique, imposant son agenda. Il est loin le temps, en 2000, où l'UE appliquait des sanctions à l'Autriche pour l'entrée au gouvernement du parti de Jörg Haider !

Si la question de l'immigration n'avait pas cessé d'être présente dans la plupart des pays – associée aux termes anxiogènes du « grand remplacement » et du terrorisme islamiste, fort commodes pour faire passer au second plan la question sociale - elle a pris un relief particulier et est devenu un problème européen majeur avec l'exode provoqué par la guerre en Syrie et la déstabilisation du Moyen Orient et de la Libye. Ce fut alors du « chacun pour soi », avec l'érection de murs entre la Grèce et la Turquie, entre la Hongrie et la Serbie, le rétablissement de frontières à l'intérieur même de l'espace Schengen, afin de bloquer l'entrée des migrant.e.s dans son pays. Le seul dénominateur commun aux pays de l'UE a été de transformer l'Europe en forteresse en empêchant l'entrée des migrant.e.s : renforcement des moyens de l'agence Frontex, accord avec la Turquie et d'autres pays d'Afrique pour qu'ils retiennent sur leur territoire les migrant.e.s, fichage à la chaîne, tentative d'instaurer des quotas entre les pays de l'Union. Dans le même temps, à part quelques pays comme l'Allemagne et la Suède au début, la politique d'accueil des Etats – la France y compris – n'a cessé de se durcir. Les migrant.e.s étaient les grand.e.s oublié.e.s de cette politique, ils/elles l'ont payé cher en laissant en trois ans 15.000 victimes dans le cimetière de la Méditerranée et plus encore dans le désert du Sahara.

Le refus du gouvernement italien d'accueillir l'Aquarius n'a fait qu'étaler cette réalité de manière crue. Si l'Espagne par son nouveau gouvernement a répondu présente, il est douteux que les choses changent au niveau de l'Union. Les classes dirigeantes européennes sont, en effet, incapables de s'entendre sur une autre politique. Elles semblent d'ailleurs s'orienter vers le renforcement de Frontex et la multiplication de centres de rétention aux frontières de l'Europe, sans pouvoir se mettre d'accord sur la révision du règlement de Dublin, qui attribue au pays d'entrée le traitement de la demande d'asile. Les politiques prônées depuis longtemps par l'extrême-droite seraient-elles en train de l'emporter ? On peut se poser la question, lorsque l'on voit Emmanuel Macron, Angela Merkel et Pedro Sanchez proposer de créer dans les pays de premier accueil des « centres fermés », en charge de trier les migrant.e.s économiques – à reconduire dans leur pays d'origine – et celles/ceux ayant obtenu le statut de réfugié.e – dont le nombre serait « très limité », selon E.Macron - qui seraient réparti.e.s entre les pays de l'UE.

Ces politiques bafouent les droits humains et montrent la myopie de leurs auteur.e.s sur l'évolution du monde. Les migrations ont toujours existé, et n'oublions pas que l'Europe elle-même a été pendant longtemps une terre d'émigration. Aujourd'hui réfugié.e.s de guerre ou de la misère, réfugié.e.s climatiques, parfois tout cela à la fois, ce sont les causes principales des migrations dans le monde d'aujourd'hui, dans lequel l'être humain et la nature ont moins de valeur que le profit.

Il fut un temps où la France accueillait des migrant.e.s, qui ont fait aussi sa richesse. Elle ne parlait pas alors de « benchmarking ». Saura-t-elle accueillir les réfugié.e.s qui ont exprimé le désir de venir dans notre pays ? Nous vivons aujourd'hui une période régressive, comme nous en avons déjà connu dans le passé ; des heures sombres où la peur de l'avenir laisse nombre de nos concitoyen.ne.s sans réaction contre des lois comme celle sur l'asile et l'immigration.

Nos dirigeant.e.s prétendent suivre l'opinion publique. Mais si c'était l'inverse ? Rappelons-nous la mobilisation de solidarité sans précédent d'une partie de la population allemande pour accueillir des milliers de réfugié.e.s syrien.ne.s en 2015, les actions d'habitant.e.s de la vallée de la Roya et au col de l'échelle et tou.te.s ces anonymes s'exposant au « délit de solidarité », et pour l'Aquarius l'offre de la ville de Naples et des élu.e.s de Corse …

Fin mai, se tenaient à Montreuil les Etats Généraux des Migrations, d'où est sortie une déclaration pour une politique migratoire alternative, marquant la volonté de renverser le discours dominant, souvent porté par les autorités de l'Etat elles-mêmes.

Puisque le changement ne viendra pas « d'en haut », c'est aux citoyen.ne.s de se mobiliser, en France et en Europe, pour une autre politique. Une vraie politique d'accueil instaurant une liberté d'entrée, de circulation et d'installation dans l'espace européen pour les personnes étrangères à l'UE, mettant fin aux barrières érigées par l'Europe forteresse ; des politiques de co-développement avec les pays d'émigration, au lieu de les traiter comme des réservoirs de ressources à exploiter. Bref, un nouvel internationalisme entre les peuples, sur une planète où les interdépendances n'ont jamais été aussi fortes. Un nouvel élan pour l'Europe porté par une vision humaniste.

Jean Lafont et Elise Lowy, membres du Comité exécutif du Mouvement ECOLO

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.