Le rhinocéros est bel et bien mort, mais ses cornes dépassent encore du sol et embarrassent considérablement la vie politique du Royaume-Uni, et les Grands-Bretons vont sans doute comprendre qu’ils ont échappé au pire. En effet la prescription trentenaire des archives nationales britanniques étant caduque, les documents officiels relatifs à l’année 1984 ont été mis à disposition du public et, le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont très loin d’être à l’avantage de feu Margaret Thatcher et encore moins de tous ceux qui ont persisté à chanter ses louanges, lors de sa disparition, des deux côtés de la Manche.
En effet, en 1984, Thatcher s’apprêtait à déclarer l’état d’urgence et se préparait à utiliser l’armée contre les mineurs, au plus fort de leur désormais célèbre grève, sous le prétexte que le royaume allait manquer de nourriture et affronter une grave crise économique. C’est ce que révèlent aujourd’hui avec consternation le Guardian, l’Independent et même le Telegraph, d’ordinaire peu enclin à noircir si peu que ce soit la mémoire du rhinocéros. Le premier ministre de l’époque avait donc échafaudé un plan qui prévoyait, pour aller retirer les stocks de charbon, le recours à 4.500 conducteurs et 1.650 camions-bennes de l’armée de sa gracieuse majesté, ce qui aurait permis d’alimenter les centrales à hauteur de 100 tonnes par jour.
Une opération parallèle surnommée Halberd devait permettre aux militaires de neutraliser les mineurs grévistes, les dockers et leurs sympathisants. Ces deux plans conjoints avaient été préparés en juillet 1984, alors qu’un vent de panique soufflait sur Downing Street où chacun était convaincu que les mineurs allaient gagner leur combat contre le gouvernement conservateur de l’époque, tant le soutien et la solidarité étaient importants à travers le pays. L’alarme avait été sonnée par le ministre du travail du cabinet Thatcher, Norman Tebbit, qui aurait dit à son premier ministre : I do not see that time is on our side, en d’autres termes je ne crois pas que le temps jouera en notre faveur. Tebbit suggéra alors de s’en prendre d’abord aux cheminots grévistes. La perspective de voir les centrales et l’industrie entière privées d’alimentation en énergie et le pays totalement bloqué avait créé cette psychose, à laquelle s’ajoutait le souvenir humiliant de la défaite de Ted Heath face à la grève des mineurs de 1974.
Cependant rien n’indique, dans ces mêmes documents, que l’ensemble du parti conservateur était au courant de ce qui était ni plus ni moins que l’instauration d’un état d'urgence, préalable à un attentat contre la démocratie, et qu’il aurait approuvé. De plus les autorités de la police étaient plus que réservées et avaient attiré l’attention de Thatcher sur les risques de guérilla, après avoir évalué le désespoir des mineurs. Rien n’est apparemment dit non plus sur ce qu’aurait été la réaction de l’état-major militaire, encore moins de celle de Buckingham Palace, généralement plus déconnecté, où l’on comptait peut-être déjà les cacahuètes, voir un précédent billet, mais le premier ministre y était cordialement détestée. La suite est hélas connue, la grève des mineurs s’acheva sur une défaite et Margaret Thatcher, qui, l’année précédente, n’aurait jamais dû rester au pouvoir sans la farce médiatique de la guerre des Malouines, abandonna donc son projet dément. Ces mêmes archives révèlent qu’elle n’a, à aucun moment, fait pression sur le premier ministre sud-africain Pieter Botha, le 2 juin 1984, dans la résidence des Chequers, pour qu’il libère Nelson Mandela. Pire même elle n’a pas prononcé le nom du regretté Madiba, ce qui annihile les pitoyables efforts — lors de la disparition de Mandela — des pauvres thuriféraires de la présumée dame de fer, qui, dans le domaine de la démocratie et des droits de l'homme, était rouillée jusqu’à la décomposition.