Les socialistes doivent probablement être reconnaissants aux homosexuels de leur permettre de renouer, par ces temps d’austérité militante, avec une certaine forme d’engagement. Quand il s’agit de défendre des réformes dites de société – et il n’est pas question ici d’opposer de façon factice « les réformes de société » aux autres types de réforme (et, d’ailleurs, toutes les réformes ne sont-elles pas des réformes de société ?) mais simplement de marquer une frustration - une certaine gauche défile volontiers dans la rue et organise des réunions « people » afin de susciter le débat. Confrontée à une droite arc-boutée sur ses valeurs, ses traditions et ses préjugés, la gauche retrouve pour quelque temps une unité de façade. Des manifestants de circonstance comme Manuel Valls ou Pierre Bergé s’engagent clairement en faveur de « l’égalité pour tous » et côtoient à cette occasion des militants qui aimeraient pouvoir bénéficier d’un soutien aussi résolu et appuyé pour des causes qui ne leur paraissent pas moins importantes. Mais la gauche des beaux quartiers, la gauche des réseaux d’influence, la gauche médiatique ne puise pas toujours aux mêmes sources que les citoyens ordinaires les motivations de son engagement ; son indignation est sélective.
Car le volontarisme du gouvernement et la mobilisation des députés socialistes sur la question du mariage homosexuel tranchent avec leurs atermoiements et leurs renoncements dans tant d’autres domaines. Le lyrisme de la ministre de la Justice, Christine Taubira, lors de la présentation du projet de loi à l’Assemblée Nationale, ne peut suffire à racheter le passif d’une politique ; son évocation de la devise de la République nous rappelle malheureusement à quel point les idéaux de notre société sont bafoués quotidiennement par celles et ceux qui prétendent les servir et les représenter. Nos représentant(e)s excellent dans les proclamations enflammées mais ces beaux discours sont l’écume des bons sentiments sur le terrain dévasté de nos droits fondamentaux. Aujourd’hui, la gauche qui nous gouverne est incapable de garantir les droits les plus élémentaires comme le droit à la santé, le droit au logement , le droit au travail ( ainsi que le droit du travail), le droit à vivre dans la dignité. Elle se révèle incapable de faire respecter des principes aussi essentiels pour la sécurité des personnes que le principe de précaution inscrit dans la Constitution et codifié dans la Charte de l’environnement. Aussi était-il sans doute opportun pour François Hollande de respecter sa 31ème proposition. Il faut de temps en temps manifester son empressement et sa volonté inébranlable de changement pour faire diversion, tenter de faire pardonner son immobilisme et ses reculs, mieux faire oublier ses manques.
L’accompagnement législatif d’évolutions sociales et culturelles constitue bien désormais le seul défi, le seul horizon, pour ce Président résigné à la grande transformation capitaliste.
Mais une loi juste et nécessaire peut aussi être lourde de menaces. Si comme le dit Noël Mamère « la gauche ne doit pas avoir la main tremblante quand il s’agit d’avancer vers une société plus juste » et peut évidemment se réjouir de voir reconnaître à la communauté homosexuelle le droit de se marier, elle doit néanmoins s’interroger sur la justesse, la pertinence de certaines revendications en attente, tapies dans l’ombre de la loi.
Comment, si l’on veut aussi se soucier des droits de l’enfant, ne pas questionner le droit à l’homoparentalité, comment ne pas s’interroger sur la PMA (Procréation Médicalement assistée), comment ne pas craindre la GPA (Gestation Pour Autrui) ?
Car cette loi comble un manque mais suscite et encourage également de nouvelles attentes, de nouveaux désirs qui, dans une société capitaliste, ne manqueront pas, en l’absence de régulation étatique forte, d’être attisés et comblés par le marché. Certains capitalistes « de gauche » tiennent d’ailleurs des propos particulièrement inquiétants mais aussi éclairants sur des dérives possibles. Pierre Bergé (1) a-t-il seulement conscience de l’outrance de ses déclarations : «Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence?»
Ces propos sidérants soulignent la légitimité de certaines inquiétudes et la nécessité d’une vigilance critique à propos de la future loi sur la famille. Il semble nécessaire d’entamer aujourd’hui un large débat sur un processus en devenir et encore obscur pour la majorité des citoyens.
Pour certains transformistes exaltés, la nature ne saurait jamais constituer un obstacle. L’homme est un démiurge. Ce qui est possible est obligatoirement permis. Le désir de l’homme – et en l’occurrence de l’homme adulte – doit être satisfait si les technique le permettent, cela s’appelle « le progrès ». Mais l’égalité signifie-t-elle l’abolition définitive des différences et des identités ?
L’homme peut-il systématiquement s’affranchir de toute contrainte et transgresser des lois naturelles qui paraissaient immuables ? L’enfant ainsi que sa matrice maternelle sont en passe de devenir, si le législateur n’y prend garde, des objet de transaction et de commerce. La loi de l’offre et de la demande pour des utérus sains et amnésiques est déjà une réalité dans certains pays. Et seuls de riches commanditaires peuvent s’offrir ces nouveaux « produits ». Ce n’est certainement pas faire preuve d’ostracisme et d’homophobie que de dénoncer des futurs possibles qui nieraient définitivement les droits de l’enfant pour satisfaire des désirs adultes (2) et éloigneraient, un peu plus encore, notre société du respect de la vie et de la dignité humaine.
(1) Le même P Bergé a également déclaré, dans un amalgame sidérant : «Évidemment qu'ils sont homophobes, en tous cas, pour la plupart d'entre eux. Chacun a son bon PD, comme chacun avait son bon juif. (...) Cet humus antisémite, anti-gay et anti tellement de choses, il existe, et le nier me semble un peu trop facile»
(2) Consulter à ce sujet le blog de Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny (ici)