
Amanda Knox et Raffaele Sollecito © AP
Pour celles ceux qui auraient oublié ce qu’est « l’affaire Amanda Knox/Raffaele Sollecito » ou, tout simplement, qui n’en connaîtraient pas le développement, un petit rappel chronologique d’abord de deux précédents billets de ce blog, ici et là, puis un résumé. En novembre 2007, une étudiante britannique, Meredith Kercher est retrouvée morte dans son appartement d’étudiante à Pérouse, qu’elle partage, notamment, avec une étudiante américaine, Amanda Knox. Meredith Kercher a été égorgée et retrouvée à demi nue. Le soir du meurtre, Amanda a passé la soirée chez son compagnon, un étudiant italien, Raffaele Sollecito, fils d’un médecin, notable de Pérouse.
Sur les lieux du crime, absolument aucune trace d’ADN d’Amanda et de Raffaele. En revanche, l’ADN d’un troisième protagoniste, Rudy Guede, ressortissant italien né en Côte d’Ivoire, est retrouvé partout. Ce dernier sera reconnu coupable quelques mois plus tard et condamné à 16 ans de prison qu’il purge toujours. L’histoire aurait pu, aurait dû s’arrêter là. Mais c’était sans compter le fanatisme du juge Giuliano Mignini, qui se croyait investi d’une mission quasi mystique et qui voit, à travers ce meurtre, « l’œuvre de Satan », par le biais des amants, Amanda et Raffaele, présentés comme diaboliques. De prime abord, personne ne prend au sérieux cet illuminé qu’est Giuliano Mignini, qui fait l’objet, à l’époque, d’une enquête interne pour conduite professionnelle inappropriée, mais qui, très curieusement, ne sera pas dessaisi du dossier.
Mignini se moque éperdument des faits et mène une authentique croisade, avec l’aide des carabiniers qui foulent tranquillement au pied plusieurs indices disculpant les deux jeunes gens, et une presse populaire, qu’elle soit italienne ou britannique, qui se jette sur la jeune américaine, en épargnant totalement et étrangement le jeune italien et en jetant aux oubliettes les aveux de Rudy Guede. Les tabloïdes italiens et britanniques vont trouver des « amis » et « connaissances » d’Amanda — dont elle affirmera à la chaîne de télévision ABC, en 2011, n’avoir jamais rencontré aucun d’entre eux, de près ou de loin — qui est décrite comme nymphomane, perverse, dangereuse et instable. Amanda Knox et Raffaele Sollecito sont inculpés de meurtre et d'abus sexuel, sans l’ombre d’une preuve, et condamnés, quelques mois plus tard, à 26 ans de prison.
Rebondissement en 2011, après la stupeur initiale provoquée par le verdict, puis le travail inlassable des avocats des deux étudiants et des associations de soutien, le jugement est cassé par la cour d’appel de Pérouse. Amanda Knox et Raffaele Sollecito sont libérés. Dans un flot d’émotion et de soulagement sur l’avenir de la justice italienne, l’un et l’autre retournent dans leurs familles respectives pour tenter de retrouver une vie normale, après ce traumatisme. Quelques jours plus tard, la famille de la victime, Meredith Kercher, dont il se dit qu’elle est manipulée par les tabloïdes et qui ne se contente pas de la culpabilité de Rudy Guede, fait appel de cette relaxe, dans une indifférence presque générale, car on voit mal, à ce moment de l’histoire comment la justice italienne pourrait se contredire.
Erreur et stupeur. S’il y a, en Italie, des magistrats assez courageux pour s’attaquer à la mafia et pour inculper Berlusconi, l’illuminé Mignini n’est pas seul. Exit Mignini et surgit un nouveau magistrat, Alessandro Crini. D’un revers de manche, lors de l’examen en appel le 31 janvier 2014, il balaie le jeu sexuel qui aurait mal tourné. Il propose un nouveau scénario, toujours sans l’ombre d’une preuve ni d’une trace d’ADN, qui relève de la télé berlusconienne : Meredith et Amanda se seraient violemment querellées, en présence de Raffaele, au sujet des toilettes (détail malheureusement authentique dans le réquisitoire surréaliste), Amanda aurait sorti un couteau et aurait égorgé sa co-locataire. Les journalistes présents sont d’autant plus effarés que le nouveau verdict tombe : 28 ans et demi pour Amanda Knox et 25 ans pour Raffaele, sans aucune explication pour cette différence.
Ni l’un ni l’autre ne seront emprisonnés dans l’immédiat, car leurs avocats ont fait appel et la procédure devrait prendre encore un an. Cependant il convient de dissocier les deux cas. Amanda est citoyenne américaine, et, même si la décision en appel était confirmée, il faudrait que cette décision soit suivie par une demande d’extradition. Or si tel était le cas, étant donné le choc qu’avait engendré le premier verdict dans l’opinion publique américaine et les réactions des grands media, on voit mal comment Obama, ou son successeur, pourrait donner son accord à une telle demande d’extradition. En revanche, Raffaele Sollecito n’a pas cette chance, puisqu’il est italien et que son passeport vient de lui être retiré. Gâchis considérable et acharnement incompréhensible.
On peut écouter, ici, le très émouvant entretien vidéo que Simon Hattenstone, journaliste du Guardian qui avait entretenu une correspondance avec Amanda pendant sa détention, a réalisé à Seattle avec Amanda Knox. Désormais il y a quatre familles touchées par cette tragédie : en tout premier lieu, bien évidemment, celle de Meredith Kercher, qui, dans sa douleur, s’est laissée berner par les tabloïdes, et qui s’aperçoit que ni la justice ni les carabiniers n'ont fait correctement leur travail ; celle de Guede, qui clame l’innocence de Rudy et affirme que les aveux lui auraient été extorqués par la violence ; celle de Raffaele dont l’avenir dans son propre pays paraît sinistre ; et enfin celle d’Amanda Knox, dont la vie, quelle que soit l’issue de l’extradition, est tout aussi brisée que celle de son ancien compagnon. Dernier détail, et non des moindres, un ancien mafieux repenti répète, depuis des mois et des années, qu’il connaît l’assassin et que ce n’est ni Guede, et encore moins Knox et Sollecito, mais, à ce jour, il n’a toujours pas été convoqué par les carabiniers.