Décidément les liens entre les Tories et le petit monde de la haute finance britannique non seulement ne se démentent pas, mais, en plus, sont fort loin de se désagréger. Un billet précédent de ce même blog, le 14 octobre, a montré combien l’argent est un ciment bien plus solide que l’idéologie ou les programmes politiques qu’exigerait un engagement pour le pays. Une information, publiée par le Guardian le 10 mars dans une indifférence presque générale sur Samantha Cameron l’épouse du premier ministre conservateur, confirme que, dans le domaine financier, rien n’est laissé au hasard et que, chez les Tories, les deux mots d’ordre demeurent business is business et business as usual. Certes il n’y a rien d’illégal dans la situation décrite, mais l’éthique et la morale conservatrices — dans la mesure où on ne considère pas cette dernière association comme un oxymore — n’en sortent pas grandies.
Il convient donc de faire un petit retour en arrière pour mesurer les méfaits actuels. En 1996, lorsqu’elle épouse David Cameron, Samantha Gwendoline Sheffield est avant tout la fille aînée de Sir Reginald Sheffield, huitième baronnet de Normanby, dans le Yorkshire, et descendant du roi Charles II, et de Annabel Jones, vicomtesse d’Astor. Outre le fait que la vicomtesse descend elle aussi de Charles II, ce qui est assez singulier mais montre, néanmoins, la grande générosité des souverains britanniques, on notera avec intérêt que la fiche de Sir Reginald, dans le Who’s Who, affirme très sérieusement qu’il est membre du Beefsteak Club, ce qui, a priori, l’empêche de se lier d’amitié avec Sir Paul McCartney. Dans ce contexte familial dont on conviendra qu’il n’a rien de commun avec le quart-monde, il convenait que la fille aînée, Samantha partît s’encanailler dans le monde du travail, après des études sans grand relief dans la section Beaux-Arts de l’université de Bristol. Elle travaille donc pour Smythson, dans Bond Street au cœur de Londres, entreprise de papeterie et de maroquinerie de luxe où elle devient directrice artistique. Jusque là rien qui ne puisse attirer l’attention.
Jusqu’en 2005 Smythson — dont le site précise très sérieusement aussi que l’entreprise est le fournisseur officiel de sa très gracieuse majesté, de Grace Kelly et Sir Edmund Hillary, qui n’ont plus vraiment besoin de maroquinerie, et de Madonna, qui aurait plutôt besoin des coussins de réception qu’utilisent Renaud Lavillenie — était la propriété du groupe John Menzies, qui faisait partie des généreux donateurs du parti conservateur. Or le 30 avril 2005 — la date a son importance puisque cinq jours plus tard David Cameron était élu à la tête des Tories aux dépens de son adversaire Michael Howard, qui n’avait aucune chance — Smythson est racheté par un consortium, dans lequel figurent notamment Jonathan Green, Howard Shore et Michael Sherwood (cadre supérieur de Goldman Sachs), qui sont tous, quelle incroyable surprise !, d’habituels et généreux donateurs du parti conservateur. Pour les spécialistes la surprise est amplifiée puisque la transaction se fait à hauteur de 16 millions de livres sterling, soit le double de l’expertise faite sur le marché londonien. La vente rapporte, dans un premier temps, plus de 400.000 livres sterling à Samantha Cameron, qui, entretemps en plus de son titre de directrice artistique, est devenue actionnaire de Smythson. Les 275 actions de Samantha Cameron lui rapportent gros également, puisque le cours a grimpé jusqu’à 1.590 livres sterling l’unité.
Voilà donc la fille aînée de Sir Reginald et épouse du futur premier ministre à l’abri du besoin. L’histoire ne s’arrête pas là, car, en 2009, l’entreprise est rachetée par le groupe Cavendish, qui choisit comme siège social le Luxembourg, paradis fiscal concurrent de la City, et qui, quelle incroyable générosité !, ré-embauche Samantha Cameron, en 2010 alors que son époux est au 10 Downing Street, avec le même titre de directrice artistique, activité censée l’occuper deux jours par semaine. Dernier détail pittoresque, une pure coïncidence bien sûr : le vice-président du groupe Cavendish, Howard Leigh, est trésorier du parti conservateur depuis 2000…